C'est vraiment affreux les bébés.
Ca ne ressemble à rien à part à un autre nouveau-né fripé, disgracieux, aux yeux globuleux.
Je n'ai jamais compris comment on pouvait s'extasier autour des photos du nouveau braillard d'un collègue, d'un ami, d'une cousine.
Et qu'est-ce que ça peut bien me faire qu'il ait des cheveux, qu'il fasse 2kg800 ou 4kg200 ?
D'ailleurs je ne fais même plus semblant de m'y intéresser.
La gestation devrait durer trois ans, là au moins je pourrais être objectif en disant qu'il est beau, qu'il a les yeux de sa mère et les fossettes de son père.
Mais avant comment demeurer béat devant un soi-disant ange qui bave, qui pleure, qui hurle et qui chie toute la journée ?
En parlant de merde, le nouveau roman de
Graham Masterton se passe en grande partie dans les égouts de Tooting ( banlieue sud de Londres ) où un énorme Grasseberg ( mot très peu usité en français peut-être issu de l'allemand et signifiant quelque chose comme "montagne de crasse" ) empêc
he l'écoulement des eaux usés.
Cette montagne de déjections ne contient pas que des excréments et du papier toilette, mais tout ce qu'on vous met pourtant en garde de ne pas jeter dans la cuvette pour ne pas boucher les canalisations !
Des lingettes, des tampons, des cotons-tiges, des chatons morts, des bijoux, une main de femme tranchée, et j'en passe ...
"la réalité de cette masse solide et suintante avec ses strates de papier toilette, de lingettes humides et de cotons-tiges s'avérait encore plus dégoûtante qu'il l'avait imaginé."
Une équipe va donc intervenir pour nettoyer un peu tout ça. Mais tout ne va pas se passer comme prévu.
Parce qu'ils ne sont pas seuls dans les souterrains.
Des enfants de huit à douze ans semblent y avoir trouvé refuge. Ils sont phosphorescents. Potentiellement dangereux. Et ce sont des erreurs de la nature. Des monstres au corps tellement improbable que seul leurs visages angélique évoque encore une quelconque humanité.
"Il possédait deux mains surnuméraires, saillant de ses poignets, juste derrière ses pouces."
"Je n'ose pas imaginer ce que ça doit être de vivre dans un égout avec une tête de la taille d'une boule de bowling ou la moitié de mes intestins au grand air."
Et puis parallèlement des évènements inexplicables incluant des bébés encore plus affreux que la normale ont lieu dans les environs.
Même pas des bébés d'ailleurs, mais d'étranges foetus qui tels des parasites viennent se loger dans l'utérus de leurs hôtesses.
"Un foetus sans bras, ni jambes, ni corps n'est pas un bébé"
Ainsi, des femmes se retrouvent inexplicablement enceintes, à l'instar de Sainte Marie mère de Dieu. Sauf que leur futur nourrisson n'a rien de commun avec Jésus notre sauveur.
Imaginez plutôt des créatures difformes ( à l'exception de leur traits de chérubin ) aux membres atrophiés ou surnuméraires. Des araignées humaines capables de déchiqueter votre chat, des embryons aux tentacules plus tranchantes que des rasoirs capables de vous écorcher vif de l'intérieur.
Des êtres tellement abjects avec leurs pinces, leurs carapaces, leurs écailles, leurs hideuses malformations génétiques que les médecins n'ont d'autre choix que de pratiquer un avortement ou une euthanasie. Tant pour leur épargner trop de souffrance que pour les mères qui ignorent par quel miracle ( ou malédiction serait-il un terme plus approprié ? ) une telle infamie peut se retrouver logée dans leurs entrailles.
"C'est comme une main humaine avec un visage d'enfant dessus."
Et les cauchemars n'arrivant jamais seuls, ces êtres rejetés pour leur monstruosités sont considérés comme sacrés par leur mère, du moins par l'entité mystérieuse et avide de sang qui les considère comme ses enfants. Et qui est prête à tout pour les protéger d'une quelconque interruption volontaire de grossesse. A découper, démembrer, étriper, énucléer et autres horreurs innommables.
Pour enquêter sur ces étranges phénomènes qui pourraient relever du paranormal, la police de Tooting fait appel à Jerry Pardoe et Jamila Patel. Non pas que le surnaturel soit leur spécialité à proprement parler mais ils avaient déjà été amenés à enquêter dans
Ghost Virus sur une étrange affaire de vêtements hantés qui étranglaient leur nouveau propriétaire ou en prenaient possession. Il s'agit donc ici de leur seconde enquête, qui peut être lue totalement indépendamment de la première.
