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Raoul Girardet (Éditeur scientifique)
EAN : 9782012792395
384 pages
Hachette Littératures (09/02/2005)
3.65/5   23 notes
Résumé :
Publié en 1939 comme un avertissement et un cri d'alarme, ce livre est un document d'histoire d'un intérêt capital, bien plus important pour la compréhension du nazisme que le très officiel Mein Kampf. C'est un Hitler en liberté qui se livre ici : à la fois politicien retors et visionnaire titubant, messianique et sentimental, fasciné par fascisme qui le délivrera de son fardeau d'anxiété. Membre du parti nazi de 1926 à 1934, Hermann Rauschning a su comprendre, avec... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Ce livre de Hermann Rauschning est longtemps resté un témoignage important dans l'étude du personnage d'Hitler. Puis, après avoir été contesté quant à sa véracité durant de longues années, ce témoignage de Hermann Rauschning réapparaît de nos jours dans le champ Historique, comme une source d'Archive fondamentale. D'autant plus fondamentale, que ce livre a été publié et traduit en Français dès 1939, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale et de l'Holocauste.
Hermann Rauschning adhère au Parti National-Socialiste (Nazi), le N.S.D.A.P. en 1926, pour le quitter en 1934. Rauschning est d'abord membre du conseil exécutif (« Sénat ») de la ville de Dantzig, avant d'en devenir le Président entre 1933 et 1934.
À partir de 1932, il a l'occasion de s'entretenir de nombreuses fois avec Hitler, dans le cadre de comités restreints, et même, en tête-à-tête.
Il détecte alors dans la personnalité de Adolphe Hitler toute l'ampleur de la dangerosité de son Idéologie barbare. En 1934, s'opposant au régime Hitlérien, il doit quitter l'Allemagne Nazie en 1935, se réfugiant en Suisse, puis aux États-Unis. Il ne revient en Allemagne qu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Confronté à l'impossibilité de recréer une unité Nationale, il regagne à nouveau les États-Unis, dans l'Oregon.

La plupart des conversations avec Hitler ont été retranscrites par Hermann Rauschning, dans la foulée de ses entretiens avec le Führer, entre 1932 et 1934.

Voici quelques repères afin de se faire une rapide idée de la chronologie historique des évènements : Hitler est élu Chancelier de l'Allemagne le 30 janvier 1933 et, Président, en se faisant appeler le Führer (« Guide »), en 1934. Plusieurs évènements marquants vont être évoqués dans ce commentaire. Quant à la suite tragique de l'histoire du Nazisme, elle est parfaitement connue…

C'est donc dès la préface de son ouvrage que Hermann Rauschning décrit avec une grande lucidité et de manière incroyablement visionnaire, l'apocalypse qui attendait l'Europe, puis le Monde (page 31) :
« Rien, je le crois, ne peut donner une idée de la tempête de révolutions qui s'abattra sur le monde, si jamais Hitler vient à triompher. Régimes intérieurs, ordre extérieur, tout s'écroulera et partout, en Europe comme sur le reste du globe. Alors, on verra ce qui, de mémoire d'homme, ne s'est encore jamais vu au cours de l'histoire : ce sera l'effondrement universel de tout ordre établi.
Le bouleversement mondial, voilà vers quoi tend la nouvelle guerre. Hitler est convaincu qu'il lui suffit de gagner cette guerre pour imposer aux hommes un régime nouveau, celui de sa volonté. Idée fantastique, sans doute, mais la fausse puissance créatrice d'un hystérique risque de réduire le monde en un monceau de décombres.
Le dessein véritable d'Hitler, qu'il entend réaliser par le moyen du national-socialisme, on ne le trouvera pas dans Mein Kampf, car ce livre est écrit pour la masse. Mais la doctrine naziste a aussi son ésotérisme qu'on professe et divulgue dans un petit nombre de cercles restreints devant une sorte de super-élite. Les S.S., les Jeunesses hitlériennes, les sphères dirigeantes de la politique, toutes les organisations de cadres comportent, en marge de la troupe des affiliés, un petit groupe d'initiés.
