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EAN : 9782070238712
304 pages
Gallimard (24/07/1948)
3.97/5   17 notes
Résumé :
"Confrontation de souvenirs empruntés à diverses périodes de ma vie mais plutôt à l'enfance (par goût de la cosmogonie autant que par penchant sentimental), ce tome est le premier d'un ouvrage centré sur des faits de langage et au moyen duquel je me propose de définir ce qui pour moi est la "règle du jeu", plus pompeusement : mon art poétique et le code de mon savoir-vivre que j'aimerais découvrir fondus en un unique système, ne voyant guère dans l'usage littéraire ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ce livre est un exercice de style. Magnifique sans doute, mais Il devrait se lire au hasard. Quelques lignes par ci, par là. On pourrait y découvrir quelques fulgurances. Mais tenter de le lire d'une traite fut une épreuve pour le lecteur compulsif que j'ai le malheur d'être.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
[L'amour des outsiders]

Abandonnant ainsi les grands premiers rôles à mes aînés et me prêtant de bonne grâce à cet abandon, faute d'esprit revendicateur ou, peut-être, parce que cela confirmait mon statut de cadet, satisfaisant pour moi dans la mesure où c'est le plus enfant qui a le moins de responsabilités et sent la plus grande marge entre lui et l'homme qu'il faudra bien devenir un beau jour – position enviable, si avide qu'on soit d'être pris au sérieux et impatient de jouir de certaines des prérogatives qui sont le fait des adultes – je m'habituai très tôt, non à me contenter d'être un comparse (situation trop humiliante), mais à n'ambitionner que le rôle de second.

Un empereur est « plus » qu'un roi (et c'est pourquoi, durant un temps, je fus impérialiste), un général de division « plus » qu'un général de brigade, un comte « plus » qu'un vicomte. Comme la plupart des enfants – et comme trop de grandes personnes – j'attachais une importance extrême à la hiérarchie, qu'elle fût d'ordre militaire, politique ou social. Bien avant de jouer à me mettre dans la peau d'un des jockeys que je classais immédiatement après les plus grands, je m'étais amusé – de même que tous les garçons – à des jeux de petite guerre et il était convenu que j'avais le grade de généralissime, tel de mes frères ou autres partenaires occupant le poste plus élevé de président de la République ou de ministre de la Guerre. Pour rien au monde je n'aurais voulu être un simple soldat et l'une des taquineries que je ressentais de la façon la plus vive parmi celles dont j'étais victime de la part des plus âgés consistait à me « dégrader » : m'imaginer dans la posture de l'homme à qui l'on arrache ses galons, puis ses boutons préalablement décousus et ne tenant plus que par un fil, me trouver dépouillé de ma dignité de commandant d'armées par ceux dont la complicité m'était indispensable pour que je pusse me croire investi d'une pareille fonction me faisait pleurer et trépigner. Abstraction faite de ces brimades, il était entendu, une fois pour toutes, que je n'étais ni président ni ministre mais que le rang de généralissime était celui qui me revenait de plein droit ; entièrement satisfait de ce rang, je regardais comme normal de rester en deçà des positions les plus hautes.

Le challenger plutôt que le champion, le méconnu plutôt que la gloire établie, l'élève bien doué plutôt que le premier de la classe, le bras droit dont le chef ne saurait se passer plutôt que ce chef lui-même : un goût, en somme, pour celui qui (novice encore ou trop peu soucieux des honneurs, voire trop nonchalant) n'a pas la place qu'il mérite ou pour le personnage distingué et situé en bon rang mais à quelque distance des sommets. Dans ce goût si ancien, il est tentant de reconnaître le signe – ou la préfiguration – d'un mépris romantique à l'égard de ce que les bourgeois regardent comme un couronnement ; n'apparaît-il pas, en effet, comme la contrepartie logique d'une répugnance envers ce qui est achevé, parfait, aussi fermé qu'un œuf ou qu'une vie que la mort vient de parapher (chose maintenant donnée, définie à jamais et à quoi rien ne peut être ajouté non plus que retranché) ? Mais une telle interprétation de soi par soi, qui met en avant le romantisme, a quelques chances d'en être elle-même entachée : nul ne peut (serait-ce dans son for intérieur) se flatter d'être un romantique sans que son assertion – contenant l'aveu d'une tendance à idéaliser – lui devienne suspecte, s'il veut y réfléchir de bonne foi. Pour expliquer cette répugnance que j'ai cru déceler en moi ne vaudrait-il donc pas mieux, écartant au moins provisoirement toute idée de révolte implicite contre les ambitions communes et admettant la possibilité d'une interprétation plus prosaïque, chercher quelle peut avoir été (ici comme sur bien d'autres points) la part de la pure et simple faiblesse ?

