L'ouvrage est un recueil de poèmes, qui rassemble Les chants de la Merci, parus en 1930, et Les Chants des Quatre-Temps, publiés en 1972, après la mort de
Marie Noël, survenue en 1967. Beaucoup des chants de la Merci sont d'inspiration chrétienne, alors que les poèmes des Chants des Quatre-Temps ressemblent davantage à des comptines, auxquelles il semble que seule manque une mélodie pour pouvoir les fredonner.
Sur le fond, ces poèmes aux accents autobiographiques ("Captive" : Cette fille, / Je crois que c'était moi) sont souvent sombres, exprimant une large palette de sentiments négatifs. Et malgré cela, cette poésie reste empreinte de foi, d'espérance et de charité. Ce double constat est la marque de fabrique de
Marie Noël.
Parmi ces sentiments négatifs, on peut citer la peur, notamment celle de la mort ("Les dernières détresses" : Ils se penchent. En vain. Ils ne peuvent descendre / Les degrés de l'abîme où roule ton effroi. / Ils te veillent. En vain. Ils ne peuvent entendre / Ce cri désespéré qui ne sort plus de toi), la déception amoureuse ("Désenchantement" : Ô mon amour, mon seul amour ! / Si je savais par quel chemin / Tu t'en es allé sans retour / Je le prendrais, j'irais sans fin), l'amour contrarié ("Discorde", qui commence et se termine par "Vous viendrez"), l'inquiétude du lendemain, avec toutes les préoccupations qui provoquent l'insomnie d'une mère de famille ("Le souci" : Les heures tour à tour partent. J'entends l'aurore / Qui s'approche. Ô fatigue, endors-moi ! - Pas encore...), la perte d'un fils sur les champs de bataille de 14-18 ("Chant de la compassion" : Prends-lui la main et, l'endormant, / Fais-le descendre doucement / Au fond obscur de la mort.).
Dans ce tableau noir,
Marie Noël fait néanmoins luire la petite flamme de la Foi, de l'Espérance et de la Charité. Et c'est là que, la poésie se faisant prière, l'oeuvre de
Marie Noël atteint le sublime. Ainsi, en matière d'espérance, on ne peut pas ne pas citer cette magnifique "Assomption", où elle décrit les anges accueillant à sa mort, Fanny, une pauvre servante qui a vécu dans l'ombre toute sa vie : "Lève-toi maintenant dans tes haillons splendides ! / Viens dans le dénuement de ton morne départ / Viens Fanny, prends les cieux, prends Dieu dans tes mains vides / Prends l'éternelle joie, ô femme, c'est ta part".
Pour ce qui concerne la charité, les magnifiques "Exercices", où
Marie Noël détaille les circonstances qui font obstacle à la charité, nous invitent à les surmonter et à aimer : "Quand donc m'arrêterai-je un peu d'aimer ! - Courage ! / - Mais je n'ai plus d'amour, je l'ai trop prodigué. / - Aime ! Les voyageurs qui sont pris par l'orage / Se mettront à l'abri dans ton coeur fatigué." Où l'on ne manquera pas d'observer qu'elle fait rimer le mot ciel avec fiel... Ces exercices sont suivis de la superbe "Prière pour toutes sortes de nécessités", où
Marie Noël passe en revue les intentions de prière qui jalonnent une vie (la solitude, la maladie, la mort, etc.), tout en se mettant en retrait et en ne demandant rien pour elle-même : "- Moi, Seigneur ? Ô mon Dieu, je n'ai besoin de rien".
La poésie est un art où
Marie Noël excelle, tant sur la rime que sur le rythme. Des vers de quatorze pieds, de douze, de huit, ou de six, voire des impairs, elle a tout tenté et tout réussi. A ce titre, ce recueil de poèmes m'a fait penser à ce qu'
André Gide écrivait sur l'art : "L'art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de libertés". Ainsi, plus le vers "sonne" bien, c'est-à-dire plus il coule de source, un peu comme une évidence, plus il a exigé de travail en amont.
Mais paradoxalement, si le poète a respecté la rime et le rythme, cette contrainte a restreint son champ de recherche et donc limité son choix de mots, lui facilitant en quelque sorte le travail. Il ne s'agit plus alors de chercher un mot parmi tous, il s'agit simplement d'en choisir un parmi les deux ou trois qui peuvent convenir.
Au moment de conclure ce billet, par gratitude pour
Marie Noël qui m'a offert ces moments d'émotion littéraire, et pour reprendre le titre, je n'aurais qu'un seul mot : merci.