Hitler n'a jamais dévoilé ses véritables buts politiques et sociaux que dans ces milieux hermétiquement fermés et c'est là, précisément, qu'il m'a été donné de les entendre de sa propre bouche. »
Au mois d'août 1932, Hitler décrit à Rauschning de quelle manière, excessivement claire, il conçoit la future guerre qu'il a bien l'intention de provoquer (pages 36 et 37) :
« – Un peuple à qui l'on refuse son bon droit peut légitimement employer tous les moyens, y compris la guerre bactériologique. » La voix d'Hitler se fit plus forte. « Je n'ai pas à avoir de scrupules, et je choisirai l'arme que je jugerai nécessaire. Les nouveaux gaz toxiques sont terribles, mais, après tout, quelle différence y a-t-il entre la lente agonie dans les barbelés, et les souffrances du gazé ou de l'intoxiqué ? Dans l'avenir, c'est toute une nation qui se dressera contre l'autre, ce ne sera plus seulement une armée luttant contre des armées ennemies. Nous ruinerons la santé physique de nos ennemis de la même façon que nous briserons leur résistance morale. Si l'arme microbienne a de l'avenir ? Parbleu, j'en suis convaincu. À la vérité, nous ne sommes pas encore très avancés dans cette technique, mais des expériences sont en cours et je crois savoir qu'elles se développent dans les meilleures conditions. Mais l'emploi de cette arme reste limité. Elle est importante surtout en tant que moyen d'affaiblir l'adversaire « avant » les hostilités. Nos guerres à nous se mèneront, du reste, avant les opérations militaires, et j'imagine que nous aurons les moyens de juguler l'Angleterre, au cas où elle voudrait marcher contre nous. Ou encore, l'Amérique… »
Hitler continue de décrire sa stratège guerrière, à la fois prophétique et apocalyptique (pages 39, 41 et 42) :
« Nous ne capitulerons jamais, s'écria Hitler. Nous succomberons peut-être, mais nous entraînerons un monde dans notre chute… »
(…) « Moi, j'ai le don de simplifier et de ramener les problèmes à leur donnée essentielle. On a voulu faire de la guerre une science hermétique et c'est pourquoi on l'a entourée d'un appareil solennel. Comme si la guerre n'était pas la chose la plus naturelle du monde. Elle est de tous les temps et de tous les lieux, elle est quotidienne, elle n'a pas de commencement, pas plus qu'il n'y a jamais de paix.
La vie est une guerre, chaque lutte que nous menons est une guerre, la guerre c'est l'état naturel de l'homme. Retournons en arrière, remontons, si vous voulez, jusqu'à l'époque de l'homme non civilisé. Qu'est donc la guerre sinon ruse, tromperie, stratagème, attaque et surprise ? Les hommes n'ont commencé à s'entre-tuer qu'à partir du moment où ils ne pouvaient plus faire autrement. Les marchands, les brigands, les guerriers… À l'origine, tout cela ne faisait qu'un. Mais il existe une stratégie plus haute, une guerre employant des moyens d'un ordre plus spirituel. Que cherche-t-on à obtenir à la guerre, Forster ? La capitulation de l'adversaire. Dès l'instant où l'ennemi capitule, je sais que je puis l'anéantir complètement. Pourquoi, dans ces conditions, chercherais-je à le démoraliser militairement, si je puis obtenir un résultat identique par des moyens moins onéreux et plus sûrs ? »
(…) « Si je fais la guerre, Forster, j'introduirai peut-être, en pleine paix, des troupes dans Paris. Elles porteront des uniformes français. Elles marcheront, au grand jour, dans les rues où personne n'aura même l'idée de les arrêter. J'ai tout prévu dans le moindre détail. Elles marcheront sur le siège de l'État-Major, elles occuperont les ministères, le Parlement. En quelques minutes, la France, la Pologne, l'Autriche, la Tchécoslovaquie seront privées de leurs dirigeants. » (…) « Aujourd'hui, messieurs, vous ne me croyez pas, pourtant je ferai comme je vous le dis, je les introduirai section par section. Peut-être atterrirons-nous sur les champs d'aviation, car nous serons en mesure, à ce moment, de transporter par air, non seulement des hommes, mais encore des armes, et il n'y aura pas de ligne Maginot pour nous arrêter. Notre stratégie, Forster, consistera à détruire l'ennemi par l'intérieur, à l'obliger à se vaincre lui-même. »
