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EAN : 9782070780211
128 pages
Gallimard (23/01/1990)
3.72/5   106 notes
Résumé :

"C'est que vivre a quelque chose de terriblement élémentaire. Chaque matin l'âme se réveille toute nue, et le travail, la douleur, les gens, l'absence sont debout, bras croisés, à l'attendre avec un dur regard d'exterminateur. Mais chaque soir, quand la fatigue ne l'a pas anesthésié, Thierry Metz note la part respirable des heures qu'il a traversées. Ce que nous pouvions prendre pour un univers de médiocri... >Voir plus
Que lire après Le journal d'un manoeuvreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Le journal d'un manoeuvre, ou plutôt le journal d'un poète qui maçonne les mots avec un ciment magique. Ses mots survolent le chantier, les hommes, comme des petits oiseaux de papier.

Dans sa brouette il y met des rires, des silences, des gestes, des ordres, des parpaings, des nuages, des poignées de main, des instants, des regards. Et il en sort des arcs-en-ciel, des cerfs-volants, des rouges-gorges, des graines, comme autant de soifs d'hommes.

Il donne la voix à ceux qui n'ont pas les mots, à ceux qui ploient sous le poids de la pioche, à ceux qui creusent sans rien trouver au bout de leurs pelles. Il regarde là-haut sur l'échafaudage, rassemble les mots pour en faire un livre. Pour dire. Sans tricher. Des mots bruts, des phrases courtes. Peu pour dire beaucoup.

Son langage fait fleurir les roses sur le chantier au milieu des orties. Sa voix est cerf-volant, elle plane, malgré la pioche, la pelle, et les chaussures de sécurité. Malgré les ordres qui le rattachent au labeur, à l'absence par les gestes répétés.

Un poète incroyable, pourtant, si peu connu. Et comme m'a dit ma fille (12 ans), qui m'a lu quelques passages à haute voix : « il devrait ». Oui, il devrait l'être. On devrait l'écouter ce poète qui construit des mots pour faire de nos instants des miracles. On devrait le lire sur le grand chantier du monde depuis le manœuvre jusqu'à l'architecte. On devrait parfois poser la pioche, la pelle, ou lever les yeux des plans, pour se demander ce que l'on cherche, ce que l'on veut. Vraiment.

« le chef ne fait que dire le chantier. Rien d'autre.
Si on l'écoute : où est le monde ? qu'est-ce qu'on fait ?
Comment savoir ?
On parle de rien ici.
C'est comme ça tous les jours. »

J'essaierai de faire lire cette pépite à mon mari qui travaille sur les chantiers. Quand il sera en congés. C'est pas gagné. On peut toujours essayer. Je ne comprends pas toujours pourquoi chacun de nous n'est pas sensible à des mots si vrais, si simples, si beaux. Il y a parfois un petit effort à faire, il faut se laisser glisser dans cet univers d'images, oublier ce qui nous entoure, nos façons de penser terre à terre, mais en échange, tellement à récolter.

À lire et à relire, car il s'en cachent des petits trésors dans ce journal.

Une pensée aussi pour cet homme trop tôt disparu et dont la plume aurait pu nous enchanter encore longtemps.


