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EAN : 9782864322870
121 pages
Verdier (13/09/1999)
4.79/5   7 notes
Résumé :
C’est dans l’entre-deux-mondes que nous entraîne Sigismund Krzyzanowski. Écrivain rejeté par son temps, inadaptable, inassimilable, il déchiffre la destinée humaine dans les coutures effilochées de son pardessus, explore le temps arrêté des cadrans aux devantures des horlogers, rassemble le néant des fissures et installe des usines à fabriquer des rêves. Comme son œuvre n’a pratiquement pas été publiée et que l’écriture ne l’a jamais rassasié, il fait mendier à son ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Dans la vie courante, un mendiant entre dans un restaurant pour vous quémander de l'argent par le prétexte de la vente d'une rose en bourgeon qui ne s'éclorera probablement jamais, ou d'autres colifichets d'aucune utilité. Chez Krzyzanowski, le même mendiant vous propose l'acquisition d'un système philosophique; vous avalez de travers ce que vous étiez en train de manger. Sûr de lui il vous demande : Vous hésitez ? Il est prêt à vous le laisser à crédit. Voyant que vous n'avez aucune intention de vous laisser arnaquer, il vous titille par d'autres chemins , “ Si vous n'avez pas les moyens d'acheter une conception du monde , peut-être vous contenterez-vous de deux ou trois aphorismes ; c'est comme vous voudrez.” Vous je ne sais pas si vous y succombez ou non, mais chez Krzyzanowski le crève faim réussit sa vente contre une assiette de soupe….
Voilà , cet écrivain unique que j'avais une première fois rencontré avec son «  Marque Page », me happe à nouveau avec son univers singulier, où l'absurde à l'origine de nos existences est prétexte pour transmuter son imaginaire fantastique en un réel psychologique et politique. Un réel politique qui l'aurait entraîné dans les purges staliniennes si son oeuvre avait été reconnue et publiée de son vivant, « N'est-ce-pas pour cette raison que les guerres sont perdues, parfois même des deux côtés en même temps, parce que leurs premières victimes sont les mots, le droit à la vérité , à la critique, et parce que la vie se retrouve enrégimentée et sans voix ? ….Oui , malheur à celui qui ose penser à l'heure de la fauche des pensées . » L'histoire tragique de la petite gentiane qui a l'audace de fleurir à l'époque de la fenaison est l'un des nombreux bijoux qui parsèment ses textes( Conversations).
Dans ces nouvelles où il pousse à l'extrême l'art de penser, réfléchir, raisonner, on y retrouve une réflexion intense sur l'espace et le temps aussi bien philosophique que sociale. Dans “Le rassembleur de fissure”, le protagoniste se penche sur le temps qui nous paraît continue mais en faites comporte des coupures , des fissures comme celles d'une image cinématographique, des fissures en secondes, où il faut transporter les espaces dans le temps. le protagoniste le voit comme un fantasme alors que le rassembleur de fissure lui prouve que ces fissures dans le temps existent bel et bien , «  le fantasme est vengé », génial !
Dans « Conversations », il affirme qu'une vie cloisonnée tue en l'homme le sens de l'espace , du monde, en ajoutant qu' «  …on peut mettre dans une tête une pensée,comme un morceau de sucre dans une tasse et, si elle ne fond pas,mélanger avec une cuillère jusqu'à parfaire dissolution ».
Dans la dernière nouvelle époustouflante , son « somnifera ultima » , un oreiller clandestin est le symbole de l'abrutissement des masses de l'époque stalinienne aujourd'hui modernisé grâce aux réseaux sociaux utilisés à gogo par les nouveaux leaders populistes voir les dictateurs.
Une imagination débordante, une érudition infinie , dont les références littéraires , philosophiques et musicales s'insèrent avec une simplicité déroutante dans ses réflexions et raisonnements. Que dire un génie cet écrivain ! Cinq nouvelles à déguster sans modération !


« Ce qui m'intéresse, ce n'est pas l'arithmétique, c'est l'algèbre de la vie »
« L'existence n'admet pas qu'on emménage chez elle «  sans intentions sérieuses. » 
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Les failles abondent dans l'oeuvre de Sigismund Krzyzanowski. Écrites en Russie stalinenne, ses nouvelles interrogent sur la rupture créée par les révolutions, qu'elles soient le fruit des hommes ou de forces incompréhensibles.