Préférer, à celui qui est, celui qui n'est pas encore ou n'est pas tout à fait, cela peut signifier qu'on aimerait mieux – quant à soi-même – ne pas franchir un certain pas de manière à garder devant soi une réserve car, après la ligne d'arrivée qu'on aurait ainsi dépassée, l'existence serait jouée et la mort deviendrait la seule étape où désormais s'arrêter ; cela peut signifier également, sur le plan de la vie enfantine, qu'on se refuse à entrer dans la catégorie où sont déjà les aînés, parce que les périls de toutes sortes y sont plus grands et qu'on ne pourra plus, y étant, compter sur la même indulgence ni se servir comme d'un bouclier du droit que le plus petit a d'être protégé ou, tout au moins, ménagé ; cela peut signifier enfin que, sans chercher à lutter, l'on se résigne à n'être qu'un subalterne et que – loin de voir en lui quelqu'un qui vous ressemble – si l'on admire le challenger c'est beaucoup moins parce qu'il est encore un homme de second plan qu'en raison du courage qu'il a (mais qu'on n'a pas) de s'attaquer au plus fort.

Un certain besoin de me sentir protégé, de me mettre sous l'égide est vraisemblablement l'un de mes traits les plus constants. Si, sous des formes diverses, j'ai tant de fois aspiré à être le second – au sens de celui qui vient aussitôt après le premier comme au sens de celui qui seconde – la raison n'en doit pas être seulement que j'ai de moi trop piètre idée pour briguer la première place en quelque domaine que ce soit, la deuxième devenant alors la plus brillante que je puisse, à la rigueur, postuler ; si, sur ce chapitre, je témoigne d'une modération assurément relative mais peu en harmonie avec le cas très grand que je fais du prestige, il ne me paraît pas non plus (jusqu'à plus ample informé) qu'il faille mettre en cause un défaut d'énergie si complet que je limiterais par avance mes ambitions – avec une sorte de sagesse ou plutôt de tiédeur – à la poursuite de buts estimés, la chance aidant, comme point absolument en dehors de ma portée et susceptibles d'être atteints sans que j'affronte aucun danger insurmontable ou m'impose une somme de peines qui ferait de mon entreprise, sinon la quête d'une chimère, au moins un labeur héroïque. Sauf démonstration contraire, il me semble inconcevable d'expliquer uniquement par ces raisons négatives mon manque de démesure dans des aspirations qui relèvent du rêve enfantin et devraient par conséquent témoigner d'un moindre souci de leur capacité d'être réalisées pratiquement ; je crois bien que mon rêve, comme il se doit, eût ignoré toute frontière si de justes limites ne lui avaient été assignées dès l'origine par un facteur positif.

Désir qu'une marge soit conservée et confort que j'éprouve si quelqu'un que je situe au-dessus de moi veut bien me faire confiance sont illustrés par deux faits que j'ai notés dès longtemps dans les fiches qui sont comme les procès-verbaux d'observations ou d'expériences que je confronte ici pour en tirer des lois d'où se dégagera finalement – à moins que je n'envoie tout promener, excédé par tant de marches, de contremarches, de détours, de retours et de piétinements – la règle d'or que je devrais (ou aurais dû) choisir pour présider à mon jeu. Haine que j'ai maintenant des hôtels de tout premier ordre, ceux qui dans la terminologie des guides touristiques et des imprimés publicitaires portent le nom d'« hôtels de luxe »
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Car pour celui qui écrit, toute la question est là : faire paser dans la tête ou dans le coeur d'autrui les concrétions -- jusque-là valables seulement pour lui -- déposées, par le présent ou le passé de sa vie, au fond de sa propre tête ou de son propre coeur ; communiquer, pour valoriser ; faire circuler, pour que la chose ainsi lancée aux autres vous revienne un peu plus prestigieuse... (p.20)
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Ainsi, les lettres ne restent pas "lettres mortes", mais sont parcourues par la sève d'une précieuse kabbale, qui les arrache à leur immobilité dogmatique et les anime, jusqu'aux extrêmes pointes de leurs rameaux. Très naturellement, l'A se transforme en échelle de Jacob (ou échelle double du peintre en bâtiment) ; l'I (un militaire au garde-à-vous) en colonne de feu ou de nuées, l'O en sphéroïde originel du monde, l'S en sentier ou en serpent , le Z en foudre qui ne peut être que celle de Zeus ou de Jéhovah.
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ne voyant guère dans l'usage littéraire de la parole qu'un moyen d'affûter la conscience pour être plus- et mieux- vivant
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Michel Leiris, écrivain et ethnologue, auteur de L'Âge d'homme et de l'autobiographie en quatre volumes, La Règle du jeu, appartenait à la génération fortement marquée par la Première Guerre mondiale et ses conséquences. Dès les années 1920, il s'engagea dans une démarche critique qui mettait en cause les fondements philosophiques du monde occidental. Il contestait la rationalité considérée comme le principe fondamental d'organisation de la société moderne et explorait les forces motrices irrationnelles et les courants sous-jacents. En recourant à la notion de « merveilleux », qui dans ses écrits littéraires et ethnographiques devient un outil d'analyse, Leiris explore « l'au-delà ».
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Bonnes lectures !
Crédit : école EMC, la prise de son, d'image et montage vidéo
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