« Histoire du soldat » est un conte musical, un mimodrame dans sa définition originelle, écrit par
Igor Stravinsky pour la musique (1918) et par
Charles Ferdinand Ramuz pour le texte, publié par la suite (1954, Editions Sequences, 54 p.). La pièce, « parlée, jouée, dansée » est représentée en première le 28 septembre 1918 avec Georges Pitoëff, au théâtre municipal de Lausanne, sous la direction d'
Ernest Ansermet. Elle comprend trois récitants (le Lecteur, le Soldat et le Diable) et sept instrumentistes (violon, contrebasse, basson, cornet à pistons, trombone, clarinette et percussions).
Le texte, ré-écrit par Ramuz est inspiré d'un conte, sur le modèle de « Faust », écrit par Alexandre Nikolaïevitch Afanassiev (1826-1871). Par la suite il inspirera et collaborera avec
Nikolaï Rimski-Korsakov (« Sadko », « Snégourotchka »), et Serge Prokofiev (« Chout - le bouffon »).
Déjà, un peu plus tôt, ce type de mimodrame avait été expérimenté. Ainsi « Parade » est un ballet en un acte de la compagnie des Ballets Russes dirigés par Serge de Diaghilev. Il s'agit d'une oeuvre collective de commande, écrite par
Jean Cocteau, sur une musique d'Erik Satie, chorégraphié par Léonide Massine.
Pablo Picasso peint également le célèbre rideau de scène. Il représente un groupe de saltimbanques festoyant, entouré de grands rideaux rouges avec, sur la gauche, un cheval ailé lui-même surmonté d'une jeune femme ailée. La scénographie est de
Pablo Picasso. La première a lieu le18 mai 1917 au Théâtre du Châtelet à Paris.
Guillaume Appolinaire rédige la note de programme pour Diaghilev. Il qualifie ce spectacle de « sur-réaliste »
L'argument évoque une parade comme on en voyait jadis dans les théâtres de foire. le décor représente les maisons à Paris, un dimanche. Trois numéros du Music-Hall servent de Parade. « Prestidigitateur chinois », « Acrobates » et « Petite fille américaine ». Trois managers organisent le battage du spectacle. Ils se communiquent dans leur langage terrible que la foule prend la parade pour le spectacle intérieur et cherchent grossièrement à le lui faire comprendre. Personne n'entre. On n'y entend des bruits de sirènes aiguë et grave, une roue de loterie, des flaques sonores, un bouteillophone, une machine à écrire et des coups de revolver. le tout est d'un « réalisme » tout à fait inaccoutumé dans l'orchestre.
Le spectacle met en scène des personnages forains, présentés à tour de rôle par des Managers. C'est d'abord le Prestidigitateur chinois annoncé par le Manager français qui présente son numéro, suivi par la Petite Fille américaine, annoncée par le Manager américain et finalement par le couple d'Acrobates, introduits par le Manager à cheval. C'est tout un univers poétique opposé à la brutalité du monde moderne en pleine Guerre Mondiale, on est en 1917.
Et encore plus tôt,
il y a eu « La Tragédie de Salomé », conçue comme un drame muet en deux actes et sept tableaux, sur une musique de Florent
Schmitt composée en 1907, d'après un poème de Robert d'Humières. D'une durée une heure.
Schmitt en tira une suite symphonique en 1910, version de concert pour grand orchestre, avec voix de soprano ou hautbois, dont la durée fut réduite de moitié. de cette version il fit également une transcription pour piano. La première audition du mimodrame eut lieu le 9 novembre 1907 au Théâtre des Arts à Paris. L'orchestre était dirigé par Désiré-Émile Inghelbrecht, avec la danseuse
Loïe Fuller (« Salomé »), J. Zorelli (« Hérodias »),
M. Gorde (« Hérode ») et Lou van Tel (« Jean-Baptiste »). L'accueil du public et de la critique fut favorable, mais Florent
Schmitt tombe en disgrâce en 1945, accusé de collaboration.
Le mimodrame de Stravinsky reprend un vieux conte russe compilé par Alexandre Afanasiev. Mais l'argument est celle du « Faust ».
