Ecrit en janvier 1956 et publié en 1963,
Visions de Gérard s'inscrit dans la lignée des romans d'inspiration autobiographique de Kerouac appartenant à l'ensemble de « la Légende de Duluoz ». Derrière la famille Duluoz et le drame évoqué, il s'agit bien de l'histoire de la famille Kerouac, mais c'est la première fois que l'auteur se penche sur sa petite enfance. En 1956,
Jack Kerouac, 34 ans, essaie de retrouver les sensations qu'il a éprouvées à l'âge de 4 ans quand son frère ainé, âgé de 9 ans, meurt des suites d'une maladie du coeur. le ton intimiste du texte le démarque de ses romans plus connus. Kerouac utilise un style simple, éloigné des tournures alambiquées de certaines de ses oeuvres et de ses expérimentations littéraires. Il fait revivre le quotidien de sa famille à Lowell, Massachusetts, dans les années 20. de nombreuses descriptions des rues de la ville, des collines et des canaux rappellent que Kerouac est toujours resté très attaché à sa ville d'origine célèbre pour ses industries de textile le long du fleuve Merrimack qui ont attiré beaucoup de travailleurs immigrés, notamment des Canadiens. La famille de Kerouac a des origines québécoises et bretonnes et le roman rappelle qu'en famille ils parlaient le canuck, le français canadien. Kerouac y mentionne le métier d'imprimeur de son père, la complicité avec sa soeur et son frère, les jeux d'enfants, la tendresse des parents désemparés face à la maladie de Gérard. Certains passages plus légers et hauts en couleur apportent un peu d'humour, comme celui où le père retrouve ses amis autour d'une partie de carte bien arrosée et qu'ils partent sillonner les rues de la ville en side-car. Lowell y est montrée comme une ville vivante et cosmopolite, où différentes communautés se côtoient. Mais ce qui surprend c'est la personne même de Gérard telle qu'évoquée, recréée par l'auteur : enfant solitaire et sensible, ouvert aux autres, il est avant tout pour Kerouac un être entièrement tourné vers la bonté, la sainteté, un exemple à suivre. Malgré la mort imminente et la souffrance, il continue à s'interroger sur le monde, le mal, la cruauté. Il semble ne pas avoir peur de mourir. Pour construire cet hommage au frère disparu, à cet idéal de pureté que Kerouac a voulu atteindre toute sa vie, il mélange rêve et réalité, (ré) invente à partir de ses souvenirs et des anecdotes qui lui ont été racontées, d'où l'importance de la « vision », thème que Kerouac explore dans d'autres oeuvres sous formes d'épiphanies, d'hallucinations, d'illuminations et autres apparitions plus ou moins mystiques. D'ailleurs la religion, autre thème fréquent chez Kerouac, est très présente dans le roman, à travers notamment la mère très pieuse qui interroge Dieu sur une telle injustice. Au moment où il écrit ce texte, Kerouac est toujours très imprégné par la religion catholique qu'il tente de concilier avec sa découverte du bouddhisme, et la figure du Christ marque profondément les deux frères. Kerouac s'attarde peu sur les douleurs physiques de l'enfant, insiste sur son stoïcisme, sa compassion pour les êtres qui l'entourent, y compris pour les animaux : Gérard cloué au lit s'émerveille des oiseaux qui viennent à sa fenêtre, il sauve une souris d'un piège et la soigne avec patience. Kerouac nous fait ressentir à quel point il a appris de son frère et en quoi sa mort a nourri ses réflexions sur la fragilité de la vie.
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