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Jusuf Vrioni (Traducteur)
EAN : 9782253062851
625 pages
Le Livre de Poche (01/03/1993)
3.67/5   45 notes
Résumé :
Dire de ce chef-d'oeuvre du grand romancier albanais, auteur du Général de l'armée morte, qu'il évoque la rupture entre Tirana et Pékin au début des années 70 serait exact, mais un peu court.
Autour de cet événement dérisoire - une piqûre de moustique sur le crâne du président Mao ! -, Kadaré déploie une fresque immense et passionnante, où la vie quotidienne sous la chape de plomb communiste, les intrigues dans les hautes sphères du PC chinois, la satire impi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Roman, ou alors livre d'histoire déguisé en roman, «Le Concert» est un livre majeur, une plongée, une révélation dans les conflits internes du camp communiste. L'Albanie occupa longtemps, avec les Khmers rouges, la place d'honneur sur le podium de l'horreur, rôle repris aujourd'hui par la Corée du Nord. Sous la dictature ubuesque d'Enver Hodja (de 1946 à 1985), l'Albanie rompit successivement avec la Yougoslavie, l'URSS et la Chine, et se retrouva pure et dure, mais isolée et pauvre parmi les pauvres. Lors de mon voyage en Albanie à cette époque où j'ai rencontré Kadaré, les rues de la capitale n'étaient pas toutes pavées, les rares autobus, aux vitres cassées, avaient été rachetés d'occasion aux Algériens, la possession d'une voiture particulière était interdite au point que le large boulevard principal ressemblait à un piétonnier désert, et il n'y avait qu'un seul feu rouge dans le pays, pour bloquer la circulation devant le siège du parti communiste !

Ismaïl Kadaré est un témoin majeur de cette époque, au coeur du système, quand la littérature de l'Est tentait de faire croire à l'idéalisme d'un bloc uni par une théorie marxiste que la Chine a délaissée aujourd'hui au profit de richissimes capitalistes. «Le Concert» est un témoignage de l'intérieur, comme d'autres oeuvres de Kadaré, par exemple «Le Temps des querelles» et «L'Hiver de la grande solitude». Ce livre évoque de manière pittoresque, presque à la Daumier, la rupture avec Pékin à travers le quotidien de plusieurs personnages. Il la compare avec la rupture précédente, avec le Kremlin, et décrit aussi la lutte entre les factions chinoises, la liquidation par Mao de Lin Piao, son successeur désigné accusé de trahison, et l'emprisonnement de la veuve de Mao, à la tête d'une autre faction, la fameuse Bande des Quatre. Trop puissant car s'appuyant sur l'armée, Lin Piao est officiellement mort dans un accident d'avion qu'on a jamais cherché à éclaircir, mais dont Kadaré donne une version précise. Son livre évoque surtout la répercussion au quotidien, en Albanie, de cette lutte pour le pouvoir qui se passe loin, en Chine. le titre du livre se réfère à un concert qui se passe à Pékin, où des Albanais tentent de déchiffrer ce que cachent les absences de certains officiels au concert, et les préséances dans la loge officielle, pendant que Mao est proche de la mort (chapitre 13).

Écarté du pouvoir par le parti communiste à cause de l'échec catastrophique de sa politique de «Bond en avant», Mao avait réussi à reprendre le pouvoir au parti en s'appuyant sur les Gardes Rouges et sur l'armée, rivale du parti, lors de la Révolution Culturelle. Un ministre albanais en visite à Pékin se voit alors suggérer de faire de même avec une action symbolique, et de retour dans son pays, l'Excellence en question fait encercler une réunion de province du parti par des blindés, comme suggéré par les Chinois. Quatre des six officiers, fidèles au parti, refusent d'exécuter l'ordre, sont exclus de l'armée par le ministre, et emprisonnés avec interdiction sous peine de représailles de révéler la raison de ces sanctions, même à leur famille. Mais la lutte entre les factions fluctue comme une girouette, les officiers sont libérés et on va même jusqu'à fantasmer que «La Chine doit être balayée de la surface du globe». Sur la sellette, le ministre cherche à sauver sa peau et félicite même les officiers de lui avoir désobéi dans une scène d'un grand comique. «Il devait absolument trouver quelque chose à dire, présenter les choses comme… le résultat d'un aveuglement politique provoqué par des insuffisances dans l'étude du marxisme-léninisme» ou mieux encore, détourner la colère sur son collègue, ministre de l'économie, vu la situation calamiteuse du pays. Ou encore se rappeler qu'Enver Hodja, au cours d'une réunion du Bureau politique, avait demandé au ministre de l'Intérieur : «Pourquoi, jusqu'ici, les complots ont-ils toujours été découverts par le Parti, et jamais par la Sécurité d'État ? – et qu'à cette question, le visage du ministre était devenu livide».

