Préface :
Jean Hougron
ISBN : 9782221101902
Premier volume d'une série qui en comporte sept, "
Tu Récolteras La Tempête" nous plonge d'un seul coup au coeur de la somptueuse et étouffante "Nuit Indochinoise" dont son auteur garda l'éternelle nostalgie, mais c'est aussi le livre qui met en vedette, pour la première fois, le Dr Georges Lastin, que l'on retrouvera dans "
Soleil au Ventre." Georges Lastin, on l'apprendra au troisième et dernier tiers du roman, n'est d'ailleurs pas son identité véritable mais il est bien médecin et se fait remarquer entre autres par une habileté sans pareille pour tout ce qui regarde la gynécologie et l'obstétrique.
A ceux qui, pour suivre la mode du temps - mode honteuse de délation et d'arrogance qui repose sur du vide, on s'en apercevra vite, soit-dit en passant - qualifieraient Hougron, qui reçut entre autres le Prix du Roman Populiste 1965 pour "
Histoire de Georges Guersant", de fachoantimigrantnaziantieuropéenantieuromachinchose, etc, etc ..., nous leur dirons tout d'abord de se taire et de lire avant de juger - s'ils savent lire, bien sûr et surtout s'ils sont capables de réfléchir par eux-mêmes, ce dont nous nous permettons de douter. Ce qui fait, justement, l'originalité de "La Nuit Indochinoise" tout entière, c'est l'impartialité de son auteur qui examine les qualités et les défauts des uns comme des autres tout en tenant compte du contexte politique (la IVème République) de l'époque. Quand on aime quelqu'un ou quelque chose, on l'aime aussi pour ses défauts.
L'action de "Tu Récolteras ..." se situe dans le petit village de Takvane, au Laos, où vivent une soixantaine de Blancs, tout le reste se composant d'Asiatiques mais pas forcément d'indigènes. En effet, si les Laotiens, réputés pour leur paresse et leur bonne humeur, sont bel et bien présents, ce qui est normal, il se mêle à eux des Viêt-namiens, caquetant, prompts à la dispute et qui, en général, sont plutôt actifs et assez bruyants ainsi que quelques Chinois authentiques, de l'avis de tous "les mieux nourris" nous signale l'auteur mais sans méchanceté, qui tiennent en général les plus gros commerces, tel Lau-Chau qui finira par fuir devant le retour de Blende, un Blanc qu'il avait fait capturer par les Viêts-minh afin de lui souffler sa concubine (ou congoï), la très belle Sunnath. Et puis, bien sûr, il y a les métis. Un seul sort du lot ici, Aldric, le frère
De Lee, la "congai" (mais tout le monde dit l'épouse, par courtoisie) de Lastin - Paul Aldric, que les initiés surnomment aussi "King Cobra" et qui règne sur tout le trafic d'opium de la région.
L'opium ... Bien connu des Chinois, il est comme le tabac. On peut en consommer modérément ... ou alors se noyer dedans et en mourir, comme le tout jeune et fringant Dravet qui, à peine débarqué de Saigon, s'est installé dans sa paillotte avec sa pipe et sa dose, que lui apportait fidèle sa concubine. Car, pour beaucoup de femmes, laotiennes ou vietnamiennes, l'opium, c'est aussi un moyen de garder leur homme à la maison. Lee elle-même a essayé un temps avec Lastin mais celui-ci s'en est aperçu et lui a flanqué la rossée de sa vie - la seule d'ailleurs qu'il lui ait jamais donnée.