Hitler décrit alors, avec sa manière radicale, les processus Révolutionnaire et Terroriste (pages 45, 46 et 47) :
« Vous connaissez, n'est-ce pas, l'histoire des révolutions ? C'est toujours la même chose. Les classes dirigeantes capitulent. Pourquoi ? Par défaitisme, parce qu'elles n'ont plus aucune volonté. Les enseignements de la révolution, voilà tout le secret de la stratégie nouvelle. Je l'ai appris des bolcheviks et n'ai pas honte de le dire, car c'est toujours de ses ennemis qu'on apprend le plus. Connaissez-vous la théorie du coup d'État ? Étudiez-la, et vous saurez alors ce que vous aurez à faire. »
(…) « Jamais je ne commencerai une guerre sans avoir auparavant la certitude absolue que mon adversaire démoralisé succombera sous le premier choc. » le regard d'Hitler devint fixe, sa voix s'enfla. « Quand l'ennemi est démoralisé à l'intérieur, quand il est au bord de la révolution, quand les troubles sociaux menacent d'éclater, alors, le moment est arrivé, et un seul coup doit l'anéantir. Des attaques aériennes massives, des coups de main, des actes de terrorisme, le sabotage, des attentats perpétrés à l'intérieur, l'assassinat des dirigeants, des attaques écrasantes sur tous les points faibles de la défense adverse, assénées comme des coups de marteau, simultanément, sans se soucier des réserves ni des pertes, telle est la guerre future. Un martelage gigantesque et qui broie tout, je ne vois que cela et je ne pense pas à la suite… Je ne jouerai pas au soldat et je ne m'en laisserai pas imposer par les stratèges. La guerre, c'est moi qui la mènerai. le moment favorable à l'attaque, c'est moi qui le déterminerai. le moment, le plus favorable de tous, je l'attendrai, avec une détermination de fer et je ne le laisserai pas échapper. Je mettrai toute mon énergie à le provoquer. Ceci sera ma tâche. Et lorsque j'aurai réussi, j'aurai le droit d'envoyer la jeunesse à la mort, car, alors j'aurai épargné autant de vies humaines qu'il aura été possible de le faire. Messieurs, nous ne nous amuserons pas à jouer aux héros. Ce que nous voulons, c'est anéantir l'adversaire. Les généraux, malgré les enseignements de la guerre passée, veulent continuer à se comporter comme des chevaliers d'autrefois. Ils se croient obligés de conduire les guerres comme des tournois du Moyen Âge. Je n'ai que faire de chevaliers. Ce qu'il me faut, ce sont des révolutionnaires. J'ai fait, de la doctrine de la révolution, la base de ma politique. »
Hitler s'arrêta quelques instants : « Je ne reculerai devant rien. Il n'y a pas de droit international, il n'y a pas de traité qui m'empêchera de profiter d'un avantage lorsqu'il se présentera. La prochaine guerre sera terriblement sanglante et cruelle. Mais la guerre la plus cruelle, celle qui ne fait aucune différence entre les militaires et les civiles, sera aussi la guerre la plus douce, parce qu'elle sera la plus courte. En même temps que nous interviendrons avec toutes nos armes, nous ébranlerons le moral de l'adversaire. Nous provoquerons une révolution en France. J'en suis aussi sûr que je suis sûr que cette fois-ci, il n'en éclatera pas en Allemagne. Vous pouvez m'en croire. J'entrerai chez les Français en libérateur. Nous nous présenterons au petit bourgeois français comme les champions d'un ordre social équitable et d'une paix éternelle. Ces gens-là ne veulent plus rien savoir de la guerre et de la grandeur. Mais moi, je veux la guerre, et tous les moyens me seront bons. Évitez surtout de provoquer l'ennemi ! – ce n'est pas là ma devise. Ce que je veux, c'est l'anéantir par tous les moyens. La guerre, c'est moi qui la conduirai. »
Au point de vue économique, Hitler envisage les mêmes méthodes martiales et terroristes que celles qu'il veut appliquer pour la guerre (page 58) :
« Comment cela ? demanda Hitler, en me regardant d'un air courroucé. le financement ne me cause aucun souci. Laissez-moi faire. Il n'y aura aucune difficulté si l'on élimine les spéculateurs.
