"16 juin, l'agence de travail temporaire m'a trouvé un emploi dans une coopérative ouvrière. Huit heures par jour. Salaire minimum.
Après les abattoirs, l'usine, je retourne dans le bâtiment."
Ainsi s'ouvre "
le journal d'un manoeuvre" de
Thierry Metz.
Un journal, une rubrique, une chronique... un diaire dans lequel l'auteur réussit à faire cohabiter l'absurde médiocrité monochrome du labeur ingrat d'un chantier et l'improbable luminescence arc-en-ciel de la poésie qui transcende cet univers fruste gouverné par la répétivité chosifiante...
Lorsqu'on lit les premiers mots de
Thierry Metz : "abattoirs", on ne peut s'empêcher de penser à
Joseph Ponthus (leurs "liens" sont étonnants...) ou à
Upton Sinclair... "l'usine" rappelle, elle,
Claire Etcherelli,
Robert Linhart etc ; nous savons dès lors qu'il y a une consanguinité, une parentèle sociale, politique, littéraire qui coulent dans ces veines qui ont irrigué les plus belles plumes de la littérature dite prolétarienne.
Le chantier, la pelle, la pioche, la
terre, l'homme taupe qui creuse, fouille, ravitaille. La pierre, du sable et des sacs... des pelles et des pelles de sable. La brouette. "De la
terre, des décombres, des pierres, des ordres, des morceaux de craie, des attentes, des fatigues...". Les seaux, les parpaings. La ferraille, les piliers, les linteaux, des griffes, des pinces coupantes, des cisailles. La tractopelle, les charpentes, les poutrelles, le grillage, l'échafaudage, les barres, les montants, les garde-corps, les planches, les planchers. La gamelle, le pain, le vin... beaucoup de vin... le soir, "des enclumes au bout des bras". Les besognes. Un sale boulot. Pour si peu d'argent : "on campe autour de ça : l'argent. Bouton d'or qui vide la ruche. Et la consume." le bruit : "du bruit toute la journée. On ne sait pas ce qui se passe. Quelqu'un fait des gestes : il gagne son pain. C'est tout." le marteau-piqueur : "toute la matinée. On n'entend plus rien. Même plus le bruit". Rien à penser. Des mots qui s'imposent ; "la parole ici ne pèse pas lourd."La grue. Et/mais les mains...qui "s'étoilent"...
Et contrastés... il y a l'oiseau (un mot qui revient presque à toutes les pages... presque...), les oiseaux : les pigeons, les rouges-gorges, le coq, les hirondelles. L'eau, le feu, l'arc-en-ciel (omniprésent ou presque...), la
terre, le ciel, l'arbre, les feuilles, le soleil, la pluie, le puits, la source, l'aile... "l'aile que l'ange envie dans sa ténèbre." Un cahier emprunté à ses gosses. Une plume. Ce journal.
Plus qu'un classique de la littérature prolétarienne, le journal de
Thierry Metz est un magnifique recueil poétique, qu'il faut lire, relire et lire encore... comme toute belle poésie qui se respecte...
Joseph Ponthus avait compris la "dimension", le talent de son frère en écriture et en humanités.
Dommage que ces deux belles âmes rebelles s'en soient allé éclairer d'autres espaces...