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EAN : 9782265117983
480 pages
Fleuve Editions (23/08/2018)
3.61/5   70 notes
Résumé :
L'histoire commence ainsi: une femme parle à l'homme qu'elle aime.
Devant elle: les restes d'un repas.
Plutôt que le papier, elle a choisi l'écran.
A l'intimité d'une lettre, elle a préféré la vidéo et la multitude des réseaux sociaux.
Cette femme c'est Martha Delombre, psychologue criminelle habituée aux confessions les plus abominables.
C'est désormais à son tour de se confesser. L'impudeur ? Peu lui importe, car tout le mond... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (34) Voir plus Ajouter une critique
3,61

sur 70 notes
Un titre aguicheur et une couverture à la fois sublime et inquiétante m'avaient attirée, une envie de changer de style de lecture. Malheureusement, j'ai mis 1/3 du livre à résister à l'envie de le lâcher, car c'est délayé à l'extrême : il y a des redites et des reformulations, le style en est alourdi.

L'intrigue est pourtant fort audacieuse et le déroulé de l'histoire très bien vu, mais un gros élagage aurait rendu la lecture fluide sans rien enlever à l'histoire, dommage.
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S'il y a une chose qu'il faut reconnaître à Délicieuse, le roman de Marie Neuser, c'est qu'il se montre efficace. J'ai trouvé que par moments, l'intrigue se diluait dans des détails, des phrases ampoulées et de répétitions. Plus de concision n'aurait pas nui, bien au contraire. Malgré ces quelques longueurs et effets de manche superflues, l'efficacité prédomine puisqu'on reste accroché à la voix de Martha.

L'histoire pourrait se résumer à un banal adultère. Sauf que banal, ça ne l'est pas. de son nuage moelleux et doré où elle culmine depuis vingt années avec son mari et son fils de huit ans, Martha, psychologue criminelle travaillant dans une prison, est précipitée brutalement sur Terre un dimanche de janvier. Son cher et adoré Raphaël est tombé amoureux d'une autre femme. Les jours de cauchemars et de souffrances commencent avec cette annonce.

Martha partage dans son monologue face à la caméra les affres de la trahison, son amour foudroyé et la sensation d'être rejetée comme une vieille chose pour un produit plus neuf. Et comment ne pas compatir à sa douleur alors?
Les choix de Martha m'ont pourtant de plus en plus mise mal à l'aise. Tout comme les nombreux passages recourant aux réseaux sociaux. Ces déballages sans pudeur, voire carrément exhibitionnistes, me révulsent. Je comprends la tactique de Marie Neuser de déployer sous nos yeux les modes de "communication" contemporains, fatras de "moi-moïsme" exacerbé, de clichés, de médiocrité, de violences abjectes bien cachées derrière les pseudos, ... Écoeurant et inquiétant car ça ne sort pas uniquement de l'imagination de l'auteure.

Le roman contient donc de multiples thèmes qui s'emboîtent dans l'intrigue principale. Sans doute de par sa formation professionnelle, Martha réfléchit beaucoup sur les peurs du vide existentiel, qu'il faut remplir à tout prix. D'où les pulsions nombrilistes sur les réseaux sociaux, celles meurtrières de certains de ses patients, ... Il y a aussi la question prégnante du temps qui passe. le couple Martha-Raphaël est quadragénaire. Ce coup de foudre pour la jeune architecte est-il vraiment de l'amour ou une poussée de fièvre de la crise de la quarantaine? Ce qui renvoie Martha, malgré sa minceur et sa beauté, aux ridules au coin des yeux, à l'ovale du menton qui va se relâchant. Elle qui vivait jusque là sans se poser de questions sur son âge se voit jeter ses décennies en pleine face ce fameux dimanche. le poids des ans soudain abattu sur son visage et son corps. Avec toute la mauvaise perception dans le miroir que donne le chagrin.