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Il n'est pas facile de parler de ce livre : Le journal d'un manœuvre. Je ne sais pas vraiment par quel bout le prendre et comment vous en parler. Je l'ai adoré, comme d'autres livres de Thierry Metz. J'y reviens de temps à autre.
C'est une chronique sur quelques jours, quelques semaines, de juin à septembre, le temps d'un chantier, une construction, le temps du gros œuvre... Un immeuble ici s'élèvera bientôt vers le ciel.
C'est en effet un journal tenu au quotidien, qui traduit le réel d'un homme qui s'exprime avec sobriété, la langue vise à l'épure.
Ce texte est intense. Il frémit.
Thierry Metz éclaire la vie ordinaire, ces jours qui se succèdent et pourraient paraître d'une médiocrité accablante. Mais les mots de Thierry Metz, sa poésie, ont une lumière folle, qui vient chercher l'indicible, les gestes, ce qu'il y a aussi autour des gestes, après et plus loin.
Il nous parle de la vie sur les chantiers, le travail, le soir dans la chambre, la fatigue, la douleur, ce qu'il reste après lorsque l'âme remonte comme le bruit d'une pierre jetée au fonds d'un puits.
Les corps parlent aussi dans ces chroniques quotidiennes.
Les corps
Broyés
Harassés
Criblés.
Les phrases vont à l'essentiel.
L'exercice de ce métier de manoeuvre est dur. Il faut dresser l'échafaudage, manier la pelle et la pioche sous le soleil infernal, faire couler le béton ; les mots viennent après, le soir, dans la fatigue, lorsque le corps ne répond plus. C'est souvent là que les mots viennent sur la page.
Ces chroniques sont comme des respirations de l'âme qui viennent apaiser le corps rincé...
Ici les mots ressemblent à des fracas d'ailes.
Il y a aussi l'amitié qui naît sur les chantiers. Manuel, Antoine, Ahmed... et les autres...
Parfois les mains se reposent autour d'une bière ou d'un café.
Parfois, il suffit d'un pas de côté pour le quotidien s'émerveille. La vie et sa manière de l'approcher, tout n'est qu'une question d'angle.
De temps en temps, un oiseau se pose sur le fil de la page. C'est magique.
C'est une poésie faite de lumières et de bruits. Une radio au loin diffuse de la musique dans ce jour d'été.
Le manœuvre, c'est souvent celui qui aide les autres sur les chantiers. Il est indispensable.
Le journal d'un manœuvre est un journal où s'engouffre la vie et ses respirations.
Parfois nous voudrions convoquer les mots de Thierry Metz pour enchanter notre quotidien, dire ce qui est merveilleux ici et là. Peut-être que nos jours manque-t-il de respirations ? Mais voilà, les mots de Thierry Metz se sont tus, se sont éteints à jamais avec lui, ou peut-être survivent-ils encore malgré tout. Je voudrais le croire.
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"16 juin, l'agence de travail temporaire m'a trouvé un emploi dans une coopérative ouvrière. Huit heures par jour. Salaire minimum.
Après les abattoirs, l'usine, je retourne dans le bâtiment."

Ainsi s'ouvre "le journal d'un manoeuvre" de Thierry Metz.
Un journal, une rubrique, une chronique... un diaire dans lequel l'auteur réussit à faire cohabiter l'absurde médiocrité monochrome du labeur ingrat d'un chantier et l'improbable luminescence arc-en-ciel de la poésie qui transcende cet univers fruste gouverné par la répétivité chosifiante...

Lorsqu'on lit les premiers mots de Thierry Metz : "abattoirs", on ne peut s'empêcher de penser à Joseph Ponthus (leurs "liens" sont étonnants...) ou à Upton Sinclair... "l'usine" rappelle, elle, Claire Etcherelli, Robert Linhart etc ; nous savons dès lors qu'il y a une consanguinité, une parentèle sociale, politique, littéraire qui coulent dans ces veines qui ont irrigué les plus belles plumes de la littérature dite prolétarienne.

Le chantier, la pelle, la pioche, la terre, l'homme taupe qui creuse, fouille, ravitaille. La pierre, du sable et des sacs... des pelles et des pelles de sable. La brouette. "De la terre, des décombres, des pierres, des ordres, des morceaux de craie, des attentes, des fatigues...". Les seaux, les parpaings. La ferraille, les piliers, les linteaux, des griffes, des pinces coupantes, des cisailles. La tractopelle, les charpentes, les poutrelles, le grillage, l'échafaudage, les barres, les montants, les garde-corps, les planches, les planchers. La gamelle, le pain, le vin... beaucoup de vin... le soir, "des enclumes au bout des bras". Les besognes. Un sale boulot. Pour si peu d'argent : "on campe autour de ça : l'argent. Bouton d'or qui vide la ruche. Et la consume." le bruit : "du bruit toute la journée. On ne sait pas ce qui se passe. Quelqu'un fait des gestes : il gagne son pain. C'est tout." le marteau-piqueur : "toute la matinée. On n'entend plus rien. Même plus le bruit". Rien à penser. Des mots qui s'imposent ; "la parole ici ne pèse pas lourd."La grue. Et/mais les mains...qui "s'étoilent"...