– Mais, répliquai-je, il ne sera pas possible de maintenir les prix si l'on finance de cette manière les grands travaux. La monnaie imaginée par Feder provoquera forcément de l'inflation.
– Il se produit de l'inflation si on le veut, s'indigna Hitler. L'inflation n'est qu'un manque de discipline : indiscipline des acheteurs et indiscipline des vendeurs. Je veillerai à ce que les prix restent stables. Pour cela, j'ai mes S.A.. Malheur à celui qui oserait augmenter ses prix. Il n'y aura pas besoin de textes législatifs. le parti s'en chargera. Vous verrez, quand nos S.A. iront faire respecter les prix dans les magasins. Ils n'auront pas besoin d'y aller deux fois. »
Le débat s'oriente ensuite vers les avancées technologiques qui doivent permettre de participer à la de domination hégémonique mondiale d'Hitler (page 63 à 65) :
« Les ingénieurs sont des fous, coupa brutalement Hitler. Ils ont parfois une idée qui pourrait être utilisée, mais qui devient une folie lorsqu'on la vulgarise. Lawaczek n'a qu'à construire ses turbines, mais qu'il n'aille pas chercher les moyens de provoquer un essor économique. Ne vous embarquez pas avec lui. Je connais son dada. Messieurs, tout cela n'est que fadaises. le monde ne se répète jamais. Ce qui était bon au XIXe siècle ne vaut rien pour le XXe. Les découvertes ne viennent plus d'elles-mêmes par un coup de chance. Aujourd'hui, elles dépendent de nous. Nous sommes en mesure de calculer quand on peut attendre des découvertes, et dans quel domaine. On en fait d'ailleurs continuellement, et c'est de nous qu'il dépend de les développer. Mais le hic est que, justement, nous ne les développons pas. Nous passons à côté des possibilités. Tout est une question de volonté. de nos jours, il n'est plus possible de laisser les choses aller d'elles-mêmes.
Les pays qui sont riches, qui possèdent tout, n'ont pas besoin de nouvelles découvertes. À quoi bon ? Au contraire, elles les gênent. Ils veulent continuer à gagner suivant les vieilles méthodes. Ils veulent dormir, ces peuples riches, l'Angleterre, la France, l'Amérique. Lawaczek a raison en un sens : il faut produire méthodiquement ce qui, autrefois, naissait de la chance. Il faut remplacer le hasard. Or, nous le pouvons. C'est là que réside l'importance des grands travaux qu'entreprendront les États, et non plus les spéculateurs et les banquiers juifs qui, aujourd'hui, ont intérêt à ce qu'on ne fasse rien de neuf. C'est bien pour cela que nous autres, Allemands, nous devons nous libérer de ces gens-là. Nous devons marcher par nos propres moyens. Mais l'Allemagne telle qu'elle est aujourd'hui, n'a aucune unité biologique. L'Allemagne ne sera véritablement l'Allemagne que lorsqu'elle sera l'Europe. Tant que nous ne dominerons pas l'Europe, nous ne ferons que végéter. L'Allemagne, c'est l'Europe. Je vous garantis qu'alors il n'y aura plus de chômage en Europe : on assistera à une prospérité inouïe. Nous nous chargerons de sortir le monde de sa léthargie. Nous nous assignerons des tâches que personne actuellement ne peut soupçonner. Et nous les mènerons à bien. Mais il nous faut l'Europe et ses colonies. L'Allemagne n'est encore qu'un commencement. Il n'y a plus, sur le continent, un seul pays qui soit un tout complet. Notre espace complet, à nous, c'est l'Europe. Celui qui la conquerra imprimera son empreinte au siècle à venir. Nous sommes désignés pour cette tâche. Si nous ne réunissons point, nous succomberons, et tous les peuples européens périront avec nous. C'est une question de vie ou de mort. Votre Lawaczek, votre Feder sont pour moi de vieilles radoteuses autour de la cafetière. Qu'ai-je à faire de leur sagesse de petits bourgeois ? »
Hitler s'arrêta. C'était la première fois qu'il dévoilait devant moi quelques-uns de ses projets véritables. Je dois avouer que l'ampleur de cette perspective m'avait, à cette époque, surpris et impressionné. »


P.S. : Vous pouvez consulter ce commentaire, dans son intégralité, sur mon blog :
Lien : https://communismetotalitari..