Bref, beaucoup de qualités dans Délicieuse. Même si certains points sont prévisibles. Même s'il y a des longueurs et des effets stylistiques qui m'ont paru trop ostentatoires. Mais il y a surtout la capacité à mettre le lecteur très mal à l'aise. Je me suis sentie, au vu de la construction narrative, placée dans une situation de voyeurisme et j'en ressors comme salie à l'intérieur. Plutôt dérangeant et désagréable. Marie Neuser n'a pas écrit pour chouchouter les lecteurs mais pour leur jeter avec violence ce que Martha avait à dire. C'est réussi. Mais voilà un livre que je n'oserais pas offrir.
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Martha est d'une femme profondément blessée. Après vingt ans de mariage, son mari lui annonce qu'il aime une autre femme. Qu'il la quitte… alors qu'ils ont toujours été heureux ensemble.
De l'anéantissement à l'envie de vengeance, en passant par le désir de reconquête, elle ne parvient pas à faire face au sentiment d'abandon suscité par cette rupture. Elle a l'impression de n'être plus rien.
Martha imagine alors un stratagème diabolique pour s'approcher de sa rivale afin de lui empoisonner la vie.

Marie Neuser, offre avec ce roman une "délicieuse" variation sur le thème de la femme abandonnée qui transforme une banale histoire d'échec conjugal en un thriller psychologique particulièrement bavard et pervers. Martha y dissèque ses états d'âme en long, en large et en travers, et n'évite pas quelques digressions inutiles à mon avis. Malgré son ton sarcastique, assez réjouissant par moment, elle aurait largement gagné à faire preuve d'un peu plus de concision pour encore mieux percuter.
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Je pourrai écrire que c'est l'histoire banale d'une séparation.
Après 20 ans passés ensemble, Raph annonce à Martha qu'il ne l'aime plus, qu'il a rencontré la Femme de sa vie, son double, son autre moi et qu'il part vivre avec elle.
"C'est si merveilleux, si exceptionnel, cette harmonie entre nous, c'est...surnaturel. le même être dans un miroir. Des jumeaux d'âme."
Le temps de la mise à nue d'une vie entière est arrivé : les reproches, les certitudes, les excuses, les prédictions, la haine, la fureur, tout y passe.

Sauf que ce n'est pas une histoire banale.
C'est le cheminement d'une femme trompée, trahie, déchirée qui n'a rien rien vu venir et plus grand chose à perdre puisqu'elle a déjà tout perdu.
C'est l'histoire tragique d'une femme face à elle même, qui regarde sa vie avec hauteur, en fait un film, et le poste sur utube.
"Martha, il faut que je te parle."
La gravité des mots qui laisse entrevoir des paroles que ne pourront être reprises une fois prononcées. Et le contraste, saisissant, entre la douleur insupportable de l'un et le bonheur réjouissant de l'autre. Marie Neuser décrypte, dissèque, dépèce les émotions de l'un, les réactions de l'autre, les réflexions, les attitudes, avec un réalisme qui frôle ou le vécu, ou le génie.

C'est aussi l'histoire d'une femme qui a vieilli.
Qui ne l'a pas senti, qui s'est toujours vue rayonner dans les yeux de l'autre et qui entrevoit, pour la première fois, la décrépitude du corps par les années parce qu'elle est confrontée à la présence de cette autre femme qui a dix ans de moins qu'elle.

C'est l'histoire d'une femme qui est devenue mère, et qui a oublié d'être femme.
Pas par choix conscient, par habitude inconsciente. Et personne ne l'a réveillée cette femme là.
C'est vingt ans de couple, vingt ans de sexe... ou d'absence de sexe... ou de relations sexuelles molles, fades, qui n'existent encore que par habitude, quelques minutes entre la poire et le fromage, volées à l'horripilante machine de guerre qu'est le quotidien. Excuse banale, puisqu'il en faut une, d'être allé voir ailleurs.
La machine intellectuelle se met en branle pour incomber à l'autre la faute et la justification d'avoir cherché ailleurs ce qu'il ne trouvait plus chez lui.
"Tu as la libido au point mort (...), tu n'écoutes plus mes besoins (...) ton absence de désir a étouffé le mien (...). Elle, elle me veut. (...) Quand on fait l'amour, on est deux planètes en osmose. Elle me donne l'intensité qui est morte avec toi.(...) Tu es devenue asexuée Martha. Tu as rangé le sexe tout en bas de la pile."