Finalement, le ministre est emprisonné et le meilleur chapitre du livre, le chapitre 17, est un véritable morceau d'anthologie où le ministre et ses exécutants se livrent à une surenchère d'autocritique à la phraséologie stéréotypée et ridicule dont Kadaré se moque avec délectation.

Longtemps, les journaux affichent une unité de façade entre la Chine et l'Albanie, mais une multitude de petits faits alimentent les rumeurs. Soudain, les bateaux chinois chargés d'apporter des équipements subissent des retards. le traducteur Ekrem ne reçoit plus de textes chinois à traduire, avant d'être réapprovisionné quand le vent tourne à nouveau. Un contrat est annulé sans explication. Des étudiants chinois rentrent au pays. On démonte l'antenne qui retransmet les nouvelles de Chine. Un Albanais marche involontairement sur le pied d'un Chinois dans un autobus. La presse chinoise s'en empare, on brandit des radiographies et on rappelle le Chinois en question à Pékin pour l'exhiber avec le pied dans le plâtre. Et comme tous ces petits épisodes croqués sur le vif ne suffisaient pas, on invente la mort héroïque d'une personne qui n'existe pas et qu'on propose comme modèle aux masses (voir citation).

Il y a aussi une gigantesque opération paranoïaque où de faux ramoneurs et de faux plombiers posent des milliers de micros-espions dans les maisons et les vêtements des personnes à surveiller, mais le matériel est défectueux et des milliers d'écoutants n'entendent au mieux, entre les grésillements, que des banalités ou des propos d'alcôve, et lorsqu'on s'aperçoit qu'un micro était dans la veste d'un tué lors d'un accident de la route, il faut aller déterrer le cadavre quelques semaines plus tard, en pataugeant dans la boue et par une pluie battante. Tout le livre est ainsi d'un humour grinçant.