Face à la faillite des anciens systèmes, même les anciennes façon de raconter des histoires ne fonctionnent plus. Il faut en trouver de nouvelles. Les narrations se cherchent, sinuantes, s'emboîtent les unes dans les autres, se font écho, se renforcent ou se vampirisent. Ainsi « le rassembleur de fissures » vient-il écouter un conte ressemblant à sa propre histoire. Et ce conte met lui-même en scène un conteur. Et le public de ce conteur ? Des fissures. Oui les fissures, toutes les fissures, rien que les fissures, une assemblée de fissures rassemblées artificiellement par une fiction délirante, puis relâchées n'importe comment dans un monde qui s'en retrouve bouleversé, où l'ombre, l'obscurité, peuvent désintégrer notre être du jour au lendemain. Cette métaphore glaçante du régime stalinien recèle aussi une vérité ontologique : nous pensons, donc nous sommes… mais combien de temps somme-nous vraiment égaux à nous-mêmes ? Une révolution est si vite arrivée. Et parfois elle refuse de se produire, le soleil n'accomplit plus sa révolution quotidienne.

La nuit devient alors cauchemardesque dans « La voie latérale », où même le monde des rêves ne semble plus un asile sûr. Au contraire, le danger vient des rêves. Ils composent une vision apocalyptique de la ville soviétique, éclairée d'une lumière noire et changée en une gigantesque usine à cauchemars où Thomas More devient le complice de toutes les utopies dévoyées, menant une offensive sans précédent contre le monde diurne.

Que peut faire l'artiste pour se défendre ? Déclarer son indépendance et proclamer son droit à rêver éveillé :

« J'exige que les soixante-quatre modes du syllogisme qui m'ont été confisqués et nationalisés me soient restitués. Jusqu'au dernier. Vous m'objecterez que seuls dix-neuf d'entre eux peuvent être logiquement réalisés, tant pis, rendez-moi aussi les autres, puisque sans eux ne pourra se réaliser l'art, qui est entièrement fait de syllogismes irréalisables. »

Allégorique et philosophique, la prose de Krzyzanowski exalte la faculté de l'artiste à nourrir le monde (à « donner », dirait Zarathoustra), plutôt qu'à s'en nourrir passivement comme le fait le reste de ses congénères. La nouvelle éponyme met ainsi en scène un pseudo-Nietzsche, qui propose de combattre la « sympathie » grégaire à coups de marteau, moquant le lien artificiel que le communisme cherche à établir entre les masses, et cherchant donc à créer des fissures salutaires, dans une démarche inverse de celle du rassembleur du fissure, mais tout aussi hasardeuse et incertaine.

Ce thème pourrait être un partage. Non pas avec un troupeau abêti mais avec une autre personne singulière. C'est sans doute pour cela que trois nouvelles sur cinq mettent en scène des conversations entre deux personnages, dont l'un semble représenter le lecteur tandis que l'autre représenterait l'auteur exposant ses théories, tentant de défendre sa liberté individuelle, sa liberté de créer, face aux thuriféraires d'un égalitarisme borné où l'individu est méprisé.

Ainsi l'auteur du « thème étranger » distribue-t-il des idées à qui veut bien y prêter une oreille. Une oreille attentive qui devient hypertrophiée chez le petit peuple imaginaire des Itanésiens. Leur ouïe hypersensible, martyrisée par le bruit du temps, les pousse à chercher un terrain, un thème où ils pourraient vivre.

Des lors, la seule sympathie digne de ce nom est celle qui permet, au-delà de la mort, d'accueillir le thème auquel a pensé un étranger et de le faire sien, un je-thème, voire un je t'aime.
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Dur, dur, j'ai mis 5 * à le marque-page et je trouve celui-ci encore plus époustouflant. le thème étranger, la nouvelle qui donne son titre au recueil, est délirante et en même temps très réaliste puisqu'en partie autobiographique, peut-on supposer : le clochard céleste, prêt à vous fournir une théorie existentielle pour un bol de soupe, ou un simple aphorisme, mais avec exclusivité, attention ! Ou alors de croquer des sandwiches à la métaphysique ! J'ai toujours pensé que la caractéristique des grands (auteurs, chanteurs, cinéastes,...) est de pouvoir tout se permettre sans auto-censure et, à ce titre, l'imaginaire délirant de Krzyzanowski conjugué à une écriture de haute volée sans être hermétique le place pour moi dans les grands. Et j'attaque le Club des tueurs de lettres, dans lequel (extrait de la jaquette) des écrivains se réunissent dans une chambre/bibliothèque aux rayonnages vides pour, chacun, dérouler son récit dont aucune trace ne doit subsister... aie aie aie, et dire qu'il faut bosser de temps en temps...
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5 nouvelles dans lesquelles on retrouve les obsessions de l'auteur : le rapport au temps, la frontière tenue entre le rêve et la réalité, l'écriture comme moyen de vivre sa vie, même si ce n'est pas sans danger. le monde de Krzyzanowski est inquiétant, le réel a une façon de se distordre, tout en devenant encore plus tangible alors qu'il devient de plus en plus improbable. Tout cela dans une écriture ciselée, aristocratique aurais-je envie de dire.