Paresseusement, à l'image du pays et de ses habitants, qu'accablent souvent une chaleur épouvantable et, à la saison des pluies, des ondées ... chaudes et un petit vent frais entre deux, Hougron nous dévoile le paysage de Takvane avec ses personnalités les plus marquantes, Blancs et Jaunes confondus : Lastin bien sûr et Lee, un beau couple et un couple uni, malgré tout, malgré le mystère qui plane parfois sur les traits durcis du médecin ; le résident Vellanet, qui a marié sa belle-fille, Hélène, au médecin-chef de l'Hôpital, le Dr Cadrol ; les "soiffards", en général des Blancs, même si, sur ce plan, les Asiatiques ne laissent pas volontiers leur place aux colons, dont Kérol, un personnage d'origine bretonne dont on apprend à aimer l'humanité profonde, Rocques, toujours de l'avis du dernier qui a parlé, quelques militaires dont les noms s'oublient vite sauf peut-être celui du commandant Brault, surnommé par tous "Nounouche" et que
Fernand Raynaud aurait pu prendre comme modèle pour son célèbre adjudant , Breccini, qui tient au tout début le rôle du douanier de service mais qui, à deux mois de son retour en France, ou plutôt en Corse, sera abattu par les hommes d'Aldric, Velaine, son remplaçant, timide et doux en apparence mais homme résolu et ferme en réalité ... de l'autre côté, Aldric et Lau-Chau se détachent nettement, le métis vainqueur en toutes choses et qui repartira, avec son épouse russe, Dora, ancienne taxi-girl, se refaire une vie paisible en France, le Chinois lamentablement battu d'avance par sa lâcheté devant l'incroyable changement de caractère que son séjour chez les Viêt-minh aura suscité chez Blende, pourtant réputé faible ...
Et comment oublié le père Cressu, qui n'a jamais pu oublier son épouse Marcelline et leur fils, torturés et tués sous ses yeux par les Japonais pendant l'Occupation et qui finira par en perdre la raison ? Ou encore Soclauze, le bistrotier qui mourra de tuberculose à Takvane, après avoir fait rapatrier sa petite-fille, Françoise, sous la garde d'un soldat en permission, lui-même père d'une petite de quatre ans ?
Et les femmes là-dedans ? Blanches, métisses ou asiatiques pures, elles règnent le plus souvent en maîtresses, éminences souvent grises mais éminences tout de même. Certaines cependant, issues du couvent-orphelinat où aurait échoué la petite Françoise si Lastin n'avait pas "prêté" à un Soclauze moribond les 3 500 piastres nécessaires à son embarquement pour la France, ont, quelles que soient leurs origines, le profil des "femmes battues." Certaines, comme la mère Pétri, sont même heureuses de ce rôle qui les fait plaindre de tout le monde. Pareil qu'en métropole, on vous dit ! ...
Dans ce petit monde qui, finalement, ressemble tellement au nôtre, la guerre s'immisce par l'intermédiaire de Khône, le frère
De Lee, qui, à la fin du roman, lance deux grenades dans une réunion dansante à la Résidence, ce qui cause plusieurs blessés et quatre morts - si mes souvenirs sont bons. Lastin, qui n'a jamais été pour la demi-mesure, prendra alors les choses en main ...
Lastin est plus ou moins le porte-parole de l'auteur quand il nous démontre que, entre Blancs et Asiatiques, les cultures sont différentes et que ce que les uns prennent pour de l'hypocrisie n'est finalement que très naturel chez les autres, l'hypocrisie pouvant changer de camp. Si chacun y mettait du sien, ce serait sans doute différent ... Et peut-être aurait-ce été différent pour l'Indochine française. Mais, outre les communistes du Viêt-minh, souvent armés par les Américains, il y a justement les USA, qui songent à s'emparer des colonies françaises (ce qu'ils regretteront, une fois plongés dans ce qui deviendra, dans les années soixante-soixante-dix, "la Guerre du Viêt-nam") : ce petit monde, qui avait ces qualités et ses défauts ne survivra pas à cette double pression. Hougron en conserve cependant un souvenir ébloui, nostalgique et intensément vivant, qu'il nous invite à partager. Nous espérons que vous y prendrez autant de plaisir que nous. Bonne lecture ! ;o)