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EAN : 9782882503657
224 pages
Noir sur blanc (01/01/2015)
2.85/5   10 notes
Résumé :
L'action se passe dans un futur non-précisé, peut-être 2030, peut-être 2040. Déchu de ses fonctions au sein de la Sécurité, capitaine chargé des écritures et de l'idéologie au département des Études, Jimmy Durante, avait tout perdu, et n'avait rien trouvé de mieux que de trouver refuge dans la Péninsule, ce vaste périmètre d'exclusion où a eu lieu quinze ans plus tôt l'Accident nucléaire : tout y est radioactif, les habitations, la végétation, les poissons et le gib... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Entre un ordo-libéralisme de surveillance porté à son paroxysme et de dérisoires havres radioactifs, une dystopie mélancolique et radicale.


Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/07/24/note-de-lecture-la-peninsule-louis-bernard-robitaille/

Fonctionnaire relativement exemplaire et presque tout à fait sans histoires, le capitaine Jimmy Durante est un officier des Organes, plus exactement du département des Études, l'une des branches du puissant ministère de la Sécurité. Compromis à son insu dans un changement d'alignement politique qui le dépasse totalement, loin au-dessus de son niveau de paie et de responsabilité, il est en revanche bien placé pour savoir ce que représente ici une disgrâce. Avec l'aide d'un vieil ami – qui lui doit un service – d'un rang équivalent au sien, ailleurs dans l'Organisation, il parvient à fuir in extremis, juste avant d'être placé sur la dangereuse liste noire, vers le seul lieu accessible aux réprouvés disposant tout de même d'un peu d'argent et d'entregent (ou de connaissance intime de la sécurité, ce qui est bien entendu son cas) : la Péninsule.

Presqu'île isolée mise en quarantaine définitive après un terrible accident nucléaire, la Péninsule est un refuge et un cul-de-sac, sous les radiations aléatoires mais persistantes, où d'étranges communautés coexistent en attendant la fin de leurs vies, à l'égard du système, tout en repoussant chaque fois que nécessaires les assauts de délinquants et de vandales à la petite semaine qui essaient de s'implanter encore plus clandestinement qu'eux dans ce vrai-faux havre aux coutumes acérées où l'argent est roi, comme ailleurs. Dans cet univers restreint et largement hors d'âge où il doit vivre et composer avec d'incertains personnages tels que Oncle Ho, Ariston Pitt, Mathilde van Meegeren, Guido Borsellini, Pomodoro, Wilkinson, ou, surtout, la belle Valentina Ordjonikidze (dont le violoncelle apportera ici une tonalité presque post-exotique), Jimmy Durante parviendra-t-il à trouver une place qui ne se réduise pas à un très provisoire strapontin susceptible de se rabattre à tout moment ? Et le souhaitera-t-il ?

Publié en 2015 dans la collection Notab/lia des éditions Noir sur Blanc, le sixième roman du journaliste québécois Louis-Bernard Robitaille, qui vit à Paris depuis 1972, où il fut très longtemps le correspondant permanent du quotidien La Presse, nous propose une étonnante dystopie à tiroirs. Une société de surveillance ultra-dominatrice, société qui, malgré le vocabulaire souvent emprunté à l'ex-Union soviétique, est bien celle de l'ordo-libéralisme contemporain, sécuritaire, spectaculaire et marchand, sous des traits hélas pas si outrés que cela (que l'on songe par exemple déjà, dans la manière de manier le droit et la règle « pour le bien de tous », au superbe « À l'aide ou le rapport W » d'Emmanuelle Heidsieck), y coexiste avec un microcosme, refuge de rejets (jusqu'à quel point ?) du système, toléré car inoffensif (ou même utile, par des passages secrets toujours à découvrir), petite anarchie ploutocratique où le statut de la bienveillance demeure ô combien incertain, où la loi du milieu et celle de la nostalgie cohabitent sans accrocs majeurs, mais sans horizons définis non plus. Dans une atmosphère qui pourrait évoquer aussi bien le « Brazil » de Terry Gilliam que le « Bunker Palace Hotel » d'Enki Bilal, certains recoins ignorés d'une belle utopie telle que celle de Stéphane Beauverger, un roman de Julien Gracq où la violence aurait cessé d'être feutrée et intemporelle pour s'incarner décisivement, ou encore le redoutable « Cinacittà » de Tommaso Pincio, « La péninsule » dessine une forme rare de dystopie radicale et mélancolique.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Jimmy Durante vit dans un monde où tout est réglé au millimètre : votre liberté d'expression et de mouvement est fortement réduite. Passionné de littérature il a dû oublier ce passe-temps qui lui faisait gagner sa vie autrefois : les médias et les groupes éditoriaux ont disparus. Personne ne lit plus rien. Ah si, ceux qui vous surveillent, eux, lisent tout ce qui s'écrit.