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Tout phénomène a deux manifestations : l'une extérieure, agissant sur le monde sensible, et l'autre cachée, avec des ramifications imperceptibles et dont les conséquences durables échappent au sens commun.
On ne saurait mieux dire du national-socialisme qui régna sur l'Allemagne durant douze ans.
Au-delà des critères de la morale courante qui résument les choses en termes de bien et de mal, comment expliquer cette ascension météorique ? Quelle est la clé de ce phénomène d'un genre unique, qui catalysa sur une si courte période des forces disparates mais incommensurables, issues tout à la fois de l'inconscient collectif germanique marqué par de longs siècles de divisions et d'épreuves, du fascisme européen en plein essor, d'un certain racisme biologique issu de courants de pensée apparus au 19ème siècle, et des séquelles de la Grande Guerre ?
Car le nazisme ne relève ni du nationalisme traditionnel ni du racisme ordinaire. C'est en tout cas ce que portent à croire les propos que Hermann Rauschning attribue à Adolf Hitler.
Quoique controversé, cet ouvrage conserve une grande crédibilité : on trouve ainsi dans les réflexions retranscrites par Rauschning un ton qui est familier à qui connaît la façon dont le führer s'exprime : un ton prophétique, résolu et péremptoire, souvent chargé de menaces. Même si certains discours qu'il a tenus dans ses tête-à-tête avec l'auteur de ce livre ne se retrouvent nulle part ailleurs.
Hitler croyait-il vraiment à l'avènement d'une nouvelle humanité acquise à la « vision magique » et libérée des entraves de la raison, alors que d'autres historiens lui attribuent un mépris catégorique envers le mysticisme et l'irrationnel ? La question reste entière. de même, on nous montre un Hitler dépourvu de tout contrôle de lui-même alors que Joachim Fest lui attribuait au contraire une discipline pouvant aller « jusqu'à la crispation nerveuse ».
« On criera à la calomnie, à l'invention haineuse », avait prévenu Rauschning dans sa préface.
Quoi qu'il en soit, l'ancien député du Sénat de Dantzig, au départ enthousiasmé par le mouvement nazi, affirme en avoir vu la véritable nature : loin d'être un renouveau national, le mouvement hitlérien lui apparaît comme la préfiguration d'une oeuvre démoniaque, un projet de bouleversement planétaire ourdi par « les cavaliers apocalyptiques d'un nouveau chaos mondial ». C'est un péril sans précédent qui pèse sur le genre humain tout entier.
Ce livre est fascinant car effrayant. Il dépeint un Hitler tout à la fois terrifiant et terrifié, poussé quasiment malgré lui vers l'abîme par des « influences maléfiques », muré dans un désespoir et une haine effrénés, sujet à des crises de nerfs incontrôlables, assailli par des terreurs nocturnes... « être timoré et douillet », résigné à l'avance devant le sacrifice du patrimoine de l'Allemagne et de ses trésors, et décidé à bâtir autour de lui, à l'inverse, les fondations d'un monde artificiel et impitoyable où survivra « la race la plus virile et la plus dure ». Quoiqu'effrayé par ses propres visions, le chancelier du Reich met toute son énergie à contribution pour les réaliser. Il semble vivre dans la fascination de ce qui le terrorise.
