Livre dont tout le monde parle même ceux qui ne l'ont jamais lu, mais en ont tellement entendu parler que c'est tout comme...
J'ai voulu pour ma part, mettre à profit ce temps de retrait pour combler cette lacune.
Le livre se lit comme un roman et provoque chez le lecteur la même réaction que celle de
Tzvetan Todorov, lorsqu'il a lu les mémoires de
Rudolf Höss publiées en 1958 sous le titre
le commandant d'Auschwitz parle, et dont s'est inspiré
Robert Merle pour son personnage de Rudolf Lang.
« La lecture du livre de Höss provoque chaque fois en moi un fort malaise. [...] Dès que je lis ou recopie de telles phrases, je sens monter en moi quelque chose comme une nausée. Aucun des autres livres dont je parle ici ne me donne cette impression aussi fortement. À quoi est-elle due ? Sans doute à la conjonction de plusieurs facteurs : l'énormité du crime ; l'absence de véritables regrets de la part de l'auteur ; et tout ce par quoi il m'incite à m'identifier à lui et à partager sa manière de voir. […] En lisant, j'accepte de partager avec lui ce rôle de voyeur de la mort, et je m'en sens sali. »
Le roman de Merle décrit avec une grande précision la construction de la personnalité de Rudolf Lang, enfant dont le père pour expier ses propres fautes, voulait faire un prêtre.
La révolte de l'adolescent le conduit à s'engager dès l'âge de 16 ans, en 1916. Il devient le plus jeune sous officier allemand dès l'âge de 17 ans.
La défaite de l'Allemagne et les obligations humiliantes du Traité de Versailles font le reste.
L'ambiguïté de toute cette partie historique, dans laquelle le récit résonne avec un roman comme
les Camarades de
Erich Maria Remarque, est qu'en expliquant avec une grande précision, les conditions qui conduisent Rudolf à entrer,
après-guerre, dans les Corps-Francs, puis les S.A dès 1922, à assassiner un militant communiste, à faire de la prison puis à devenir un officier SS, elle frôle, selon moi, la justification.
On assiste à l'éclosion de l'officier SS parfait qui ne discute pas les ordres, ne les confronte jamais à ce qui pourrait les remettre en cause, les accepte parce qu'ils sont des ordres de ses supérieurs et qu'il est un officier irréprochable.
« la pensée de refuser d'exécuter un ordre ne lui venait même pas» déclare-t-il au psychologue américain Gustave Gilbert.
Après la lecture du récit de Merle, le lecteur est tenté de "vérifier" la véracité de ce qui y est rapporté, et la véracité des faits rapportés est confirmée par la totalité des éléments que l'on peut trouver sur le sujet, notamment dans les rapports de
Leon Goldensohn le psychiatre qui interrogea Höss, les minutes du procès de Nuremberg ou celles du procès en Pologne qui conduira à sa pendaison à Auschwitz en avril 1947.
On apprend en lisant les témoignages recueillis lors de ces procès et leurs analyses ultérieures que « [le témoignage de Höss à Nuremberg], qui allait se révéler beaucoup plus tard fut une grande exagération du nombre des victimes, dont les négationnistes feraient un jour leurs choux gras : il prétendit qu'Auschwitz avait vu mourir deux millions et demi de déportés, ce dont
Robert Faurisson et ses adeptes devaient profiter pour semer la confusion » (Citation de François Delpal, Nuremberg face à
L Histoire - Éditons de l'Archipel 2006)
Höss se chargea de la mise en oeuvre de "L'action spéciale" (nom de code que Himmler donna à la déportation, au gazage et à la crémation de millions de Juifs) avec le zèle d'un entrepreneur soucieux de productivité, de moindre coût et d'efficience...Dans le même temps il jouait le rôle de bon père de famille attentif au bonheur de son foyer...
Gilbert en est finalement arrivé à la conclusion que Höss « donne l'impression générale d'un homme intellectuellement normal, mais avec une apathie de schizophrène, une insensibilité et un manque d'énergie que l'on ne pourrait guère trouver plus développés chez un franc psychopathe».
Le roman de
Robert Merle démontre, s'il en était encore besoin, que les thèses les plus meurtrières se satisfont de justifications simplistes à même de séduire les partisans de leur mise en oeuvre.
On en voit de nos jours les effets qui conduisent certains à nier chez l'autre la qualité d'être humain, parce qu'il est juif, parce qu'il est étranger, parcequ'il est noir ou blanc, parce qu'il est chrétien ou musulman parce qu'il est différent tout simplement.
Un livre à promouvoir plus encore qu'il ne l'a été à sa parution !
"Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef , par soumission à l'ordre, par respect pour l'État. Bref, en homme de devoir : et c'est en cela justement qu'il est monstrueux"
Robert Merle le 27 avril 1972
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