L'histoire d'une femme qui passe par toutes les étapes d'un deuil : le choc et le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l'acceptation.
Toutes ces phases sont étudiées au microscope, passées au peigne fin de l'analyse par l'écriture inouïe et prodigieuse de Marie Neuser.
Ce roman est écrit comme un gigantesque monologue qui peut rebuter, entrecoupés de dialogues sans dialogue qui peuvent laisser circonspect. Elle utilise des phrases longues pour marquer la tension nerveuse qui suit cette collision, une femme dont le débit de paroles est proportionnel à la force du choc, qui ne peut plus s'arrêter de parler, de penser, de raisonner.
Une caméra qui filme le flot ininterrompu de ses paroles, comme le film qu'elle est entrain de tourner, et qu'elle postera plus tard sur les réseaux sociaux, les mêmes réseaux qui ont fait d'elle une femme aux abois.
Dans la multitude des émotions qui sont transmises, le style n'est pas dénué d'humour.
J'ai souri, et ri aussi, quand emportée par la révolte, Martha utilise la vulgarité, des mots crus et cinglants pour enfoncer les clous de sa pensée. Les paroles qu'on prononce quand on est rendu à être un animal blessé.
"Oui je sais. La sacro-sainte intensité, tu l'as déjà dit. Est-ce que ce sera toujours aussi intense quand vous serez débarrassés des oripeaux de la clandestinité, quand vous partagerez au quotidien les haleines à l'ail et les odeurs de chiotte ? Quand votre union ne sera plus faite de fièvre corporelle et de séduction mais de vaisselles, de lessives et de poils aux pattes ? Et pardonne-moi de me faire l'avocate du diable, mais cette sublime gémellité dont tu me parles aujourd'hui, et qui concrètement n'est étayée par rien, excepté par l'argument on aime la peinture, quand tu devras vraiment construire un couple avec elle, est-ce que ça tiendra le coup ?"

Je pourrai décrire aussi les passages sublimes de la reconquête de l'autre par le désir quand Martha redevient une femme sexuée et sexuelle, les passages brillants quand détentrice de tous les indices, elle parvient à remonter le fil de la trahison, les passages incroyables de transformation de l'état de victime à celui de guerrière, les réflexions si justes du mécanisme de fonctionnement de l'autre qu'après vingt ans on connaît si bien, la connaissance du fonctionnement de l'Homme, la clairvoyance sur le futur, mais aucune de mes phrases ne pourra retranscrire les papillons dans le ventre ressentis comme lorsque l'on désire quelqu'un pour la première fois, ou la douleur tripale de l'abandon.

J'écris cette chronique et j'ai mal au ventre, mal au coeur, mal partout.
Marie Neuser est parvenue, par le seul biais de l'écriture à faire remonter des émotions, des sensations de la femme des premières fois. La femme que nous avons toute été un jour que le quotidien a simplement endormi. En ce sens, ce livre est un électrochoc qui frappe l'esprit d'incessants coups de boutoir et martèle à celui qui le lit de ne jamais oublier, de ne jamais s'endormir, d'être toujours sur ses gardes pour entretenir la flamme et le désir, de se souvenir qu'en un seul claquement de doigts, tout peut changer.

Enfin, je pourrai vous dire que ce livre est bien un roman noir, vous parler du métier de Martha qui assoit ses capacités d'analyse, de l'incroyable twist qui survient à la page 330, de la fin si logique qui exacerbe et conclue, comme un feu d'artifice, les émotions d'une femme à cran, mais je n'en ai pas vraiment envie, parce que ce livre, c'est tellement plus que ça....

Mangez-le, dégustez-le, avec ou sans curry mais gardez-en la substantifique moelle.
Merci Marie.


Lien : https://audebouquine.blogspo..
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Une immersion en profondeur.
Scénario introspectif par excellence. Pourtant, la situation de base est banale : une femme après 20 ans de mariage est trompée par un homme qui part avec une plus jeune.

