Je n'avais jamais lu le moindre livre de
Thomas Hardy et ne savais rien de lui ni de son oeuvre, aussi je ne m'attendais pas à découvrir un récit si tragique et bouleversant !
Dans un style magnifique,
Thomas Hardy nous fait suivre le destin tragique de Tess, fille aînée d'un couple de paysans pauvres qui vivent dans le Wessex, contrée imaginée par l'auteur, mais correspondant à peu près au sud-ouest de l'Angleterre. Son père, John Durbeyfield, apprend tardivement dans sa vie qu'il est le descendant des chevaliers d'Urberville. Avec sa femme, il ne songe plus qu'à envoyer Tess chercher une aide financière ou du travail auprès de cette riche parentèle. Chez ces lointains parents, la jeune Tess de 16 ans, innocente et naïve, rencontre son cousin Alec d'Uberville qui ne cesse de la poursuivre de ses assiduités et finit par abuser d'elle. Tess retourne chez ses parents, enceinte, déshonorée et abandonnée. Profondément malheureuse, elle ne sort de sa mélancolie qu'à la naissance de son enfant. Mais ce dernier ne vit pas longtemps, plongeant à nouveau Tess dans le désespoir. Quelques mois plus tard, retrouvant son courage, Tess décide alors de s'éloigner de sa famille pour échapper à son passé et d'aller chercher du travail dans une laiterie du Sud, espérant y retrouver le bonheur. Et en effet, Tess y rencontre Angel Clare, fils d'un pasteur souhaitant devenir fermier et en tombe éperdument amoureuse. Angel l'aime et veut l'épouser mais peut-elle le faire sans lui révéler son passé ?
Dans cette véritable ode à la femme,
Thomas Hardy a créé une des plus belles figures féminines de la littérature : Tess, jeune fille à l'âme pure et droite, personnifie une Eve païenne, belle et attirante pour son plus grand malheur. J'ai beaucoup aimé aussi les trois compagnes de travail que l'auteur a données à Tess : bien qu'elles soient toutes trois amoureuses d'Angel, elles ne seront jamais jalouses de Tess et lui témoigneront toujours une camaraderie franche, tendre et pleine de générosité désintéressée. L'auteur est moins tendre avec la mère de Tess, une femme pas forcément dépourvue d'instinct maternel mais incapable de comprendre la droiture et les tourments de sa fille, qui se montre résolument pragmatique quand il s'agit de trouver des moyens de subsistance.
En revanche, l'auteur n'y va pas de main morte avec ses personnages masculins, les accablant de tous les défauts : paresse, alcoolisme, libertinage, inconstance, étroitesse d'esprit, rigidité morale et religieuse...
Tous les hommes feront du tort à Tess, volontairement ou non. Ainsi, son père, un homme sot, fainéant qui passe son temps au cabaret, ne pensant qu'à retirer quelque bénéfice de l'ascendance noble qu'il vient de se découvrir, va involontairement jeter Tess dans la gueule du loup en lui demandant de se rendre chez les d'Uberville pour y obtenir de l'aide.
Alec d'Uberville, bien sûr, vil séducteur de Tess, essaie de s'amender en devenant religieux, mais cette conversion ne dure que le temps de quelques regards lancés à Tess dès qu'il la revoit, ce qui nous le rend encore plus méprisable.
Mais le pire est sans doute son mari Angel Clare, qui bien qu'il s'en défende, va volontairement, lui aussi, lui infliger souffrance, malheur et honte. Cet homme davantage fait de pensées que de sentiments, enferré dans une morale rigide et dépourvue de toute compréhension, fait ressortir par comparaison la force morale de Tess et sa capacité à essayer de s'en sortir seule.
A la fois roman féministe s'opposant à la morale bien pensante et roman naturaliste décrivant de façon détaillée la vie paysanne et les travaux saisonniers (très belles pages sur la laiterie, la moisson du blé ou la récolte des navets), le roman célèbre aussi la nature, avec de magnifiques pages sur les paysages anglais, un peu exaltées sans doute, mais dont la poésie s'accorde merveilleusement aux humeurs de Tess.
La fin du livre est terrible, à la fois désespérée et libératrice et laisse le coeur lourd et l'âme triste.