Un pauvre Soldat erre dans la campagne, il vend son âme, représentée par le violon, au Diable, vieillard avec un filet à papillons contre un livre qui permet de prédire l'avenir, en fait un livre de Bourse. Après avoir montré au Diable comment se servir du violon, il revient dans son village. Hélas, au lieu des trois jours promis, le séjour passé avec le Diable a duré trois longues années. Personne au village ne reconnaît le Solda. Ni sa mère, ni sa fiancée, qui s'est mariée. le Soldat utilise alors son livre magique pour devenir fabuleusement riche. Incapable d'être heureux avec sa fortune, il joue aux cartes contre le Diable et finit par jouer son argent contre le violon. le Diable gagne, mais enivré par ses gains il se laisse voler le violon. le Soldat peut alors guérir et séduire la Princesse malade promise par son père le Roi à qui la guérirait. Elle s'éveille au son du tango de la valse et du rag-time joués par Joseph, et se met à danser avec lui. Malheureusement, cherchant toujours plus de bonheur, le Soldat et la Princesse quittent alors le royaume et désobéissent au Diable. le Soldat est emporté en enfer. C'est le triomphe du démon qui termine la pièce avec une marche sarcastique.
«
L'Histoire du Soldat » se passe dans le canton de Vaud, en Suisse « Entre Denges et Denezy / Un soldat qui rentre chez lui... / Quinze jours de congé qu'il a », c'est-à-dire globalement entre Lausanne et Yverdon. Ce qui est surprenant, c'est que l'on est en 1918, et que la Suisse n'est pas en guerre, et cela depuis le traité de Vienne et le Pacte fédéral de 1815. le Soldat en permission, Joseph Dupraz, rentre chez lui, à pied, passant dans un village de vignerons. Il s'arrête au bord d'un ruisseau. « Mes affaires sens dessus dessous ! Mon Saint-Joseph qui est perdu ». C'est une médaille en argent doré avec saint Joseph, son patron. Avec « un portrait de sa bonne amie qui lui a donné son portrait ». Il rencontre « un p'tit Vieux qui s'promène, avec à la main… un filet à papillons ». C'est une chose tout à fait habituelle dans le canton de Vaud, et c'est d'ailleurs à cela que l'on reconnaît que l'on est en Suisse, en pleine Première Guerre Mondiale.
Cet étrange personnage propose au Soldat de lui échanger son violon contre un livre. Ce n'est plus « mon royaume contre un cheval », les cours de la Bourse ont bien évolué, et on est en Suisse. Sauf que ce livre « on n'a pas besoin de savoir lire pour le lire… C'est un livre… je vais vous dire… un livre, qui se lit tout seul » « On n'a qu'à l'ouvrir, on tire dehors... des titres… ! on tire dehors… des billets…! on tire… de l'or… ! » . C'est bien plus alléchant que toutes les crypto-monnaies.
Le conte bascule alors dans une histoire de princesses malade que le Soldat et son violon tirent de la léthargie. Sauf que le Soldat « court toujours… / Toujours devant… / Toujours plus vite… / Loin d'elle qui est restée loin en arrière » et que « le diable attend… entre elle et lui… / Les doigts posés sur les cordes du violon… »
D'un point de vue musical, l'« Histoire du soldat » illustre comment Stravinsky a su intégrer une variété d'influences à son langage musical. Il intègre le paso-doble dans la « Marche royale »; les trois danses « Tango / Valse / Ragtime » jouées par le Soldat pour guérir la Princesse. La « musique klezmer » dans l'instrumentation et les textures mais
il y a aussi le choral « Ein feste Burg » de Luther dans le « Petit choral » et on entend l'influence de JS Bach dans le « Grand choral », rajoutés dans la version de 1920 par Stravinsky. Cette version est critiquée par TW
Adorno. « le héros, figure typique de cette génération d'après la Première Guerre mondiale qui a fourni au fascisme ses hordes […] périt parce qu'il contrevient au commandement enjoignant le chômeur de vivre uniquement dans l'instant ».