Comme dans tout recueil de nouvelles il y en a que l'on préfère à d'autres, par exemple la dernière, La voie latérale, dans laquelle le protagoniste se retrouve dans le pays des Rêves, dans une sorte de mission d'espionnage, et qui le ramène plein de questions auxquels il n'y a pas de réponses.

Des nouvelles denses, moins fantastiques que celles du Marque page, peut être d'une certaine façon plus métaphysiques, et d'autant plus troublantes : le monde dans lequel nous pensons vivre peut à n'importe quel moment basculer dans autre chose, insaisissable et dangereux.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Tenez par exemple, cette assommante ritournelle d’illusions, ce traité de non-séparation qu’est le mariage …Si l’on prend l’histoire de l’idiot qui, à la vue d’une noce, s’écrie : « Oh , mon Dieu… », je ne vois pas….l’idiot est- il vraiment ce que l’on croit ? Je n’en suis pas sûr…. Vies unies ne signifie pas forcément mains unies ,et la cloche d’une gare peut tout à fait remplacer celle de l’église. Sinon, on se retrouve dans une tombe à deux places. La seigneurie de Florence qui chassa D’ante hors les murs, l’arrachant à la praediletta donna , rendit un grand service à l’amour. Ce n’est qu’après avoir connu l’Enfer de l’adieu, le Purgatoire des séparations et retrouvé le pays du retour que le grand maître composa les trois cantiques de sa divine sonate, ou comédie, si vous voulez.
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Le talent, c’est l’honnêteté élémentaire du « moi » envers le « non-moi », le règlement de la note présentée par le soleil : avec la peinture de sa palette, le peintre paie les couleurs des choses ; avec des harmonies, le musicien rembourse le chaos de sons offerts aux arcades de Corti ; le philosophe, lui, s’acquitte du monde en le contemplant. En effet, le mot to talanton signifie : la balance. Et un talent accompli, c’est un équilibre permanent entre ce que donne l’extérieur et ce qui est rendu par l’intérieur, une oscillation constante des plateaux soupesant ce qui vient du dehors et ce qui y retourne, le « à moi » et le « moi ». Et pour cette raison (…), ce n’est ni un privilège, ni un don du ciel, mais le devoir de toute personne chauffée et éclairée par le soleil, et ceux qui se dérobent à l’obligation d’avoir du talent sont des gens métaphysiquement malhonnêtes, espèce dont la terre pullule, soit dit en passant.
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L’annulation de l’existence des critiques ne conduit-elle pas à une valorisation excessive des écrivains , a une sorte de démiurgisation d’hommes semblables aux autres ? Bref, y aurait-il un je-ne-sais-quoi mystique qui distinguerait le créateur de culture et ses consommateurs ?
La réponse de Sbuth fut triste et laconiques:
-L’honnêteté .Seule.
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Je pense que si les gens ont autant de plaisir à échanger leurs vues , c’est justement parce qu’ils n’en ont pas. Mais oui : quand on possède quelque chose, on ne s’en sépare pas si facilement .
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Le bonheur, expliquai-je, n’aime pas entrer au service des hommes, car ceux-ci ne lui accordent jamais de jours de congé. S’ils savaient vivre comme une sonate, en trois mouvements, glisser des séparations entre les rencontres, permettre au bonheur de s’éloigner un tant soit peu, ne serait-ce que pour quelques mesures, peut-être seraient-ils moins malheureux.
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Vidéo de Sigismund Krzyzanowski
Sigismund Krzyzanowski est traduit et publié aux éditions Verdier, dans la collection « Slovo », dirigée par Hélène Châtelain et Catherine Perrel.
Voir https://editions-verdier.fr/auteur/sigismund-krzyzanowski/
Site : https://editions-verdier.fr/ Facebook : https://www.facebook.com/EditionsVerdier Twitter : https://twitter.com/EditionsVerdier
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