Lettres du Japon

La moitié de la ville était sortie faire une promenade. Tous les vêtements étaient indigo, tout comme les ombres, et la plupart des lanternes de papier luisaient comme des gouttes de sang. A la lueur des lampes à huile fumantes, des gens vendaient des fleurs et des arbustes – de méchants pis touchés de nanisme, des pêchers, et des pruniers rabougris, des pieds de glycine rachitiques, qui se contorsionnaient d’un air grotesque et ne ressemblaient plus à rien, tous perchés dans de gros pots vernissés d’où ils jetaient un regard torve sur le monde environnant. Dans la lumière dansante des flammes jaunâtres, ces pauvres estropiés et les visages jaunes qui les entouraient se joignaient à un ballet fantastique, puis les flammes d’immobilisaient et ils faisaient à nouveau semblant d’être des plantes, jusqu’à ce qu’une tiède bouffée d’air nocturne passant sur le feu renvoie toute la rue à sa danse insensée, et leurs ombres faisaient des cabrioles sur les façades.

Hélas, que le mot écrit est incomplet ! J'avais tant à vous dire sur Nagasaki et le cortège de funérailles que je rencontrais dans les rues. Il vous faudrait lire quelque chose à propos des femmes en blanc qui gémissaient en suivant le mort enfermé dans une chaise à porteurs, laquelle chaise, en bois, se balançait sur les épaules des hommes, tandis que le prêtre bouddhiste, couleur de bronze, trottait devant, et que les petits garçons couraient sur les côtés.
J'avais préparé en mon esprit des réflexions morales, des aperçus de la situation politique, et un essai complet sur l'avenir du Japon. Maintenant, j'ai tout oublié, sauf O-Toyo dans le jardin de thé.