Philippe Jaccottet parcourt la vie et les poèmes de Rilke, qu'il a traduit, cherchant à éclaircir en quelque sorte la personnalité du poète par le biais de ses écrits, y compris sa correspondance. On découvre ainsi le poète s'interroger sur Dieu, la sensualité, la perte, la mort qu'il doit finalement affronter, dans une longue douleur, sans que tout soit dit.
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Aux derniers vers de la Huitième Élégie, la plus belle peut-être, toute consacrée à dénoncer la difficile condition humaine :
Qui nous a retournés de la sorte, que nous
ayons dans tous nos actes, l'attitude
de quelqu'un qui s'en va ? Et comme sur
la dernière colline qui lui montre encore une fois
sa vallée tout entière, il se retourne et tarde -,
tels nous vivons, à chaque pas prenant congé.
Si Rilke ne s'est pas effondré, alors qu'il l'aurait pu si souvent, s'il n'avait pas à chercher remède hors de lui, dans la psychanalyse, la morale, la politique ou la religion, c'est qu'il pouvait écrire de telles lignes ; c'est à dire constater une évidence qui semble suffire à rendre la vie impossible ou vaine, et en même temps, par l'image qui la saisit, l'inscrire - sans l'effacer ni la tourner - dans une immensité qui la change, dans une figure qui l'apaise ; c'est-à-dire maintenir l'homme et le monde saufs. Cette expérience ne peut être prouvée, ni formulée ; elle ne peut qu'être intimement revécue ( par le lecteur ).
La poésie finalement est cette possibilité d'insérer la plainte dans une totalité qui la résorbe. [...]
" Être ici est splendeur "
René Rilke, c'est Rilke avant Rilke, non pas un génie précoce, mais un jeune homme sensible qui écrit par don naturel et pour s'opposer à ce qui l'a blessé : la médiocrité du milieu, la raideur de son père, la frivolité et la bigoterie de sa mère, la brutalité de l'Ecole militaire ; et puis aussi toute la détresse humaine, devinée de loin...
C'est l'adolescent qui se promène dans Prague un iris à la main, parce qu'il a l'âge maladroit où l'opposition prend volontiers les formes les plus extérieures, les plus voyantes. C'est un être meurtri, mal préparé en effet à la vie ; mais il dispose de cette arme qu'il a opposée dans son tout premier texte à l'épée : la plume.
600ème citation
Comment se fait-il que nous puissions fermer les yeux et garder en nous le visible ? Et ne nous serait-il pas permis, et même intimé, de faire comme l'anémone qui se referme, au soir, sur ce qu'elle a absorbé de jour, et se rouvre le lendemain un peu plus grande ?
Naïvement pur d'avenir, je suis
monté sur le bûcher trouble de la douleur,
sûr de ne plus acheter d'avenir
pour ce cœur où la ressource était muette.
( Extrait du dernier poème qu'il a inscrit dans son carnet sans pouvoir l'achever, vers la mi-décembre 1926. )
Le 9 août 1924, à la comtesse M. qui lui parlait des Élégies et des Sonnets, Rilke écrit :...La présence d'un tel poème dépasse singulièrement la platitude et l'accessoire de la vie quotidienne ; et pourtant, c'est sur cette vie qu'a été conquise, c'est d'elle qu'a été tirée cette réalité plus grande, plus valable ( et l'on se demande soi-même comment ) ; car, à peine celle-ci obtenue, on se retrouve dans le destin commun, aveugle, parmi ceux qui oublient, ou qui font comme s'ils ne savaient pas, et qui contribuent par leur vague, leur imprécision provisoire, à augmenter la somme d'erreurs de l'existence. Ainsi, toute grande réalisation de l'art, jusque dans sa plus grande réussite possible, est à la fois distinction et humiliation pour celui qui en a été capable.
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