Le sociologue bien connu de l'individu et du couple s'essaie ici à une dimension non pas plus micro (comme pourrait le faire croire l'aspect psychologique du thème) mais paradoxalement plus macro dans (ou que) la démarche sociologique, à savoir l'histoire de l'idée d'amour, à partir de l'héritage indo-européen du zoroastrisme jusqu'à nos jours. Étant sociologue et non historien des idées, Kaufmann a dû improviser sur la méthode (cf. le dernier § de la conclusion) et surtout sur le style, en prenant "l'option de l'argumentation narrative", peut-être aussi par une inhibition à traiter de façon trop académique ou pédantesque le thème de l'amour, peut-être pour s'adresser au plus grand nombre. Il est conscient que cette démarche peut déplaire par excès et/ou par défaut de vulgarisation.
Quant aux contenus. Une dialectique toujours re-déclinée est posée comme hypothèse, qui démultiplie le concept d'amour entre : 1. l' "agapè" universelle et tranquille, inscrite dans le réel et reposant sur la sagesse et la modération ; 2. l'amour-passion, première forme d'individualisation, particulière et tumultueuse, entraînant le refus du monde réel ; 3. une sorte d'anti-amour fondé sur l'égoïsme calculateur, en relation avec l'émergence de l' "homo economicus" dès la naissance du capitalisme et renforcé jusqu'à sa position totalement centrale et dominatrice actuelle par la Renaissance d'une part et les Lumières d'autre part.
Certaines étapes-clés supplémentaires sont mises en exergue, comme le XIIe s., avec le premier passage de l'agapè à la passion par le truchement du catharisme transformé en amour courtois. Autre étape-clé consiste dans la transformation du Romantisme en romance.
Ces points de charnière historiques sont séduisants ; j'adhère au postulat que l'on puisse procéder par enjambées sur plusieurs siècles et que les idées puissent pénétrer la société en se dénaturant complètement jusqu'à devenir l'inverse d'elles-mêmes et investir tour à tour la sphère publique ou privée. Mais j'aurais souhaité de véritables démonstrations notamment "textuelles", documentaires, rigoureuses, historiques enfin, justement sur ces étapes-clés. Car enfin, par ex. le passage de l'hérésie cathare à la passion... ou les autres d'ailleurs... ça mérite plus que d'être "raconté".
C'est pour cette raison que les chapitres deviennent de plus en plus convaincants à mesure que l'on s'approche de notre modernité : notamment "La fabrique du couple amoureux" et "La quête du bonheur", là où l'historien dilettante redevient sociologue professionnel, sans changer de ton par ailleurs, et où l'on a de surcroît le bénéfice de constater l'historicité de ce qui nous semble de nous jours allant de soi, donc intemporel...
Malgré le faux sentiment de familiarité concernant notre actualité, il y a là une mise en relation plus "politologique" entre notre vécu de l'amour et notre "être en société" qui me paraît extrêmement intéressante et... subversive.
"[...] la situation d'aujourd'hui, à la fois dramatique et merveilleuse. Dramatique, parce que le modèle de l'individu calculateur est devenu si puissant qu'il gangrène même l'univers privé. le choix du partenaire conjugal notamment est de plus en plus dominé par une logique consommatoire (comparer les produits pour trouver le meilleur) qui rend l'engagement très problématique. Merveilleuse à cause de l'obligation au bonheur paradoxalement créée par les malheurs du monde." (p. 18)
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J'ai été assez déçue par ce livre. Je m'attendais à une étude beaucoup plus complète et détaillée sur l'origine de l'amour et sa perception actuelle dans la société.
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Or la majorité des franciscains, et François lui-même, prennent en fait une position différente. Donner aux pauvres ne suffit pas observent-ils, il faur étudier comment ce don est reçu et utilisé. Ils remarquent en effet que certains pauvres à qui l'on donne se comportent de façon aussi cupide que bien des riches. Ils remarquent également qu'il existe des besoins qui apparaissent nécessaires alors que d autres sont superflus. Ils remarquent enfin que pour organiser plus massivement les dons, il est obligatoire de manipuler de l'argent, et qu'il taut donc définir précisément comment les deux peuvent s'articuler. Le paradoxe de tout ceci a été analysé de façon très convaincante par Giacomo Todeschini. Il montre comment cette volonté d'analyse précise déboucha sur la mise au point d'instruments intellectuels et d'un langage économique essentiels aux évolutions futures de l'économie de marché. La réflexion sur un fonctionnement plus juste, plus efficace et plus réaliste de l'amour désintéressé comme fondement du lien social accélérait l'installation de l'argent commne régulateur central !
À Rome, les chrétiens parlaient beaucoup d'amour, et ces idées devaient bouleverser le monde. Mais concernant très concrètement les modalités de la vie à deux, leur apport fut pour le moins problématique, et cela pendant des siècles. Tout simplement parce qu'ils ne parvenaient pas à se sortir d'inextricables contradictions. Sans même parler comme le poète Térence de sentiment ou de plaisir dans le couple - nous en sommes loin encore, ils n'étaient, pour commencer, pas d'accord entre eux sur la question du mariage. Certes il fallait se démarquer des manichéens et la reproduction de l'espèce étant nécessaire, il convenait de le tolérer; d'autant que le concubinage anarchique qui sévissait alors n'était pas une meilleure solution. Mais comment le classer par rapport à la pureté représentée par le célibat? La question était pour le moins épineuse, car l'apologie de la solitude chaste avait nécessairement jeté un doute sur le mariage.
https://www.laprocure.com/product/1073037/kaufmann-jean-claude-petite-philosophie-de-la-chaussette
Petite philosophie de la chaussette
Jean-Claude Kaufmann
Éditions Buchet-Chastel
« La chaussette, c'est sans doute l'accessoire de notre vestiaire le plus discret, le plus anodin, parfois même le plus invisible, et c'est un défi que relève dans ce livre Jean-Claude Kaufmann : nous présenter une Petite philosophie de la Chaussette pendant deux cents pages. C'est vraiment un livre passionnant, parce qu'on découvre que la chaussette cristallise en fait bien des aspects de notre époque contemporaine, notre rapport à la mode, notre rapport à l'argent, notre rapport aussi au couple... »
Guillaume, libraire à La Procure de Paris
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