« Va avec l'offensé, va avec l'humilié – mets tes pas dans leurs pas ; où s'entend le malheur, où pèse la douleur – sois le premier là-bas... »
Révoltée parce qu'il fallait bien lui trouver un titre et que celui-là correspondait plutôt pas mal à la moelle de ce livre coup de poing – retrouvé il y a peu – écrit par une condamnée à ce que la Tchéka, police politique Russe post-Révolution, appelait précieusement "la plus haute mesure de protection de la société", comprendre la peine de mort.
Et en effet,
révoltée, c'est bien le moindre des adjectifs pour qualifier
Evguénia Iaroslavskaïa-Markon, l'auteure de cet impressionnant témoignage dont elle nous assure (et il n'est pas question de douter d'elle) qu'il a été écrit dans l'urgence. Une allégation qui laisse pantois. Quoi ? ce manuscrit aurait été écrit à la va-vite ? Bonjour le talent !
Alexandre Iaroslavski, son mari, écrivait des poèmes ; quel dommage qu'elle n'ait pas suivi son exemple, une auteure pareille nous aurait laisser des petits joyaux. Sûr qu'on est passé à côté de quelque chose.
Mais Evguenia, avant l'amour des mots, érigeait l'amour de la vie au centre de la sienne, vie de bohème, de clochards, d'escrocs à la petite semaine, de voleurs, de prostituées, bref des mis au ban de la bonne société... Devant cette vie d'aventures, elle ne tarit ni d'éloges ni de compassion envers ses contemporains du moment qu'elle les trouve authentiques dans leur alternative de vie... Et quoi de plus sincère que le peuple des bas-fonds ?! Pour elle, rien. Dès lors, elle ne désire plus que rejoindre tous ces gueux dont elle rêve de partager les péripéties.
Un choix qui lui vaudra l'emprisonnement, pensez, brigande ET opposante politique !! Jackpot pour la Tchéka qui, après avoir exécuté son mari, ne laisse pas beaucoup planer le doute sur le sort futur d'Evguenia.
Et pourtant sa naissance la destinait à tout sauf à cette vie de gangstérisme. Née dans la bourgeoisie russe qui lui voit déjà un avenir notable dans la haute société slave, elle réfute cette trajectoire et commence à se rebeller durant ses études secondaires dont elle se fera vite jeter propre et bien. Qu'importe, la Révolution de 1917 pointe son nez et c'est avec engouement qu'elle y participe. Engouement qui sera de courte durée, le communisme autoritaire une fois au pouvoir ne fera de cadeaux à personne et surtout pas aux anarchistes dont elle se réclame.
Le réveil est douloureux mais comme elle s'en rendra compte par la suite : « La notion même de révolution figée dans la victoire est absurde, tout comme celle de mouvement arrêté : si c'est arrêté, ce n'est plus une révolution ! La révolution, par essence, est un mouvement orienté vers le renversement du régime. »
Tout en sachant qu'elle va mourir sous peu, Evguenia crache (au sens propre et figuré) sur ses bourreaux, leur tient tête lors des interrogatoires et, même une fois exécutée, nous laisse en héritage sa Liberté spirituelle et son intelligence que ses tortionnaires, malgré tous leurs efforts, n'auront pas réussi à lui ravir.
Пиздец ! Quelle vie, quelle insolence, quel courage... quelle femme !!