Certes, c'est merveille qu'au fond de l'homme, de toutes les créatures la plus misérable et la plus tourmentée, réside la faculté de rire, étrangère à tout autre animal. Merveilleux aussi, l'usage que nous faisons de cette faculté, puisque jetés dans la plus cruelle infortune, accablés de chagrin, écœurés de la vie, convaincus de l'inanité des biens humains, à peu près inaccessibles à la joie et privés de tout espoir, nous n'en sommes pas moins capables de rire. Bien mieux: moins ils ignorent la vanité de ces biens, et la misère de la vie, moins ils sont aptes à espérer et à jouir, et plus ces êtres singuliers se montrent susceptibles de rire.
DIALOGUE DE LA NATURE ET D'UNE ÂME
L'ÂME : - Eh bien, si tu m'aimes, loge-moi dans le plus imparfait des corps, ou, si tu ne peux, dépouille-moi des funestes dons qui m'ennoblissent, et rends-moi semblable à l'homme le plus stupide que tu aies jamais créé.
LA NATURE : - Sur ce dernier point, je peux te satisfaire ; et je vais le faire, puisque tu refuses l'immortalité à laquelle je te destinais.
L'ÂME : - Au lieu d'immortalité, je te prie de me faire mourir le plus rapidement possible.
LA NATURE : - Eh bien, je vais en parler avec le Destin.
Nous sommes toujours enclins à prêter à nos interlocuteurs assez de finesse et de jugement pour déceler nos qualités véritables, où celles que nous nous figurons avoir, notamment pour reconnaître la beauté de nos propos et de nos actes; sans omettre de leur supposer une grande pénétration, une pratique consommée de la méditation et une étonnante mémoire, fort utiles pour découvrir nos mérites et nos vertus et en garder le souvenir; mais en toute autre matière, nous ne saurions trouver chez eux tant de ressources, ou du moins nous ne saurions en convenir.
Ne croyez pas que je n'ai point pitié de l'infortune humaine. Mais comme il n'est aucune force, aucun art, aucune ruse, aucun compromis qui puisse y porter remède, j'estime infiniment plus digne d'un homme, et d'un noble désespoir, de rire du malheur commun plutôt que de se mettre à soupirer, à gémir et à criailler avec les autres, ou de les inciter à le faire.
Mais le plaisir prend fin toujours trop tôt, sans jamais vous satisfaire, ne vous laissant pour tout bénéfice que l'espérance aveugle de jouir plus réellement une autre fois, et pour seule consolation que de feindre et vous raconter à vous-mêmes que vous avez joui, puis de le raconter aux autres, non par simple vanité, mais pour mieux vous en convaincre.
« […] Jour après jour, Saba - de son vrai nom Umberto Poli (1883-1957) - compose le “livre d'heures“ d'un poète en situation de frontière, il scrute cette âme et ce coeurs singuliers qui, par leur tendresse autant que leur perversité, par la profondeur de leur angoisse, estiment pouvoir parler une langue exemplaire. […]
[…] Au secret du coeur, dans une nuit pétrie d'angoisse mais consolée par la valeur que le poète attribue à son tourment, cette poésie est une étreinte : à fleur de peau, de voix, une fois encore sentir la présence de l'autre, porteur d'une joie qu'on n'espérait plus. […]
Jamais Saba n'avait été aussi proche de son modèle de toujours, Leopardi (1798-1837) ; jamais poèmes n'avaient avoué semblable dette à l'égard de l'Infini. le Triestin rejoint l'auteur des Canti dans une sorte d'intime immensité. […]
[…] Comme le souligne Elsa Morante (1912-1985), Saba est plutôt l'un des rares poètes qui, au prix d'une tension infinie, ait élevé la complexité du destin moderne à hauteur d'un chant limpide. Mais limpidité n'est pas édulcoration, et permet au lecteur de percevoir deux immensités : le dédale poétique, l'infinie compassion. » (Bernard Simeone, L'étreinte.)
« […] La première édition du Canzoniere, qui regroupe tous ses poèmes, est fort mal accueillie par la critique en 1921. […] Le Canzoniere est un des premiers livres que publie Einaudi après la guerre […] L'important prix Vareggio de poésie, obtenu en 1946, la haute reconnaissance du prix Etna-Taormina ou du prix de l'Accademia dei Lincei, ne peuvent toutefois tirer le poète d'une profonde solitude, à la fois voulue et subie : il songe au suicide, s'adonne à la drogue. En 1953, il commence la rédaction d'Ernesto, son unique roman, qui ne paraîtra, inachevé, qu'en 1975. […] »
0:00 - Titre
0:06 - Trieste
1:29 - le faubourg
5:27 - Lieu cher
5:57 - Une nuit
6:32 - Variations sur la rose
7:15 - Épigraphe
7:30 - Générique
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Référence bibliographique :
Umberto Saba, du Canzoniere, choix traduit par Philippe et Bernard Simeone, Paris, Orphée/La Différence, 1992.
Image d'illustration :
https://itinerari.comune.trieste.it/en/the-trieste-of-umberto-saba/
Bande sonore originale : Maarten Schellekens - Hesitation
Hesitation by Maarten Schellekens is licensed under a Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License.
Site :
https://freemusicarchive.org/music/maarten-schellekens/soft-piano-and-guitar/hesitation/
#UmbertoSaba #Canzoniere #PoésieItalienne
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