Une chose m'a frappé, l'obéissance aveugle aux ordres les plus absurdes. Comme Eichmann, des gens sont pris dans une idéologie qui annihile toute réflexion personnelle. On tue sans état d'âme parce que l'ordre vient d'en haut. Kadaré introduit souvent des allusions à Shakespeare (Macbeth et Duncan par exemple) et aux classiques grecs. C'est que le sort des Albanais se fait et de défait sans eux et loin d'eux, à Pékin, tout comme dans les tragédies grecques, les hommes ne sont que des marionnettes aux mains des dieux qui se disputent entre eux comme dans l'Odyssée d'Homère. Et les hommes subissent sans comprendre.
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Me voilà à mi-roman et, autant le dire, ce fut ardu. Personnages qui tergiversent, pensées obsessionnelles retournées sous toutes les coutures de l'anxiété... et acteurs que l'on rencontre pour avoir une information... que l'on obtient jamais. Ca reste vague, c'est frustrant mais apparemment ça contente. Sauf le lecteur. Plus de 200 pages avant d'avoir une légère idée de ce qui se trame et ça continue de tirer en longueur. Il est bien possible que je me sois habituée à des récits plus dynamiques, à la sauce de notre époque mais j'ai adoré des romans lents que je trouvais fins, bien écris, intéressants. Celui-ci me tue d'ennui.
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critiques presse (1)
Telerama
29 juillet 2020
Le roman, foisonnant, polyphonique, mêle burlesque et tragique, individuel et collectif, satire et émotion en un stupéfiant mélange.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
I(Arian officier de l'armée albanaise à l'époque communiste) Il est probable, pour ne pas dire certain, que je vais être exclu du parti dans les jours qui viennent. De l'armée également, cela va de soi.
(Silva) D'autres seront-ils également sanctionnés?
Quatre des six officiers de l'unité des blindés. Ceux qui ont refusé d'obtempérer.
Tu te sens coupable?
Absolument pas.
...
Nous autres, Albanais, ne pouvions d'aucune manière approuver le rapprochement sino-américain. Il fallait donc s'attendre à une certaine tension...
Les Chinois, disait-on, avaient tenté de faire suspendre les représentations (en Chine, Tchekhov, tout comme Shakespeare, était interdit).
(Mao à qui le PC albanais a demandé d'annuler la visite des Américains) Et voici que cet Etat qui ne représente qu'un millième de la Chine, a le toupet de m'écrire une lettre. Non seulement cet État refuse de m'obéir, mais il cherche à m'imposer ses volontés. Il mérite un châtiment. Je le lui infligerai.
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(Un comité a été chargé d'inventer pour les masses un personnage mort de manière héroïque, et lui a conçu toute une biographie. On s'apprête à clore le dossier quand quelqu'un s'avise qu'on a oublié de donner un nom à ce personnage mythique).
Ils l'affublèrent du premier nom qui leur passa par la tête: Lei Feng, et le dossier fut clos (p. 302 de l'édition Fayard).
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A Pékin, disait-on, les divers clans s'étaient empoignés farouchement dans la lutte pour le pouvoir. L'hiver apporterait une nouvelle vague de terreur. A ce qu'il semblait, Mao était patraque...
Lorsque nous avons décroché le portrait de Khrouchtchev du mur de la classe (en Albanie), que l'un de nous a même voulu le piétiner, la maitresse est intervenue, disant qu'il ne fallait pas en rajouter...
En fait de complexe métallurgique, ça devait plutôt ressembler à un atelier de forgeron...
A la place de Zeus, Mao... aurait envoyé Prométhée dans les rizières, plongé dans la fange et le peuple...
C'étaient des messages d'écrivains déportés pour une période de rééducation... reconnaissants (les messages) de nous avoir délivrés du démon de l'écriture.
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belcantoeu 29 juin 2021
Pol Pot, le maitre du Cambodge,... avait esquissé dans le secret de son cerveau un nouveau massacre, d'une ampleur encore inédite, non seulement dans son propre pays, mais dans l'ensemble de l'Asie, si ce n'est dans l'humanité toute entière. Il ne s'était encore ouvert à personne de la dimension de ce projet et, ce soir, à l'occasion du concert, il essayerait de deviner si les temps étaient mûrs pour un tel carnage.
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Lorsqu'il entendait parler des réserves mondiales de pétrole, de charbon ou de sel gemme, il s'étonnait presque que perso ne ne rendit compte nulle part des réserves planétaires de méchanceté, de bonté, de crimes. Il était convaincu qu' il en existait ainsi des gisements, à l'instar des autres minerais ou des ressources énergétiques. L'histoire est écrite de manière absolument erronée , meditait-il alors: quelques batailles, quelques traités , mais l'essentiel fait toujours défaut.
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Videos de Ismaïl Kadaré (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ismaïl Kadaré
http://www.club-livre.ch#Bessa_Myftiu Interview de Bessa Myftiu réalisée par le Club du Livre en partenariat avec Reportage Suisse Romande
Bessa Myftiu, née à Tirana, est une romancière, poète, conteuse, essayiste, traductrice, critique littéraire, journaliste, scénariste et actrice établie à Genève, en Suisse romande, de nationalité suisse et albanaise. Pour commander un ouvrage de Bessa Myftiu : En SUISSE : https://www.payot.ch/Dynamics/Result?acs=¤££¤58REPORTAGE SUISSE ROMANDE36¤££¤1&c=0&rawSearch=bessa%20myftiu En FRANCE : https://www.fnac.com/SearchResult/ResultList.aspx?SCat=0%211&Search=bessa+myftiu&sft=1&sa=0
Fille de l'écrivain dissident Mehmet Myftiu, Bessa Myftiu fait des études de lettres à l'université de Tirana et par la suite elle enseigne la littérature à l'université Aleksandër Xhuvani d'Elbasan. Elle devient ensuite journaliste pour le magazine littéraire et artistique albanais La scène et l'écran. Elle émigre en Suisse en 1991 et s'établit à Genève dès 1992, passant son doctorat et devenant enseignante à l'université de Genève en faculté des Sciences de l'éducation, tout en poursuivant en parallèle ses activités dans les domaines de l'écriture et du cinéma. Depuis 2013, elle enseigne à la Haute École Pédagogique de Lausanne. Elle est par ailleurs membre de la Société Genevoise des Écrivains BIOGRAPHIE 1994 : Des amis perdus, poèmes en deux langues, Éditions Marin Barleti [archive], Tirana 1998 : Ma légende, roman, préface d'Ismail Kadaré, L'Harmattan, Paris (ISBN 2-7384-6657-5) 2001 : A toi, si jamais?, peintures de Serge Giakonoff, Éditions de l'Envol, Forcalquier (ISBN 2-909907-72-4) 2004 : Nietzsche et Dostoïevski : éducateurs!, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 978-2-915741-05-6) 2006 : Dialogues et récits d?éducation sur la différence, en collaboration avec Mireille Cifali, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 978-2-915741-09-4) 2007 : Confessions des lieux disparus, préface d'Amélie Nothomb, Éditions de l'Aube, La Tour-d'Aigues (ISBN 978-2-7526-0511-5), sorti en 2008 en livre de poche (ISBN 2752605110) et réédité en 2010 par les Éditions Ovadia (ISBN 978-2-915741-97-1), prix Pittard de l'Andelyn en 2008. 2008 : An verschwundenen Orten, traduction de Katja Meintel, Éditions Limmat Verlag [archive], Zürich (ISBN 978-3-85791-597-0) 2008 : le courage, notre destin, récits d'éducation, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 9782915741087) 2008 : Littérature & savoir, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 978-2-915741-39-1) 2011 : Amours au temps du communisme, Fayard, Paris (ISBN 978-2-213-65581-9) 2016 : Vers l'impossible, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 978-2-36392-202-1) 2017 : Dix-sept ans de mensonge, BSN Press, (ISBN 978-2-940516-74-2)
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