Qu'il est dur de lire et critiquer un livre de
Jean Raspail sans laisser ressortir ses idées !
D'autant que
La Miséricorde est un ouvrage dont le message ne saurait être compris et approuvé que par la gente religieuse, le genre à vivre dans la Grâce de Dieu, à manger avec dévotion la chips censée être le corps du Christ, et cætera, on connaît la suite. Ce dont je ne fais pas partie.
Mais bon, j'essaierai de faire une critique séparée en deux parties, une première sur l'aspect technique du livre, mettant ainsi de côté les convictions de l'auteur et les miennes, et une seconde dans laquelle je ne me gênerai aucunement de laisser voir mon avis sur le sujet, en l'occurrence la religion. Je ne garantis pas que je vais y parvenir – j'aime bien divaguer – mais bon, ça ne coûte rien d'essayer.
Bon, pour commencer, voici un rapide résumé de l'histoire.
En 2001, un gus plus vraiment tout jeune – soixante-quinze ans, ça commence à faire – visite une petite église dans la ville d'X. Et le voilà qui se retrouve, par un concours de circonstances malheureux, à se confesser devant un prêtre qu'il a reconnu.
Car ce prêtre, c'est le fameux curé de Bief, condamné quarante ans avant pour avoir étranglé sa maîtresse enceinte et achevé le bébé qu'elle portait – vivant, hélas – après l'avoir défiguré à coups de pierre au cas où on reconnaîtrait la figure de son ecclésiastique de père, et administré les derniers sacrements.
(Le dernier détail est purement gratuit. Juste pour poser l'ambiance, quoi.)
Cette petite histoire est bien entendue inspirée de celle du curé d'Uruffe, en 1954 et qui avait, pour employer un bon terme journalistique que je chéris par-dessus tout, défrayé la chronique.
le verdict avait alors été la peine de mort, mais bon, envoyer un cureton sur l'échafaud, en '56, ça fait un peu tache. Donc sa peine avait été commuée en travaux forcés.
Je viens de demander à mon meilleur ami Wikipédia ce qu'était devenu le bonhomme – Guy, de son petit prénom – et il m'a répondu qu'il était mort en 2010, après s'être retiré dans une abbaye morbihannaise.
Il a raison. Quitte à se faire chier, autant faire ça là où il y a de l'alcool et du beurre à volonté.
Et donc, notre ami Jean s'en était inspiré quelques années plus tard pour écrire son bouquin que mon chat trouve apparemment très confortable.
Alors, bien sûr, je fais partie de ceux qui aiment bien Raspail. J'ai lu le
Camp des Saints et je n'ai pas peur de dire que je l'ai aimé. Enfin, sur la façon dont il est écrit, le style, et la manière dont il y décrit l'hypocrisie du gouvernement et d'une société fondée sur le paraître. Après, les idées en elles-mêmes, disons que c'est plutôt un sujet de discorde avec mon père qui voit en cet ouvrage une véritable prophétie. A méditer, mais je ne suis pas de cet avis.
Toujours est-il que moi, je ne rechigne jamais à lire Raspail. Ce que je lui demande, c'est de bien écrire, de me transporter un tant soit peu, et de me montrer ses opinions même si je suis en total désaccord avec. Force est de constater qu'il se débrouille bien.
Car oui, aimer lire Raspail et chanter Brassens, c'est possible.
Cette fois-ci, le sujet de
la Miséricorde n'a pas trait à l'immigration de masse, mais plutôt à Dieu – comme son nom l'indique, admire ma perspicacité – et, forcément, le Pardon (avec un grand P, j'insiste).
En l'occurrence, faut-il pardonner à un curé qui a tué de sang-froid une pauvre femme qu'il a éventrée pour extraire son bébé avant de le défigurer ? Et admettons que l'on puisse, comment le faire ?
Bah, on sait bien que Dieu est miséricordieux. Il va donc logiquement pardonner au petit curé fornicateur.
Alors,
La Miséricorde, bien ou pas ?
Bonne question à vingt francs. Dur d'y répondre.
Oui, il est bien. L'ayant lu la nuit dernière jusqu'à deux heures du matin, je peux assurer que je n'ai pas vu le temps passer. On se laisse facilement emporter dans le récit, les dialogues sont riches et les personnages aboutis. Chacun des personnages représentant d'ailleurs un avis différent que l'on pourrait porter sur le sujet : un chanoine sceptique quant au Pardon d'un prêtre assassin, un évêque remuant au contraire ciel et terre pour l'aider à s'en sortir. Et un bon con, le narrateur lorsqu'il est interne, qui est croyant mais pas tous les dimanches. La preuve, cela fait quarante ans qu'il ne s'est pas confessé. Bouh, pointez-le du doigt.
Cependant, bah... Quelque chose dans cette même écriture m'a gênée. Petit exemple : On nous décrit la prison dans laquelle est enfermé le curé. Une prison pas vraiment méchante, puisque l'on y trouve « violeurs d'enfants, parricides, amants diaboliques » ainsi que des « médecins avorteurs en série – c'était encore un crime en ce temps-là ». J'ai comme l'impression que la loi Veil avait bien dû faire chier Raspail.
Et puis bon, la religion. Principe moral dans lequel l'auteur est profondément engoncé. Qui fait que pour un prêtre, un crime aussi horrifiant et punissable que le meurtre d'une femme et de son enfant serait celui de forniquer avec des paroissiennes.
C'est vrai que ce n'est pas bien d'avoir des relations sexuelles, même consenties, hors mariage. Que ce soit avec ta voisine, ta cousine ou ta soeur. Encore pire si c'est avec ton chien, vu que l'Eglise met ça au même niveau que l'homosexualité (condamner la zoophilie, c'est la seule chose à peu près intelligente qu'ait pu faire la religion, mais c'est pas le débat.) Attention. La femme ne fait que détourner l'homme de Dieu, comme Eve le fit avec Adam (C'est toujours la faute à Eve…). Messieurs, méfiez-vous des dames. Surtout si vous êtes cureton. Autrement votre âme sera damnée pour les siècles des siècles. Amen.
C'est ce genre d'idées réactionnaires qui m'ont un peu turlupinée, mais bon, j'ai l'humour facile, donc ça me fait plutôt marrer. Les passéistes-racistes-vieux cons ont leur charme, et savent bien mettre l'ambiance aux dîners de famille. Rien que pour ça, je les aime.
Bon, que conclure ?
Eh bien,
La Miséricorde est un roman très bien écrit qui saura divertir. Surtout si, comme moi, tu as ta carte VIP au Joyeux Club des Insomniaques. Les idées religieuses de Raspail ne feront que satisfaire le lecteur, soit parce qu'il est catho aussi, sinon parce qu'il est un anticlérical fanatique – gros mangeur d'ecclésiastique… – et donc que c'est marrant de se foutre de la gueule des grenouilles de bénitier quand on est un bon mécréant.
J'ajouterai tout de même que lire cet ouvrage avec en fond sonore les chansons plus ou moins anticléricales de
Georges Brassens fut jouissif. Après, si les anar' moustachus ne sont pas trop ton délire, tu peux aussi te tourner vers les chants de messe. C'est sympa aussi, et c'est pour le coup très immersif.
Allez, je dois y aller, le petit Jésus m'a invitée à prendre l'apéro.