Les Chinois ont la main mise sur tout : interdiction de prononcer une insulte envers eux sinon vous échouez en prison. Mais Jimmy a réussi à trouver un travail passe partout, il s'intègre à cette société et effectue son job sans poser de questions.

Jusqu'au jour où tout le monde l'ignore, tout le monde agit comme s'il était un pestiféré. Il apprend bientôt par un ami qu'il est soupçonné d'avoir collaboré avec la mauvaise personne. Il est pris dans le collimateur de la « justice » de ce monde ultra-surveillé. Innocent ou bien coupable c'est la même chose : au moment où vous avez des relations avec de mauvaises personnes vous tombez avec eux. Pas d'échappatoire, à part peut-être cette péninsule…

Une péninsule radioactive, où vous entrez mais d'où vous ne ressortez jamais. L'entrée est payante, et seules des personnes avec beaucoup de moyens et de bons amis peuvent y entrer.

Jimmy Durante va donc entrer dans cette péninsule où il va rencontrer Valentina : une femme violoncelliste et mystérieuse.
La vie sur cette péninsule est toute aussi réglée que le monde extérieur, ceux qui ont les moyens s'en sortent, ceux sans moyens finissent « sauvages », peu armés, mal logés et mal nourris.

L'histoire en elle-même pouvait être intéressante, mais le récit est trop centré sur la description de cette péninsule. Beaucoup, beaucoup de descriptions. J'aurai voulu plus d'action, plus de suspens, il n'y en a jamais eu. On se doute de tout, jusqu'à la fin.
On suit le déménagement de Jimmy sur la péninsule, sa vie morose sur l'île, son histoire d'amour éphémère, sa vie tranquille entouré de personnes connues (auparavant) et qui sont venues sur l'île finir leurs vieux jours. Un monde de personnes aisées, où les sentiments n'ont pas lieu d'être.
Seule sa relation avec Valentina pouvait intéresser un peu le lecteur, mais même cette histoire d'amour m'a ennuyée. le personnage de Jimmy est trop lisse, on dirait un fantôme : Valentina a beaucoup plus de relief, elle le mange, on oublie complètement son histoire à lui.

Pour les points positifs je dirai l'histoire forcément : ce régime autoritaire, cette péninsule radioactive (mais au final on oublie qu'elle l'est).
Les points négatifs sont pour moi trop nombreux : personnage principal trop lisse et sans envergure, on ne voit qu'une partie de la société, on évolue dans un monde de riches, peu d'émotions tout au long du livre, une histoire d'amour trop rapide et pas assez approfondie.

Je n'ai pas été convaincue malgré la couverture que je trouve magnifique !
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Dans un futur indéterminé, ce pays qui a dû ressembler au nôtre est devenu un état totalitaire sous protectorat chinois, une société à mi-chemin entre celles de «1984» et de «Soleil vert», dans laquelle aucun geste ou mot prononcé de travers n'échappe à la surveillance, suivie d'une condamnation souvent irrémédiable ou d'une disparition pure et simple. Jimmy Durante, un officier de l'omnipotente sécurité intérieure, est rattrapé par la malchance, impliqué malgré lui dans une affaire de corruption et sur le point d'être «happé par la grande broyeuse».

«Et puis un jour cela tomba sur moi, cette glu visqueuse que la Faculté appela par la suite "angoisse administrative".»

Son exclusion du monde protégé de la classe dominante, préambule à une fin désastreuse, ne lui laisse d'autre choix que de tenter de rejoindre la péninsule, territoire irradié par une catastrophe nucléaire où, paraît-il, quelques réprouvés et résistants ont trouvé refuge, zone hermétiquement bouclée dans laquelle on peut tenter de pénétrer, sans le moindre espoir d'en ressortir jamais.

À partir de cette introduction dystopique sur des sentiers connus va se développer un récit d'amour et d'aventures non dénué de clichés, entre Jimmy Durante et la violoncelliste géorgienne Valentina Ordjonikidze, dans ce territoire irradié où un groupe d'humains de toutes origines a reconstruit une société de bric et de broc au charme romantique et désuet, exhalant une nostalgie d'un mode de vie grand bourgeois.