Contrairement à ce que j'ai pu lire, Martha n'a pas tout perdu. Aristocrate de naissance, il semble qu'elle vit tjrs dans le confort même après que Ralph l'ait quittée. Par contre, quelle verve chez Marie Neuser pour analyser avec une plume incisive comme un scalpel les états d'âme ! de la perplexité à l'abattement en passant par la colère, la peur du vide qui tel un trou noir, grossit dans sa poitrine, on assiste à un monologue d'une rare intensité. Marie Neuser prête toute sa fougue introspective à ce personnage, à priori commun, à qui elle offre sa force psychologique. Martha Delombre comme son nom l'indique a toujours vécu dans l'ombre et ce malgré, les atouts de sa classe : en tant que psychologue, elle n'a eu de cesse d'écouter des criminels ou encore en tant qu'épouse, de seconder son mari dans ses projets...Entre le boulot, son fils, l'époux, son sens indéfectible de l'écoute, pas de temps pour elle. Surtout que ce dévouement aux autres est mal payé car il semble qu'elle soit seule à se rendre compte de cette qualité. En comparaison d'elle, ô combien le mari volage paraît fade, superficiel : lâche, il esquive, refuse le dialogue face à son épouse qui l'appelle en vain, retire peu à peu ses affaires. le motif de sa séparation est d'ailleurs tellement bateau : le sexe qui avec le temps dans un couple ne peut que s'user. On est saisi par le contraste entre le plaisir de l'époux adultère et le chagrin de l'épouse trahie bien que là aussi, ce soit un fait très répandu. Bref, Marie Neuser a l'art de traiter un drame banal en le sublimant, l'art de prêter sa voix à une épouse bafouée. Quand on songe qu'elles existent depuis les débuts de la civilisation, il était temps que quelqu'un se penche sur elles et décrive leurs états d'âme...

Mais ce n'est pas tout car elle va plus loin. Par allusion, l'auteure suggère que Martha concocte un plan de vengeance. Déjà avec le mythe de Procné et Philomèle qui est rapporté par Eric Perotta (allusion faite à Lucas Perotta) on sent que l'on saisit vaguement quelque chose. Ce récit légendaire raconte un crime passionnel noir, très noir d'un prince qui séquestra sa belle soeur, la viola, lui coupa la langue avant qu'en retour, elle n'empoisonne son fils. Philomèle est comme Martha, bien que son sort soit encore plus terrible en tant que femme de l'ombre, elle qui tissait de mystérieux fils dans les textes qu'elle envoyait à sa propre soeur cocue dans l'espoir que celle-ci ne les déchiffre à son tour : en vain...Ensuite, à cause de l'irruption de Sakura, plus de la moitié du roman, cette femme serpent qui est née d'une métamorphose à coup de pistolet qui grave sur son dos le monde, l'essence des êtres. Son striptease en dansant qui se termine par un cercle sous ses pas est un autre moment mythique. Après, Martha s'identifie à Héra et fait ses préparatifs pr un voyage vers une terre inconnue. Un ultime départ au milieu d'une tempête de destruction de masse qui est accompagnée de ses derniers mots pour son ex et son fils. C'est surprenant car tout est fait soigneusement par allusion. Si l'on devine qu'il y a dans l'esprit de Martha, un petit air divin qui châtie bien, on ne voit pas vraiment ce dont il s'agit....

Par contre, vous ne me croiriez sans doute pas si je vous dis que je connais la vraie. Encore une enfumeuse ou une prétentieuse penseriez-vous... Quoiqu'il en soit, comme Martha à la fin du roman, j'ai publié sur youtube sous le nom de wickafate et j'ai cherché à faire des révélations via un roman qui porte sur l'apocalypse.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Je voudrais que tu pleures. Comment peux-tu supporter ma détresse sans pleurer ?
C'est là, maintenant, que je comprends.
Tout en toi est sec. Tout en toi qui me concerne.
C'est elle qui a volé ta substance. Tu sais que cet instant est la fin de nous, la fin de ta vie dans cette maison, la fin de ta constance auprès de ton fils, ce sont vingt ans de construction appliquée et on plante là le chantier, c'est une taille nette de scalpel qui sépare deux siamois, et rien ne saigne en toi. Pas même un sanglot retenu, pas même les cornées humides. Je me serais même contentée d'une voix chevrote. Mais rien. Je ne te suis plus rien.
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Allons, Martha, regarde les choses en face. Regarde la bouche du seul homme de ta vie répondre, très calme et un peu penaude toutefois, non, tu ne la connais pas, et oui, j'ai fait l'amour avec elle, et je vais te dire quelque chose, j'ai adoré ça.
C'est exactement là que, dans les dessins animés, un marteau gigantesque s'abat sur les occiputs pour en faire jaillir une ribambelle d'oiseaux qui chantent ou des manèges de constellations. Je suis hébétée, empêtrée dans mes oiseaux et mes étoiles.
(p. 20)
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Je vous ai mise dans une case avec de l’amour.

C’est Monsieur A. qui parle ainsi.