En avant-première, traduite en français et en polonais avant même sa parution Anglo-saxonne.
Et je remercie encore Livr's éditions, petit éditeur belge qui prend doucement de l'ampleur, notamment en ayant redonné une chance à cet auteur mythique écossais qui avait été boudé une petite dizaine d'années par les perfides éditeurs français calculateurs et souvent irrespectueux de lecteurs fidèles. Et qui expédient à chaque fois que c'est possible leurs romans avec un petit autographe de l'auteur.
Autant l'avouer de suite, si j'avais pris mon pied l'année dernière en retrouvant un de mes auteurs cultes avec un roman efficace, original et bien tordu,
Les anges oubliés est un petit ton en dessous.
Comment l'expliquer ? Dans les deux cas on a bien affaire à du
Masterton qui ne fait pas dans la demi-mesure. le sang gicle, les bras et les jambes sont amputés, et il a depuis toujours ce don unique pour décrire des scènes d'une atrocité sans nom à la fois très visuelles, olfactives, et totalement inédites.
Et pourtant, on est très loin du gore de bas étage. Les histoires sont construites, rythmées, inspirées, et leurs excès d'hémoglobine font partie intégrante du style unique propre à l'auteur.
Ils ne sont pas malsains ou gratuits puisqu'au contraire ils sont attendus avec impatience et ils glissent comme une lettre à la poste grâce à beaucoup d'humour, en l'occurrence celui de l'officier Jerry Pardoe constamment en train de dire des conneries plus grosses que lui.
"Mon oncle au Pakistan souffrait d'un cancer au testicule droit, et ils lui ont retiré le gauche.
- Ton oncle devait avoir les boules."
Masterton ne fait pas spécialement dans la dentelle. S'inspirant toujours plus ou moins de mythologies méconnues, le surnaturel s'immisce très vite dans ses récits qui éclaboussent, qui torturent et qui nous confrontent à l'inexplicable.
Je ne crois plus au père noël et je sais bien que rien de ce que je lis n'est réel, mais même dans ce type d'histoire l'imagination a un rôle déterminant. Et il m'a été bien plus facile de visualiser des vêtements dotés d'une vie propre, de sentir ma ceinture m'enserrer la taille jusqu'à me couper la respiration, mon foulard prendre la force d'un boa constrictor et serrer ma gorge jusqu'à ce que mort s'ensuive, que de lire une histoire d'embryons mutants tenant plus de l'araignée ou du poulpe que de l'homme. L'horreur absolue aurait pu fonctionner grâce à l'opposition entre ces adorables petites têtes humaines et leurs corps hideux ... mais l'auteur pour moi a voulu en faire trop pour qu'on puisse réellement croire à de tels êtres, aussi improbables que méchants après quelques mois à peine de conception.
Ce qui ne retire rien à la démesure de certaines situations et à une lecture globalement très plaisante. Parce que ces scènes absolument terribles de mutilations, de mises à mort et de geysers d'hémoglobine, on les attend avec impatience et on les lit avec un plaisir coupable.
Et également parce que derrière quelques passages un peu abracadabrants se pose bien sûr la question du droit à l'avortement, du droit à la vie, du droit de disposer de son corps.
Les IVG ont longtemps été passibles de la peine de mort, notamment pendant la seconde guerre mondiale.
Et comme un écho au titre du roman, on surnommait au début du vingtième siècle les femmes aidant à commettre ces crimes les faiseuses d'anges.
La plus célèbre d'entre elles, Marie-Louise Giraud, a été guillotinée en 1943 sous le régime de Vichy.
"Nous devons sans cesse nous poser la question : est-il plus sage de mettre fin à la vie d'un enfant avant qu'elle ne débute réellement, ou faut-il considérer la vie comme sacrée dès le moment de sa conception, quelle que soit sa forme ?"
Je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise réponse. Il n'est pas question ici de ce que dit la loi ou des circonstances parfois abominables de la conception, mais juste du droit sacré à la vie ou du devoir d'euthanasier un embryon condamné à l'avance par ses malformations, ne serait-ce que d'un point de vue social.
"Tous les enfants méritent de vivre, même si Dieu les a oubliés."
L'illustre auteur écossais nous plonge à nouveau avec
Les anges oubliés dans l'un de ces romans de suspense et d'horreur dont lui seul a le secret, en choisissant un sujet particulièrement original.
Mais il a à mon sens voulu trop en faire pour que le lecteur puisse garder son sérieux d'un bout à l'autre avec des scènes fantastiques tellement improbables qu'elles tournent parfois en dérision une histoire qui se serait sinon avérée aussi fascinante que monstrueuse.