Vous ne savez pas utiliser un appareil photo, ni conduire une auto, ni même nager, vous ne parlez aucune langue étrangère et vous êtes méfiant à l'égard des nouvelles technologies, vous n'appréciez guère le téléphone et la machine à écrire, vous avez horreur de prendre l'avion et de surcroît vous n'êtes pas sportif. Alors, pourquoi ne pas devenir grand reporter ? C'est le défi que s'est lancé
Albert Londres pour devenir l'un des journalistes les plus célèbres du XXe siècle. Né en 1884 à Vichy, un grand-père chaudronnier, des parents petits commerçants,
Albert Londres a 19 ans il écrit de la poésie et décide de monter à Paris pour devenir apprentis journaliste. En quelques années de sa courte vie il va parcourir le monde, infatigable voyageur il ira partout sur le globe pour dénoncer les injustices et l'oppression, entre janvier 1919 et novembre 1922, soit un peu moins de 4 ans, il va visiter 80 pays. Mais sa carrière de globe-trotter ne s'arrêtera pas là il visitera aussi le japon, l'
Indochine, l'Inde, l'Amérique et la Chine. le premier grand reportage qui le révélera au public est celui qu'il fera en Guyane pour mener une enquête sur le bagne de Cayenne. Ses articles dans le petit Parisien sont sans complaisance pour les autorités pénitentiaires. Il décrit le manque d'hygiène, la faim, les cellules étroites et obscures, les mauvais traitements. Il publiera 25 articles sur ce sujet et contribuera à l'abolition du bagne en Guyane et au retour progressif des condamnés en France.
Albert Londres se rend ensuite en Afrique du Nord pour mener la même enquête sur le bagne de Biribi. Il enchaînera avec la visite des asiles d'aliénés en France en se faisant passer pour un membre du personnel médical. Après le tour du monde, il va couvrir le tour de France. C'est tout naturellement qu'on lui attribuera la célébrissime formule des « forçats de la route » pour qualifier les coureurs du Tour de France.
Partout où il y a des exploités, des démunis, des drames, il apportera son témoignage. En 1927 il fera une grande enquête sur la prostitution "la traite des blanches" et publiera un livre sur ce sujet. En 1928 il se rend en Afrique pour y dénoncer la condition des noirs soumis aux colonisateurs. le sort des juifs et la question du sionisme lui feront encore parcourir des milliers de kilomètres en partant de Londres pour arriver à Tel-Aviv en passant par Prague. La Chine l'intéresse également, il s'y rend au moment du déclenchement de la guerre Sino-Japonaise. Ce sera son dernier reportage en 1932. Après quelques mois d'enquête, il décide subitement de revenir en France et s'embarque à bord du George-Philippar. Quelques jours après le départ un court-circuit déclenche un incendie qui devient rapidement hors de contrôle. le capitaine ordonne l'évacuation du navire. Cinquante personnes (sur 700 passagers) restent bloquées dans les cabines, parmi celles-ci se trouve
Albert Londres. Personne ne pourra lire sa dernière enquête. La veille du départ, il avait confié à son gendre « Ah mon cher ami, quelle enquête je rapporte, c'est de la dynamite ! Énorme ! » Il n'en faut pas plus pour que la presse s'emballe et parle d'un complot pour empêcher la publication de ses articles susceptibles de compromettre jusqu'aux plus hautes personnalités de l'État. Cette fin théâtrale est à l'image de la vie étonnante d'
Albert Londres qui restera une figure mythique du journalisme.
Le livre de
Benoît Heimermann raconte toutes ses péripéties en s'appuyant sur de nombreux documents. Ce beau livre, solidement relié, imprimé sur un beau papier, est agrémenté d'une très riche iconographie, de dessins d'époques, de nombreuses photos inédites en double page, d'extraits de coupures de journaux et de cartes postales envoyées par
Albert Londres à sa fille Florise. Une lecture très agréable qui nous renseigne sur une époque et un métier en devenir, celui de grand reporter. Une manière de parcourir le monde pour comprendre et informer en faisant de son témoignage un moyen de pression pour changer les politiques en faveur des opprimés. Un bel hommage à l'oeuvre d'
Albert Londres, le pionnier du journalisme d'investigation dont le style imagé et passionné a impressionné tous les lecteurs de son époque et qui reste encore aujourd'hui un modèle.
« Je demeure convaincu qu'un journaliste n'est pas un enfant de choeur… Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie… Mon oeuvre ? Elle consiste uniquement à prêter une voix, si faible soit-elle, à ceux qui, cependant, ont à se plaindre… » Citation d'
Albert Londres (page 152).
— «
Albert Londres, La plume et la plaie »,
Benoît Heimermann, Paulsen (2020) 221 pages