Sans grande surprise ni extase, ce sixième roman du québécois Louis-Bernard Robitaille (2014, Ed. Noir sur Blanc) peut néanmoins constituer une porte d'entrée habilement construite dans l'univers des dystopies.
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J'ai eu la chance de recevoir ce livre grâce à une Masse Critique Babelio et j'ai instantanément accroché sur la couverture, drôle et intrigante. le résumé paraissait tout aussi intéressant, et j'ai été ravie de le recevoir.
C'est un livre relativement court, donc qui se lit vite. Cependant, j'ai trouvé que quelques pages de plus n'auraient pas été de trop afin de fournir un récit un peu plus profond que ce qui nous est donné ici. J'ai eu une impression de survol de l'histoire, qui comporte pourtant des problématiques et thèmes intéressants dans une société où le contrôle des gens devient de plus en plus oppressant.
Car dans ce livre, nous découvrons un univers dystopique ultra totalitaire : oubliez votre liberté d'action ou d'expression, vous êtes constamment surveillé et au moindre faux pas, vous êtes sanctionné. Et même sans faux pas, vous pouvez tout à fait risquer d'être "broyé" par le système.
C'est ce qui arrive à Jimmy, qui se retrouve mis en marge de la société du jour au lendemain parce que son nom est lié à une affaire de corruption. Il est risque de se retrouver dans des camps, et il ne lui reste donc qu'une seule possibilité pour s'en sortir : La Péninsule, île radioactive, où il va se lier avec une violoncelliste, Valentina.
Ce roman aurait tout à fait pu être incroyable, comme un nouveau « 1984 », mais là où le roman de Orwell parvient à emmener le lecteur, « La Péninsule », elle, le fait faire du sur-place : cela ne bouge pas, ou très peu, comme si, à l'instar de Jimmy, le roman avait également une liberté d'action limitée. Les descriptions prennent le pas sur le reste. Il y en a beaucoup (trop) pour un si petit livre et du coup, on a l'impression que rien ne se passe alors qu'on serait en droit d'imaginer qu'avec un régime répressif au possible, une île mystérieuse et une histoire d'amour, on aurait un récit bourré de suspense et d'actions. C'est malheureusement lent et j'ai trouvé cela réellement dommage car ce roman aurait pu être une petite pépite dans le genre dystopique, tant le décor était attrayant.
Toutefois, je noterai la plume très agréable de l'auteur qui, même si elle ne m'a pas transportée, est pleine de poésie. Je découvrirai avec plaisir ses autres romans, rien que pour cela.
En résumé, un roman intéressant, qui porte un oeil critique sur la société actuelle, mais qui manque cruellement d'action. Mais un bon roman tout de même.
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Je souhaite avant tout remercier Babelio et l'éditeur Noir sur Blanc grâce auxquels j'ai pu découvrir ce livre avec l'opération Masse critique.

Dans un avenir proche, le monde est passé sous l'influence du gouvernement chinois, et toute contestation est sous surveillance.

Un département est dédié à la traque de tout contrevenant, et les condamnés dans le meilleur des cas se voient implanter une puce de contrôle, et dans le pire sont envoyés dans des camps.

Jimmy Durante travaille dans ce département, jusqu'au jour où il apprend que son nom est sur la liste des prochains interpellés.

Il décide alors de se rendre au seul endroit possible pour échapper à son gouvernement : « La Péninsule », zone d'exclusion radioactive où se réfugient certains clandestins pour vivre leur vie, brève, mais libre !

L'idée de départ me séduisait, et les premiers chapitres mettaient vraiment dans le bain. Mais assez vite, on assiste plus à la description d'un quotidien, certes peu banal, mais sans vraiment d'émotion, de suspense ou de réflexion.

