Ils sont nombreux, les personnages, célèbres ou moins célèbres, qui composent les nouvelles de ce recueil. Il y a là Egon Schiele et sa sœur Gertrude, en séjour à Trieste sur les traces de leurs parents, Jules Renard et sa passion pour les arbres, la jeune pianiste qui créa pour la première fois le Concerto n°9 de Mozart, Henri Beyle (alias Stendhal) qui est sur le point de publier Le Rouge et le Noir et Mérope, la mère adoptive d’Oedipe. Il y a encore Nora Barnacle, la compagne de Joyce, de nouveau à Trieste ou enfin Rossinante, le cheval immortel de Don Diego de la Mancha.
Claude Pujade Renaud renoue avec ses thèmes favoris : elle s’intéresse aux compagnes et compagnons des hommes et femmes célèbres, comme dans Chers disparus, à la Grèce qu’elle a souvent parcouru, comme dans Platon était malade, et au mythe d’Œdipe, à des lieux, enfin, qui lui parlent, comme cette ville de Trieste, décor de deux nouvelles très différentes.
La dernière nouvelle est peut-être la plus étonnante. Elle met en scène le mythe d’Eurydice en imaginant que tout se passe de nos jours : un dénommé Olivier, musicien de son état, vient de ramener son épouse du royaume des morts, mais la belle Emmanuelle peine à revenir à la vie : il faut qu’elle se remuscle, et qu’elle reprenne du poids, puisque jusqu’ici elle est l’ombre d’elle-même. Mais le mythe est tenace et Claude Pujade Renaud joue d’un artifice pour qu’Emmanuelle retourne à la bouche d’ombres d’où elle est venue : le passeur lui-même le lui fera remarquer :
« Alors, comme ça, ils ont fait une exception ? Une éternité que je fais ce métier, c’est bien la première fois que je vois ça ! Si maintenant on peut en revenir, c’est le monde à l’envers … »
L’auteure revisite l’histoire et les mythes à sa façon, avec toujours beaucoup de finesse pour décrire l’intime, comme dans Un si joli petit livre . Elle nous parle de création (peinture, musique ou écriture), et de ses créateurs qui ont toujours un petit quelque chose s’apparentant à un grain de folie : serait-ce une condition nécessaire pour créer ?
Avec toujours cette recherche du mot juste, notamment pour les adjectifs, comme ici pour décrire les tentatives d’Emmanuelle qui tente de se remettre au piano :
« La plupart du temps, les mains d’Emmanuelle transposent les notes sur les touches sans qu’elle ait à réfléchir, peu à peu la mélodie respire, la musique l’enveloppe de son cocon ductile. »
Tant de finesse, d’attention et d’empathie pour des situations et des personnages aussi divers nous font retrouver ici la nouvelliste avec plaisir et attendre son prochain recueil avec d’autant plus d’impatience.
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