À côté d'un homme coupé du monde réel, Rauschning nous montre aussi un Hitler tacticien et calculateur qui, parfois au mépris de ses propres convictions, obéit aux courants ambiants et saisit les opportunités du moment. À la question « Hitler est-il un dictateur ? », Rauschning répond par la négative : le führer affirme d'ailleurs lui-même prendre ses décisions conformément aux attentes du Parti qu'il érige en instance suprême.
Ces entretiens avec Hitler restent d'ailleurs très troublants, car, à côté de propos étranges dignes d'un Lanz von Liebenfels, on retrouve des éléments tout à fait vraisemblables : le futur ordre européen tel que le décrit le führer à ses confidents, avec son implacable hiérarchie, l'enrégimentement de la société toute entière, les parallèles entre national-socialisme et marxisme...
Mais derrière la façade nationaliste affichée par le régime, on trouve aussi un anti-traditionalisme radical qui amène Hitler à se proclamer le créateur d'une anti-histoire où régneront les « valeurs purement biologiques ». Même le racisme, selon lui, ne serait qu'un instrument visant à remodeler le monde.
Tout devient alors tangent, et la doctrine elle-même perd de sa substance pour ne devenir qu'un prétexte au service du mouvement perpétuel, de « l'écroulement des âges périmés ». le récit en devient irréel, et pourtant...
Bien que stupéfiante, cette analyse garde une certaine vraisemblance, sans oublier que, parfois, la réalité dépasse la fiction. « Il n'y a pas là qu'une oeuvre humaine », avait dit Hitler lui-même en contemplant son oeuvre.
Dans l'optique de Rauschning, le nazisme ne serait donc pas à proprement parler un courant politique mais la manifestation extérieure d'un processus visant à dévier la civilisation de son cours pour lui imposer un nouveau socle et de nouvelle directions. C'est du moins l'impression que j'en ai gardé en fermant la dernière page.


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"Encore un portrait d'Hitler", aurait-on envie de soupirer, à première vue. Cependant, ce portrait-là est peut-être le premier. Nous sommes en 1939. Les horreurs du nazisme ne font que commencer. le petit caporal autrichien fait sourire plus qu'il ne fait peur. le témoignage de Rauschning, nazi repenti à temps, construit un personnage complexe à partir d'entrevues toujours plus délirantes avec un homme enfermé dans une vision mégalomane, maladive et haineuse de l'univers. Hitler y parle. Il s'y contredit sans cesse. Il s'écoute parler comme ceux qu'il fascinent l'écoutent. Il se prend - et on le prend - pour un prophète. L'ambition d'Hitler, mondiale, semble démesurée, ses connaissances, notamment en économie, nulles, sa morale inexistante. Pourtant, il se croit - et on le croit - génial, comme si en sa présence, tout sens critique disparaissait, comme s'il jetait un sort à ses interlocuteurs. Hitler, à l'évidence (mais cette évidence a posteriori est facile…), était un homme malade. Ce qui demeure un mystère, c'est que sa maladie fût à ce point contagieuse.
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Rauschning dit avoir eu de nombreux entretiens avec Hitler. D'autres affirment qu'il ne l'a vu que 4 ou 6 fois. D'où ma question : combien faut-il avoir d'entretien avec un homme tel qu'Hitler pour s'apercevoir qu'il a endossé un habit d'arlequin ?
Et je me permets cette citation de Gustave Flaubert (Mémoires d'un fou).
"L'habit d'arlequin n'est pas plus varié dans ses nuances que l'esprit humain ne l'est dans ses folies"
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Un témoignage de premier ordre.
Qualité de l'écriture en plus.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
« On n’entre en contact avec l’essence de l’Univers que dans l’exaltation des sentiments et dans l’action. Je n’aime pas Goethe. Mais je suis prêt à lui pardonner bien des choses à cause d’une de ses phrases : ‘’Au commencement était l’action.’’ Seul l’homme plongé dans l’action prend conscience de ce qu’est l’essence de l’Univers.