Monsieur A., lors d’un premier séjour en prison pour meurtre, a dévoré le foie de son compagnon de cellule.

-Par erreur :

Il pensait que c’était le cœur.

N’imaginons pas une scène d’anthropophagie faite de bruit et de fureur :

Ce foie, il l’a délicatement prélevé et l’a cuisiné avec des carottes.

Passer une demi-heure avec Monsieur A. permet de revaloriser ses propres marasmes intimes.

Il reprend : Vous, je ne vous mangerai pas.

Merci.

Parce que vous êtes dans ma boîte avec l’amour.

Alors vous ne mangez pas ceux que vous aimez ?

Non. Je mange ceux que je hais pour pouvoir les chier.

Je les considère comme de la merde, j’en fais de la vraie merde.

Je transforme l’abstrait en concret.

Monsieur A. est mon énigme.

Je te mange. Je te dévore. Je fais entrer ta chair dans ma bouche et offre la mienne à ton palais.

Dents, langue et lèvres voraces dans des phénomènes de succion, aspiration, mordillements qui

dérivent parfois en morsures franches, l’amour est un repas.

Mais manger l’autre par mépris, tordre le cou à toutes les théories anthropologistes qui nous

apprennent qu’éventuellement on mange l’autre par admiration, pour absorber sa puissance ou son

courage, ça je n’y avais jamais pensé.

Délicieuse Marie Neuser
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OK.

On y va.

Attends, juste un petit réglage encore, une mise au point de la focale, pour que la caméra me cadre parfaitement et mette en valeur mon plus beau profil. Profil, non. De face. De face c’est mieux, pour se parler. Voilà.

Je suis prête.

Tu me vois.

Tu me vois, bien sûr. Et tu ne comprends rien.

Les yeux grands ouverts, zébrés de crainte, de répulsion ou de curiosité, tu t’apprêtes à m’écouter.

Tu comprendras, à la fin de ce film, que par la suite je me suis faufilée hors de la maison et ai glissé mes clés dans la boîte aux lettres. En le faisant je me suis dit c’est marrant, aujourd’hui les boîtes aux lettres ne servent plus qu’à y laisser des trousseaux de clés.

Avant de partir, je t’ai envoyé ce mail, ça aussi c’est marrant, deux personnes vivant sous le même toit qui communiquent par mail au lieu de laisser un papillon sur le buffet. Dans mon message, il y avait ce lien.

Que tu as ouvert.

Tu l’as ouvert parce qu’à ce moment-là, tu étais fou d’in quiétude.

Le message était un message d’adieu. Ce n’est pas la première fois que nous nous écrivons des messages d’adieu via la poste électronique. Ce sera la dernière.

Alors tu as lu mes mots; électrisé par une panique qui n’a pas de nom, tu as cliqué sur le lien.

Tu verras, c’est un beau film.

Attends. Je me sers. Pardon, je mange en te parlant, je n’ai pas vraiment le choix, c’est que le temps presse. Les restes, ces beaux restes, il faut que je les liquide dès maintenant, et tant pis si ce n’est pas très poli de parler la bouche pleine; il y a des moments où la politesse n’est qu’une perte inutile de temps et c’est le cas aujourd’hui. Je te fais peut-être saliver, tu retrouves toute la saveur de ce petit plat que je t’ai proposé hier soir et que tu as dégusté avec contentement. La caméra cadre idéalement mon assiette et la marmite fumante juste derrière. Ce plat, je l’avais mitonné tout exprès pour nous deux, la viande est tendre, la sauce parfumée aux épices, ça fond miraculeusement en bouche – souviens-toi, à jamais, de cette joie pour les papilles. Il le faut.

Une seconde. J’oriente un peu la caméra vers ce qui se trouve sur la table, et que je viens de disposer par ordre de grandeur, vois comme c’est joli. Tous ces petits os si fins, fragiles, des os d’oisillon bien récurés du bout des dents. Tu te souviens d’en avoir suçoté, en ma compagnie. C’est que ces petits os ont une histoire.

Bien. Je n’ai pas fait tout ça pour te parler cuisine. Nous y reviendrons dans un moment, si tu veux bien. Où en étais-je? Oui. Le film, donc.
Un vrai beau documentaire, dans les règles de l’art. Moi face caméra, sous un éclairage soigné, te parlant comme si nous étions l’un en face de l’autre. Ma relative maîtrise de la vidéo m’a donné la possibilité d’insérer des images fixes, des photos accompagnées de ma voix qui, j’ose l’espérer, ne te semblera pas se perdre en bavardage inutile.

