Chronique de
Pascal Bonafoux dans « Art Absolument » n°67 :
Rimbaud à la lumière de la peinture moderne
« Cela fait, si je ne me trompe, près de vingt-cinq ans que cela dure. Et cela fait près de vingt-cinq ans que, année après année, le livre –rarement, très rarement deux la même année – que propose Diane de Selliers est incomparable. Et somptueux. Et surprenant. Et superbe. Et rare. Et captivant. Consulter son catalogue depuis le premier, qui donnait les Fables de la Fontaine, en regard desquelles
Jean-Baptiste Oudry avait composé 275 planches que personne (ou presque) n'avait revues depuis le début du XVIIIe siècle. Chaque fois, il se produit le même singulier phénomène. On pouvait (d'une manière très inconséquente, parce que ces fables sont une apothéose de la langue française) croire – celles et ceux qui ont ânonné ces Fables à l'école et y ont rabâché la très cynique morale « la raison du plus fort est toujours la meilleure » le pouvaient – que l'on n'avait plus rien à faire de ces fables ressassées. Or, lorsque l'on ouvrait le livre, il fallait être d'une impardonnable mauvaise foi pour ne pas reconnaître que les relire avec les planches d'Oudry provoquait à les redécouvrir. Chaque livre de Diane de Selliers a ce même pouvoir. Parce que le dialogue qu'elle met en place entre le texte et l'image est le plus fascinant qui soit. Y compris lorsqu'elle prend le risque de faire appel à des peintres contemporains. Si
l'Enéide de
Virgile accompagnée par les images de fresques et de mosaïque antiques semble aller de soi, il fallait du culot pour proposer à
Gérard Garouste d'illustrer le
Don Quichotte de
Cervantès, à
Mimmo Paladino de faire face à L'Iliade et à L'Odyssée, à
Pat Andrea d'accompagner Alice au Pays des Merveilles. Chaque fois, ces livres invitaient à une nouvelle lecture. Quant aux découvertes…. Comment mieux découvrir le Râmâyana ou le Cantique des oiseaux de Farîd od-dîn Attâr, pour ne citer que ces deux titres qui ne peuvent être qu'une découverte pour plus d'un ? Comment ne pas être fasciné par les quelque 660 miniatures qui illustrent le premier, par les 207 du second ? Lesquelles miniatures ont pour certaines été découvertes dans une collection privée. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, Diane de Selliers fait en sorte de donner pour chacun de ses livres la plus scrupuleuse et la plus belle des traductions. Et, comme il se doit pour que rien n'échappe au niveau d'exigence qui est le sien, lequel lui impose l'irréprochable, c'est aux spécialistes les plus rigoureux et les plus incontestables qu'elle fait appel.
Le
Rimbaud qu'elle publie cette année est un nouvel exemple de l'audace qui est la sienne. L'édition des
Poésies, d'
Une saison en enfer et des
Illuminations est celle publiée sous la direction d'
André Guyaux par la Pléiade en 2009. Et les notes ont été revues, faut-il seulement le préciser ? le préfacier,
Stéphane Barsacq, a publié l'an dernier
Rimbaud : Celui-là qui créera Dieu, au Seuil. On ne saurait être mieux accompagné pour aborder ou relire
Rimbaud. D'autant que cette lecture (ou cette relecture) risque de déconcerter. Parce que les textes de cet Arthur, adolescent magnifique, sont accompagnés de près de deux cents peintures qui appartiennent à cet art que l'on qualifie de « moderne ». Comment ne pas songer à cette interjection de l'Adieu d'
Une saison en enfer : « Il faut être absolument moderne. » Tous les peintres dont des oeuvres ont été élues sont fait leur cette nécessité d'être moderne. Comment leurs toiles dialoguent-elles avec la parole du poète ? Comment Matisse et Munch et Degas et Braque et
Ensor et Klimt et… (la liste est incomplète) provoquent-ils, dans le face à face qu'ordonnancent les pages, un autre regard sur les textes ? C'est ce qu'il faut s'empresser de vérifier. Nécessaire démarche. Parce qu'un livre de ces éditions est, ne peut qu'être, une admirable découverte et redécouverte de l'essentiel. »
Après un tel éloge de l'éditeur et de cet ouvrage que je n'ai pu résister de partager, comment faire pour résister à ce livre et les éblouissements littéraires et picturaux que son auteur nous fait miroiter… personnellement je salive.