« L’homme se méprend sur le rôle de sa raison. Elle n’est pas le siège d’une dignité particulière, mais tout simplement un moyen parmi d’autres dans la lutte pour la vie. L’homme est sur terre pour agir. C’est seulement quand il agit qu’il remplit sa destination naturelle. Les contemplatifs, tournés vers le passé comme le sont tous ceux qui se consacrent aux choses de l’esprit, sont des morts : ils passent à côté du sens de la vie.

« Nous autres, Allemands en particulier, nous nous sommes complus longtemps dans la pensée et le rêve ; c’est pourquoi il nous faut redécouvrir maintenant cette grande vérité : seules l’action et l’activité incessantes donnent un sens à la vie humaine.

« Toute action est chargée de sens, même le crime. En revanche toute forme de passivité et de repos est dénuée de sens et contraire à la vie. Il en découle le droit divin de détruire tout ce qui voudrait demeurer inchangé.

« Le mot ‘’crime’’ est un reliquat d’un monde dépassé. Il existe des actes positifs et des actes négatifs. Un ‘’crime’’, comme on disait jadis est mille fois supérieur à l’immobilisme bourgeois. Un acte peut être négatif eu égard au bien commun et pour cette raison il faut éviter qu’il ait lieu. Mais il n’en demeure pas moins un acte.

« Il faut se méfier de l’esprit et de la conscience ; il faut se fier à ses instincts. Il nous faut inventer une nouvelle naïveté.

« On nous accuse d’être des ennemis de l’esprit. Certes, nous le sommes. Mais dans un sens si profond que ces bourgeois imbéciles et imbus de leur science sont incapables de l’imaginer, fût-ce en rêve. » (pp. 300-301)
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« Mon socialisme est autre chose que le marxisme. Mon socialisme n’est pas la lutte des classes, mais l’ordre. Qui se représente le socialisme comme la révolte et la démagogie des foules n’est pas un national-socialiste. La révolution n’est pas un spectacle pour le divertissement des masses. La révolution, c’est un dur labeur. La masse ne voit que les étapes parcourues. Mais elle ne connaît pas, et elle n’a pas non plus à connaître quelle somme de travail secret il faut fournir, avant de pouvoir faire un nouveau bond en avant. La révolution n’est pas achevée, elle ne peut jamais être achevée. Nous sommes le mouvement, nous sommes la révolution perpétuelle. Nous ne nous laisserons jamais fixer et figer. Ce que j’ai fait récemment reste incompréhensible à beaucoup de personnes. Mais le succès m’a donné raison. En l’espace de six semaines, mes adversaires du parti, ceux qui voulaient faire mieux que moi, ont reçu l’éclatante démonstration que les événements du 30 juin étaient nécessaires et justifiés. Aux yeux du public, j’ai mis fin à la révolution. Mais nous la transportons à l’intérieur de nous-mêmes. Nous gardons notre haine bien au frais dans la glacière et nous pensons au jour où nous jetterons bas le masque pour apparaître enfin tels que nous sommes et que nous resterons toujours. Je ne puis encore vous dévoiler tous mes plans. Mais je vous demande d’emporter avec vous la conviction que le socialisme, tel que nous le comprenons, vise non pas au bonheur des individus, mais à la grandeur et à l’avenir de la nation toute entière. C’est un socialisme héroïque. C’est le lien d’une fraternité d’armes qui n’enrichit personne et met tout en commun. » (pp. 241-242)
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« Je ne suis pas seulement le vainqueur du marxisme. Si l’on dépouille cette doctrine de son dogmatisme judéo-talmudique, pour n’en garder que le but final, ce qu’elle contient de vues correctes et justes, on peut dire aussi que j’en suis le réalisateur.
