La première fois où j'ai entendu parler d'
Edgar Poe, c'est en cours de... français. Nous étudiions
Baudelaire, et le prof - toujours le même, mon mentor Albert - nous apprenait que le futur auteur des "Fleurs du mal" s'était trouvé une âme-soeur en la personne d'
Edgar Allan Poe, un poète, romancier et nouvelliste américain (1809-1849). Même spleen, même attirance pour l'étrange, même alternance entre ombre et lumière, entre sordide et sublime...
Baudelaire voit en
Poe un poète maudit - comme il se voit lui-même, en fait.
Il n'est pas le premier à traduire
Edgar Poe, d'autres s'y sont essayé avant lui, mais c'est bel et bien
Baudelaire qui, le 15 juillet 1848, en faisant paraître dans un journal "
Révélation magnétique", un texte d'
Edgar Poe traduit par lui-même, va donner le coup de départ de la "Poemania".
Baudelaire se déclarera traducteur attitré du poète américain, et prendra lui-même l'initiative d'éditer les contes de
Poe en recueils ("
Histoires extraordinaires" - 1856, "
Nouvelles histoires extraordinaires" - 1857, "
Histoires grotesques et sérieuses" - 1865), son roman ("Les
Aventures d'Arthur Gordon Pym" - 1858) ainsi que quelques-uns de ses poèmes ("Le Corbeau" - 1856, "Eurêka" - 1864) On a reproché à
Baudelaire de faire du
Baudelaire en traduisant
Edgar Poe. C'est sans doute vrai dans une certaine mesure, au point que certains éditeurs envisageaient d'inclure les traductions de
Poe dans les "Oeuvres complètes" de
Baudelaire. Et le fait est que cette traduction est un modèle du genre et fait toujours référence de nos jours.
Les "
Histoires extraordinaires" sont donc un recueil composé par
Baudelaire à partir de 13 contes d'
Edgar Poe, rédigés entre 1832 et 1845. Cet ouvrage remarquable est fondateur à plus d'un titre : on y trouve là une des origines du roman policier à énigme ("
Double assassinat dans la rue Morgue" et "
La lettre volée" où le chevalier Dupin qui mène l'enquête, se révèle l'ancêtre de l'inspecteur Lecocq, d'Eugène Gaboriau, et du
Sherlock Holmes, d'
Arthur Conan Doyle). Dans les "
Histoires extraordinaires"
Poe crée un nouveau type de fantastique, différent du gothique, mélange d'étrange, d'insolite, voire de burlesque, en tous cas dérangeant ("Metzengerstein", "Ligéia" préfigurent l'oeuvre de
Lovecraft, entre autres) Enfin on trouve dans ce recueil des nouvelles où l'aventure côtoie le fantastique ou le policier ("
Le Scarabée d'or", par exemple, annonce clairement les grands romans de
Jules Verne qui commencent par le décryptage d'un document mystérieux).
Cette multiplicité de thèmes, avec comme fil conducteur un goût de l'étrange très poussé, ainsi qu'une certaine aptitude à "embarquer" le lecteur dans une aventure littéraire nouvelle et palpitante (susciter la curiosité, peut-être même l'angoisse, en tous cas provoquer une émotion...) contribue à faire de
Poe l'un des premiers auteurs typiquement américains, de ceux qui, comme Melville ou
Hawthorne, ont définitivement coupé le cordon ombilical avec la littérature classique anglaise.