Première plongée dans l'univers de
Ludmila Oulitskaïa pour moi et certainement pas la dernière. A présent il me tarde de lire un de ses romans tant j'ai aimé la fluidité de l'écriture de cette auteure russe.
Le corps de l'âme est un recueil de nouvelles articulé en deux parties distinctes : les amies et
le corps de l'âme qui donne son nom au livre.
Chacune des parties est introduite par un chapitre très personnel, un avant-propos pour la première partie, ode aux amies, aux femmes, à la fois lyrique et crue, poétique et profondément humaine, et un entracte pour la seconde partie qui m'a infiniment touchée : elle y narre en une métaphore théâtrale sa fin de vie, sa vieillesse et l'approche de la mort. Ces deux passages intimes donnent le la à ce qui va suivre.
« J'entre dans l'épisode final,
Et peu importe qu'il soit suave ou aigre
Il se coule dans le sens ultime.
On aurait voulu une structure fractale, mais il n'y en a pas.
Il n'y a qu'une structure frontale comme ce vers ».
La première partie, composée de 5 textes, fait ainsi la part belle aux femmes. Des femmes qui aiment d'autres femmes, des femmes qui espèrent une ascension sociale, des femmes simples et humbles, d'autres qui manigancent et qui rusent…des femmes qui tentent de trouver leur place dans la société et de vivre tout simplement. J'ai été surprise par le style de
Ludmila Oulitskaïa, son écriture n'est pas ciselée, elle n'est pas complexe, elle n'est pas grandiose et encore moins grandiloquente, mais se fait discrète au service d'une fluidité très agréable. L'histoire prend le dessus sur l'écriture. C'est ce qui me fait dire que j'apprécierais davantage ses romans, car à chaque fin de nouvelle je quittais avec regret le récit. La nouvelle intitulée L'étrangère a été ma préférée car l'auteure en profite pour se moquer de ses compatriotes, promptes aux commérages ou au racisme dès que cela les arrange.
« Elle l'avait pris pour un étranger convenable, mais c'était un Arabe…Il ne reviendrait pas. Il s'était servi d'elles, un point c'est tout ».
La seconde partie,
le corps de l'âme, m'a davantage plu et interpellée. le récit se fait surréaliste pour interroger ce qu'est l'âme, où se situe l'âme, ce qu'elle recouvre précisément, ce qu'elle advient lorsque nous mourons. Enchainement de huit petits textes étranges et fabuleux, souvent à la lisière de la vie et de la mort, le message que porte
Ludmila Oulitskaïa est optimiste et lumineux. Un personnage malade qui se fond dans une photo de paysage aimé, un médecin légiste qui s'interroge sur des traces étranges au dos d'un mort, une femme cultivée atteinte de la maladie d'Alzheimer qui retrouve des capacités infinies au moment de sa mort, un vieil homme qui est visité chaque nuit de façon sensuelle par une apparition…La vieillesse et la mort semblent être des passages pour un après meilleur où l'âme libérée virevolte et s'épanouit. Une façon pour l'auteure de conjurer sa propre vieillesse et de se libérer du joug angoissant de la fin à venir. Une magnifique méditation sur le sens de nos vies.
Son écriture, fluide, qui se laisse oubliée, est aussi étonnamment picturale, sensorielle et sensuelle. Elle le devient même de plus en plus au fur et à mesure que nous approchons de cette notion d'âme, ce qui est surprenant, décalé et même assez osé. L'auteure fait cohabiter les sens, la corporalité et l'analyse de l'âme...le titre prend là sans doute tout son sens. du corps à l'âme, le passage du corps au céleste...de belles images partant du corps vers l'infiniment grand, vers le cosmique...
La façon d'introduire ses personnages m'a souvent faite sourire, comme cette « femme aux flancs affaissés et à la poitrine belliqueuse examinant du coin de l'oeil le jeune homme assis à l'autre bout du banc » ou celle-ci dont « l'odeur suave de ses aisselles continuait à flotter autour d'elle comme un fumet autour d'un kebab ». En quelques mots, des tableaux m'apparaissaient, des postures, des odeurs, des corps. Quant à la sensualité, prenons par exemple ce passage pour s'en convaincre :
« Il allait à sa rencontre, il était déjà en elle et elle en lui, leur étreinte était dense et humide, et voilà que déjà, cela approchait, c'était là, cette sensation de se fondre l'un dans l'autre, quand la frontière entre les corps disparait complètement, et, pour marquer ce triomphe suprême de la chair qui a renoncé à elle-même et se donne totalement à un autre, dans le grondement du sang dévalant le long des veines, deux flux d'une extrême pureté se précipitèrent l'un vers l'autre – le liquide visqueux et sacré qui contient le germe de la vie, et l'autre, l'eau accueillante qui invite et reçoit ».
Un recueil qui me donne vraiment envie de découvrir les romans de cette auteure, notamment
le chapiteau vert et
Sonietchka. J'ai préféré la deuxième partie consacrée à l'âme et porteuse de récits sublimes et lumineux, formidables méditations sur la vieillesse et sur la mort. Et bien entendu sur l'âme, ces 21 grammes de mystère, qui continue peut-être à exister après la fin de nos corps physiques, et à virevolter dans un monde et un temps parallèles…
« Il n'y avait aucun "d'abord", aucun "ensuite", tout se produisait au même moment, et dans une absolue plénitude ».