(…)
« J’ai beaucoup appris du marxisme, et je ne songe pas à m’en cacher. Non pas des fastidieux chapitres sur la théorie des classes sociales ou le matérialisme historique, ni de cette chose absurde qu’il nomme « la limite au profit » ou d’autres sornettes du même genre. Ce qui m’a intéressé chez les marxistes, ce sont leurs méthodes. J’ai tout bonnement pris au sérieux ce qu’avaient envisagé timidement ces âmes de petits boutiquiers et de dactylos. Tout le national-socialisme est contenu là-dedans. Regardez-y de près : les sociétés ouvrières de gymnastique, les cellules d’entreprises, les cortèges massifs, les brochures de propagande rédigées spécialement pour la compréhension des masses. Tous ces nouveaux moyens de la lutte politique ont été presque entièrement inventés par les marxistes. Je n’ai eu qu’à m’en emparer et à les développer et je me suis ainsi procuré l’instrument dont nous avions besoin. Je n’ai eu qu’à poursuivre logiquement les entreprises où les socialistes allemands avaient dix fois échoué, parce qu’ils voulaient réaliser leur révolution dans les cadres de la démocratie. Le national-socialisme est ce que le marxisme aurait pu être s’il s’était libéré des entraves stupides et artificielles d’un soi-disant ordre démocratique.
(…)
« Nous sommes un mouvement. Voilà le mot qui dit tout. Le marxisme enseigne qu’un bouleversement gigantesque transformera le monde subitement. Le millénium va nous tomber du ciel comme la Jérusalem nouvelle. Après quoi, l’histoire du monde est close. Il n’y a plus de développement. Tout est désormais réglé. Le berger paît ses agneaux. Le monde est à sa fin. Mais nous savons, nous, qu’il n’y a pas d’état définitif, qu’il n’y a rien de durable, qu’il y a une évolution perpétuelle. Ce qui ne se transforme pas, c’est ce qui est mort. Le présent est déjà passé. Mais l’avenir est le fleuve inépuisable des possibilités infinies d’une création toujours nouvelle. » (pp. 254-256)
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Tous ceux qui connaissent Hitler pour l'avoir vu à l'époque héroïque du national-socialisme, savent qu'il avait un tempérament larmoyant et exagérément sentimental, avec une tendance à l'attendrissement et au romantisme. Ses crises de sanglots devant chaque difficulté intérieure n'étaient pas dues à une simple nervosité. Derrière la cruauté et l'inflexibilité d'Hitler, on trouverait le désespoir d'une inhumanité forcée et artificielle plutôt que l'amoralité du fauve obéissant à ses instincts naturels. Cependant, dans la dureté et dans le cynisme inouïs d'Hitler, il intervient encore autre chose que la passion refoulée d'un hypersensible. C'est un besoin irrésistible de venger et punir. C'est un sentiment spécifiquement révolutionnaire qui, à l'instar des nihilistes russes, le pousse à vouloir se faire à toute force, sans discernement ni méthode, le champion des humiliés et des offensés. Nous savons aujourd'hui qu'il n'y a eu pour ainsi dire aucun homme de quelque rang qui ait agi avec une telle méchanceté, avec si peu de pitié, avec une telle soif de vengeance et qui se soit montré aussi mesquin dans la répression d'injustices subies - ou soi-disant subies - qu'Hitler, dont on ne saurait, par ailleurs, citer un seul trait de générosité.
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Ce jour-là, j'entendis, pour la première fois, exposer le programme démesuré d'un Reich allemand d'outre-mer. Je fus étonné de voir qu'Hitler avait des vues d'expansion jusqu'au Pacifique. Le noyau de cette colonisation serait fourni par les îles que l'Allemagne possédait naguère dans les mers du Sud ; on y joindrait les colonies hollandaises et toute la Nouvelle-Guinée ; Hitler déclara encore qu'il fallait empêcher le Japon de trop s'étendre et, pour cela, le détourner vers la Chine et vers la Russie. Hitler rêvait encore d'un Dominion allemand dans l'Afrique centrale et prévoyait enfin une immense entreprise révolutionnaire aux Etats-Unis.
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