Au moment où tu le visionneras, des milliers d’internautes l’auront déjà vu et partagé. J’aurai donc accompli le tour du monde en Toile. Comment dit-on, déjà? Faire le buzz? Voilà. J’aurai fait le buzz. Je serai devenue l’univers. C’est parfaitement enivrant.

Je te parle, et j’éprouve un léger trouble, dû au fait que je ne sais pas à qui je m’adresse. C’est à toi que je vais dire ces choses : mais ce choix pour lequel il m’a fallu trancher, te parler comme à l’oreille et cependant devant une assemblée infinie de personnes, est une gymnastique inédite et ô combien déstabilisante. Tu comprendras plus tard pourquoi j’ai voulu me mettre à nu de la sorte. Pour l’instant, non, tu ne saisis pas. Mais peu à peu, dans ces résidus de mémoire qu’il te reste, des éclats vont revenir. Des souvenirs peu agréables.

Ce sont les derniers mois de notre vie. Ce sont les fulgurances de nos folies et de nos erreurs. C’est la démence quotidienne de nos amours.

Tu te rappelleras. Tu n’en reviendras pas.

Quant à moi, c’est de ce voyage que je ne reviendrai pas.

Mon voyage est lié à ces petits os que tu vois à l’image. Mes mots le sont aussi. Tout comme ta mémoire défaillante.

C’est pour ça que je dois te dire.
J’aurais pu t’écrire une longue lettre, mais ça aurait pris trop de temps. Il aurait fallu que je cherche les mots, que je les grave sur un support qui exige le geste, le voyage du cerveau à la main. Et tout cela serait resté entre toi et moi. Exactement ce que je ne voulais pas.

Je sais. Tu souffriras de ce choix que j’ai fait, de t’embarquer contre ton gré dans cet étalage de notre intimité, de tout déballer sur cette agora de la communication que sont les réseaux sociaux aujourd’hui. Communication… le mot me semble mal choisi. Il paraît qu’on dit partage. Si partage signifie nombrilisme, exhibition, pour arriver, au bout de la chaîne, au voyeurisme le plus décomplexé, alors je suis preneuse. Car voici le but de cette entreprise : faire partie, moi aussi, de la grande famille, à défaut d’une autre. La grande famille de ceux qui s’en vont vomir leur petitesse ou leur grande mythologie personnelle sur des millions d’écrans, sortent de l’anonymat en devenant enfin un visage concret – bien qu’éphémère, parmi des millions d’autres – hurlant dans des millions de chambres d’ados qu’ils existent, qu’ils existent juste parce qu’ils sont nés un jour, oh, pas pour leur talent, pas pour leur créativité, pas pour leur exceptionnelle beauté ni pour leur fracassante intelligence, pas pour la postérité, juste pour une seconde où ils auront traversé l’espace rectangulaire d’un ordinateur, comme des pollens de printemps qu’on voit voler à contre-jour. Une petite poussière que l’œil attrape dans la multitude, mais dont on se souvient vaguement par la suite, parce qu’elle s’est coincée sous la paupière et vous a démangé un moment. Je te parlerai, en temps voulu, d’un Petit Narcisse qui a désiré être plus qu’une poussière dans l’œil de ses contemporains, parce qu’il n’avait aucun autre moyen d’exister.

Parce que le problème, vois-tu, c’est de ne pas exister.

Aujourd’hui, je veux t’exister.

Et je pense que tu vas vite savoir pourquoi, à la fin de ce film, je serai devenue une de ces existences que l’on n’oublie pas.
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Je sais combien la douleur pilonne du lever au coucher, je sais la déchirure comme une ouverture chirurgicale qui ne se referme jamais, et le suintement, et les morphines invisibles qui ne font jamais effet. Je sais un être qui s'éteint et les gesticulations vaines pour tenter de le rallumer. Je sais tout du vide, moi. Je t'en plaindrai presque. Plaindre quelqu'un est une brèche miraculeuse pour lui faire encore plus mal. La fausse compassion, l'empathie de théâtre, le choix des mots en exécution capitale, avec subtilité, est un vice délicieux.
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