La Peau et la Trace : Sur les blessures de soi

« La blessure corporelle délibérée, mais restant en deçà de la mutilation, est le fil conducteur de cet ouvrage. L'expérience des limites analysées ici oblige à penser l'homme bien au-delà d'une intention naïve au bonheur, à l'épanouissement de soi, loin du calcul ou de l'épargne ; à l'inverse, elle nous confronte à la sollicitation brutale de la douleur ou de la mort pour exister. »
La question du corps hante toutes les publications de David le Breton. On se souvient ainsi de son traité Des visages et de Signes d'identité. Dans son dernier essai, il pose magistralement la question du sens des blessures infligées au corps par certaines catégories d'individus et notamment par les adolescents qui refusent obstinément le passage à l'âge adulte. Pourquoi les adolescents se scarifient-t-ils ? Pourquoi de nombreux taulards transforment-ils la surface de leur peau en un vaste réseau de tatouages « signifiants » ? Pourquoi des artistes prennent-ils leur corps pour l'objet même de leurs créations ? Bref, pourquoi le corps trinque-il quand la parole se fait de plus en plus difficile, quand ce qu'il y a à dire ne s'énonce plus par la voix ?

Ici, ce qui est en jeu, ce n'est ni plus ni moins que le sens de l'inscription de l'humain dans un espace social. En effet, quand le monde semble se fermer, quand la « société » n'intègre plus, quand le dialogue entre soi et les autres devient impossible, c'est alors à même la chair que le non-sens s'énonce, sous des formes à la fois tragiques et surprenantes qui relèvent moins de l'autodestruction que d'une clôture du sujet sur lui-même, en quête d'une intensification de l'existence. Des coups de couteau que l'on donne aux tatouages-totems, du body art aux performances d'artistes quasi insoutenables, c'est à une pensée de la redécouverte du corps dans sa dimension sacrée, à l'évidence malmenée par la modernité, que nous invite David le Breton. Une belle réflexion sur les limites de la condition humaine.

La peau et la trace, comment la peau porte les traces de notre vie, comment notre vie laisse des traces, et pas que sur la peau...

Ce livre parle d'auto-mutilation, il nous emmène dans la tête de personnes qui l'ont pratiquée, pour des raisons diverses qu'il tente de nous décrypter. Car avant tout, il s'agit de non-dits. Puis il aborde le thème de l'auto-mutilation non plus pour soi, mais au sein d'une institution par exemple ou dans une prison, quand elle devient une marque d'appartenance. Enfin, le dernier chapitre se consacre à l'auto-mutilation devenue un art, une manière d'exprimer la souffrance, une manière d'interagir avec son public, sans avoir à dire.

C'est un livre vraiment intéressant, et très complet sur le sujet je trouve. N'y cherchez cependant pas de pistes thérapeutiques, ce n'est pas le but.