Et contrastés... il y a l'oiseau (un mot qui revient presque à toutes les pages... presque...), les oiseaux : les pigeons, les rouges-gorges, le coq, les hirondelles. L'eau, le feu, l'arc-en-ciel (omniprésent ou presque...), la terre, le ciel, l'arbre, les feuilles, le soleil, la pluie, le puits, la source, l'aile... "l'aile que l'ange envie dans sa ténèbre." Un cahier emprunté à ses gosses. Une plume. Ce journal.

Plus qu'un classique de la littérature prolétarienne, le journal de Thierry Metz est un magnifique recueil poétique, qu'il faut lire, relire et lire encore... comme toute belle poésie qui se respecte... Joseph Ponthus avait compris la "dimension", le talent de son frère en écriture et en humanités.
Dommage que ces deux belles âmes rebelles s'en soient allé éclairer d'autres espaces...

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J'ai découvert l'existence de ce livre et de cet auteur en lisant l'extraordinaire récit de Joseph Ponthus « A la ligne. Feuillets d'usine , qui le cite. .
Et, coïncidence, mais comme dirait Bach à propos d'un de ces morceaux « à clef » de l'Offrande Musicale, « Qui cherche trouve », il était quelque jours après dans mon Emmaüs voisin.

Et alors, moi qui m'attendais à un récit prosaïque de la vie d'un ouvrier de chantier, quelle surprise, je ne m'attendais pas à ça!

Un journal oui, au jour le jour, oui, mais qui transforme une réalité plutôt banale, la construction d'un immeuble, en un vrai récit non pas épique, mais poétique.

C'est absolument merveilleux de lire ces pages du quotidien d'un dur labeur transcendées par la joie de faire, même si parfois, on sent la colère sous-jacente, par les échanges souvent pleins de gaité entre les ouvriers, ceux avec les promeneurs, ces moments de pause presque extatiques, ce silence qui accompagne les gestes du chantier, ces pages de la détente des samedi et dimanche, cette page amoureuse, sublime, consacrée à sa femme, tant de choses si belles, et puis surtout, par ces impressions sonores, visuelles, magnifiques.
J'en cite une, lors d'une page consacrée à la trêve du dimanche : « le soleil est si haut que l'arbre n'est plus qu'une ombre dans la mémoire de l'arbre. »
Et puis ces visions symboliques d'oiseaux, d'arcs-en-ciel, comme des vestiges de l'enfance, comme des ailes de liberté.

Je m'arrête car la beauté de ce livre n'a pas besoin de plus de commentaires.
Il est, pour moi, une merveille absolue qui a rempli mon coeur de bonheur.

J'ai lu avec tristesse que Metz s'est suicidé en 1997, à 40 ans. Étrange coïncidence avec la mort de Ponthus à 42 ans, d'un cancer.
Mais, en réalité, ils ne sont pas morts, leurs livres l'attestent.
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De connaître la fin tragique de l'auteur a quelque peu modifié ma lecture. Une empathie s'est créé en lisant la dédicace apposée sur la page de garde.
Livre étonnant, banal, récit d'un ouvrier travaillant sur un chantier, qui devient par de soudaines fulgurances une folie poétique qui nous entraine aux confins de l'abstraction.
Thierry Metz a su me surprendre avec cet objet littéraire non identifié (OLNI) sans pour autant m'enthousiasmer totalement.
Il sera nécessaire que je lise d'autres ouvrages pour affermir mon jugement.

