La discussion et la logique, les livres serrés sur les rayons allaient reprendre leurs droits contre la voix des continents obscurs. Walter avait donné la parole à Francis Seguin. Le soleil de cuivre jaune patinait la verrière, et les rois étranglés et les petites âmes rangées dans l'armoire se confondaient dans l'esprit de mon père avec les passants de Reichbach redécouverts au-delà des volutes de la haute porte de fer, par la fenêtre de la chambre mortuaire, avec cette minute où l'humanité lui avait paru soudain si étrangement insolite. Dans la stupéfaction déclenchée par Möllberg (on était loin de la prise de conscience de l'aventure humaine par l'esprit allemand!), il entendait confusément Seguin dire que la solitude des civilisations à travers le temps, probable en face des millénaires, lui semblait toute relative, et même douteuse, lorsqu'il s'agissait des civilisations historiques ; qu'il ne pouvait se sentir étranger à un homme du XIIe siècle comme à un Egyptien des premières dynasties...
Combien de jours les ai-je vu ainsi dans la chambrée, emplissant page après page... Redisent-ils une fois de plus qu'il faut réviser la lieuse, profiter du temps entre la moisson et le battage pour réparer les gouttières -- avec les répétitions sans fin qui sont leur mode instinctif d'expression? Tout cela, les femmes le savent aussi bien qu'eux. En cette minute, ils sont aussi indifférents aux gouttières et à la lieuse qu'ils le seront sous la terre; mais il n' y a pas que les mots de l'amour pour tenter d'exprimer la tendresse. Dans ces lettres qui viendront, aujourd'hui ou quelque jour, des camps où deux millions de prisonniers français attendent que le destin s'use, combien de femmes reconnaîtront, sous ces histoires de semailles à ne pas oublier, la sentimentalité sombre, cachée, orgueilleuse, de ces doigts crispés sur le papier comme s'il allait leur être arraché, tandis que sur la grand-route tourbillonnent les lettres déjà mortes?...
Nous savons que nous n'avons pas choisi de naître, que nous ne choisirons pas de mourir. Que nous n'avons pas choisi nos parents. Que nous ne pouvons rien contre le temps. Qu'il y a entre chacun de nous et la vie universelle, une sorte de... crevasse. Quand je dis que chaque homme ressent avec force la présence du destin, j'entends qu'il ressent -- et presque toujours tragiquement, du moins à certains instants -- l'indépendance du monde à son égard.
....le grand artiste, Messieurs, établit l'identité éternelle de l'homme avec lui-même.Par la façon dont il nous montre tel acte d'Oreste ou Oedipe, du prince Hamlet ou des frères Karamazoff, il nous rend proches ces destins si éloignés de nous dans l'espace et dans le temps; il nous les rend fraternels et révélateurs. Ainsi certains hommes ont-ils ce grand privilège , cette part divine, de trouver au fond d'eux-mêmes, pour nous en faire présent , ce qui nous de l'espace, du temps et de la mort.
....le grand artiste, Messieurs, établit l'identité éternelle de l'homme avec lui-même.Par la façon dont il nous montre tel acte d'Oreste ou Oedipe, du prince Hamlet ou des frères Karamazoff, il nous rend proches ces destins si éloignés de nous dans l'espace et dans le temps; il nous les rend fraternels et révélateurs. Ainsi certains hommes ont-ils ce grand privilège , cette part divine, de trouver au fond d'eux-mêmes, pour nous en faire présent , ce qui nous de l'espace, du temps et de la mort.
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Quel roman parvient à concilier l'engagement politique et la réflexion existentielle sur ce que nous sommes vraiment, vous et moi ?
« La condition humaine », d'André Malraux, c'est à lire en poche chez Folio.