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Citations et extraits (81) Voir plus Ajouter une citation
Le chef est italien, dur d'accent, dur de caractère. [...]
Il manie la pioche comme un bâton [...]
Ses mains déployées en disent long.
Il parle peu mais toujours du travail. D'une coulée de gestes qu'il dirige vers nous par le plus court chemin.
Discuter l'énerve, le déconcerte.
- Tu connais le travail ? Alors si tu connais le travail, tu le fais. Pourquoi me raconter des histoires? Tu dis que t'es maçon ? Et tu fais un travail qui n'est pas de niveau ! Autant appeler un passant dans la rue...
Il parlait d'un homme que l'entreprise avait embauché sur un autre chantier. Et qu'ils n'ont pas gardé.
Ici on n'attend pas. Il faut suivre ou rester avec les oiseaux.
Ici on ne trace pas l'arc-en-ciel autour de sa soif.
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25 juillet - Il fait chaud à ne pouvoir dormir. Les matins commencent tôt et avec l'habitude... Je me suis levé avec le coq pour réveiller un liseron près du grillage puis j'ai marché pieds nus vers d'autres herbes.
Pas de jardin ici, rien d'entretenu, aucune fleur savante, domptée. Pourquoi faire ? L'ortie géologue est partout, ce qu'elle sait de la terre et des autres plantes : il suffit de lui demander. Mais demander provoque la morsure, qui fait rougir, qui brûle.
Le manœuvre ne sait désigner que la friche, c’est là qu’il travaille avec les éléphants, les pelleteuses – avec les mots d’une préhistoire. Qu’irait-il faire, pour l’instant, dans un jardin ?

J’écris dans l’ortie, pas dans la rose. Pas encore mais j’y viendrai. La prochaine étape si elle a lieu : c’est le tournesol.
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Je voulais marcher, c’est tout. Sortir un instant de ces besognes qui n’écoutent pas ce que nous sommes.
Marcher, dériver…
Lentement j’ai suivi le soleil…
Lentement…
Qu’importe ce que j’ai trouvé. Du vent et des ombres. Je passais.
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Tu viens me rejoindre. Tu es là. Je t'aime.
Tu m'apportes quelques beignets dans une assiette. Du cidre. On parle un peu. On a le temps aujourd'hui. Qui pourrait venir ? Et moi je n'ai as à m'absenter...
Te regarder.
T’écouter.
C’est tout.
Tu vois : nous sommes pauvres.
Tu es l’aile que l’ange envie dans sa ténèbre.
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28 juillet. - Midi me ramène toujours au plus clair, à une façon d'être qui se contente d'un peu d'eau, de pain et de quelques mots. Une eau qu'on a été chercher sous la pluie, un pain qui a cheminé dans les poches de l'oiseleur, des mots qui ont gardé mémoire de ce qu'ils ont vu. On peut tresser longtemps à partir de ces brins d'herbe, faire un éventail ou un panier, une barque ou un berceau. Midi est une heure imaginaire. Tout devient possible. Car si l'homme a besoin d'outils pour trouver ses mots, il a besoin de crayons de couleur pour peupler les récits de son souffle. Et du petit singe qui est notre regard.
Midi a aussi un visage. Je l'ai vu aujourd'hui. C'est un homme coiffé d'un chapeau de feutre. Je mangeais sur une planche d'échafaudage quand il est arrivé. Il m'a salué, m'a souhaité bon appétit.
- Je ne vous dérange pas ?
- Non.
- Je passais dans la rue...
Que veut-il ? Est-ce le pain ? Est-ce la parole ? J'attends sans m'avancer : il pourrait s'envoler jusqu'au toit, revenir parmi les pigeons.
- Vous avez du travail ici...
- Oui, pour plusieurs mois.
Comme il est distrait son regard... Que cherche-t-il ? Que me montre-t-il ? Une tombe ou un repas ?
- Oui le chantier... le travail... je connais... j'ai fait ça moi aussi...
Il s'assoit, il parle, il n'écoute pas ce qu'il dit, il ment parce qu'il a trop parlé. Quelqu'un fait les cent pas dans sa voix.
- C'était plus facile avant...
Avant quoi ? On ne sait pas ; ce qu'il dit ne laisse pas de trace. Il s'égare dans un hier qui n'était meilleur pour les hommes.
Qui est-il celui-là qui porte les vêtements usés de son nom, de ses actes ? Qui va pieds nus dans de grosses chaussures noires ?
Je décide que cet homme sans voix : c'est la mort.
Un mort qui me demande, avant de partir, s'il peut emporter les bouteilles consignées qui traînent par terre.

Pp.77-78
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Video de Thierry Metz (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Thierry Metz
Terre – Thierry Metz lu par Lionel Mazari
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