Plutôt déçu donc, d'autant plus que si le style est plutôt bon, la mise en page donne l'impression de manger des blocs de béton...
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critiques presse (1)
LaPresse
23 mars 2015
Louis-Bernard Robitaille raconte les dessous d'une Europe apocalyptique, trame à laquelle se rattache une touchante histoire d'amour.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Cette dernière évolution aurait pu être fatale aux médias traditionnels, mais ceux-ci avaient déjà pratiquement disparu. Grâce aux réseaux, on avait désormais accès dans la minute à la biographie, aux faits et gestes de toutes les personnalités dignes de mention, à tous les événements mondiaux, même les plus lointains et les plus anodins, il suffisait d’appuyer sur la touche « Bhoutan », « Helsinki », « Paraguay » ou « Galápagos » pour se trouver en prise directe avec les contrées les plus exotiques. Il était certes de plus en plus difficile de se faire une idée générale des situations en cause, tant elles étaient innombrables, confuses, lointaines et invérifiables, guerres de religions, guerres tribales, guerres d’indépendance, massacres de masse, bavures de masse, démi-génocides, quarts de génocides, catastrophes naturelles, émeutes raciales, mais à quoi auraient donc pu servir ces vieux professionnels du commentaire tout juste capables de gloser à perte de vue sur un projet de loi garantissant la pureté de l’air, le lapsus embarrassant du président ou d’un ponte de la finance ? L’un des plus célèbres commentateurs encore en activité profita de son show télévisé pour se suicider en direct. Il venait de diffuser un sujet constitué d’actualités mises bout à bout et montées dans le désordre, élections triomphales, coups d’État, Miss Univers, quadruplés issus d’une mère porteuse âgée, cadavres mutilés. Vous voyez ces images, disait le commentateur, certaines sont vraies, mais je ne sais pas ce qu’elles signifient, les autres sont inventées, mais je ne sais pas lesquelles. Quant aux pays dont il est fait mention, certains n’existent pas. Ne croyez plus à ce que vous voyez sur les écrans. Croyez à ce que vous pouvez toucher. Là-dessus il se tira une balle de revolver dans la bouche.
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L'un des plus célèbres commentateurs encore en activité profita de son show télévisé pour se suicider en direct. Il venait de diffuser un sujet constitué d'actualités mises bout à bout et montées dans le désordre, élections triomphales, coups d'Etat, Miss Univers, quadruplés issus d'une mère porteuse âgée, cadavres mutilés. Vous voyez ces images, disait le commentateur, certaines sont vraies, mais je ne sais pas ce qu'elles signifient, les autres sont inventées, mais je ne sais pas lesquelles. Quant aux pays dont il est fait mention, certains n'existent pas. Ne croyez plus à ce que vous voyez sur les écrans. Croyez à ce que vous pouvez toucher. Là-dessus il se tira une balle de revolver dans la bouche.
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Je n’avais jamais imaginé que cela m’arriverait à mon tour. Je le savais bien pourtant, personne n’était à l’abri, il suffisait d’un mot de travers, d’une maladresse ou d’un peu de malchance pour être happé par la grande broyeuse. J’avais vu placés sous enquête administrative des ministres, des chirurgiens célèbres, des universitaires, des tribuns ouvriers, mais aussi de simple quidams qui avaient eu un jour la mauvaise idée de se trouver au mauvais endroit au moment où il ne fallait pas. Mais quand on a décidé de ne pas ajouter foi aux mauvais présages, on ne voit rien, même quand la foudre tombe à proximité.
Et puis un jour elle s’abattit sur moi, cette glu poisseuse que la Faculté appela par la suite angoisse administrative. Cela commençait par de petits signes auxquels on ne fait pas attention. Un collègue de longue date avec qui vous aviez l’habitude d’échanger des plaisanteries à la machine à café prétextait une urgence, un oubli soudain, pour fuir à votre approche, se dérober au moment de prendre l’ascenseur en votre compagnie. Les deux secrétaires attitrées de votre service, avec qui vous vous amusiez jusque là à entretenir des rapports galants, plongeaient le nez dans les dossiers ou semblaient hypnotisées par l’écran de leur ordinateur dès que vous mettiez le pied dans leur bureau. Elles ne riaient plus jamais. Vous demandiez, Mais où en est donc la réunion tant annoncée du Comité de coordination, et l’on vous répondait, Elle a déjà eu lieu il y a trois jours, vous constatiez qu’on avait oublié de vous y convoquer. Quant aux pots de fin de journée qu’on improvisait dans des bureaux ou dans un bar du quartier, ils semblaient avoir été supprimés ou alors on les organisait dans votre dos, vous en entendiez parler deux jours après. Il se faisait autour de vous un silence d’autant plus difficile à définir que, si vous aviez la naïveté de demander, Y a-t-il un problème, on vous répondait, Mais non, mon vieux, tout va pour le mieux, pourquoi poses-tu cette question ? S’interroger c’était déjà manifester de l’inquiétude, et manifester de l’inquiétude c’était un premier aveu de culpabilité.
Le dilemme dans ce genre de circonstance était de savoir s’il valait mieux faire le mort, tenir avec aplomb le rôle de l’innocent qui n’a rien à se reprocher et n’a rien remarqué, ou alors jouer les outragés et s’étonner en toute candeur d’avoir été mis à l’écart de tous les dossiers en cours. Le choix entre les deux options se jouait à pile ou face, mais dans la situation angoissante qui était la sienne, le paria penchait généralement pour la seconde, espérant au moins tirer l’affaire au clair et dissiper le malentendu, rêvant de s’entendre dire que tout ça n’était rien, qu’il se faisait des idées.
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Partout ailleurs dans les bureaux, tout le monde se méfiait de tout le monde. Sauf pour nous qui connaissions les angles morts et les failles des systèmes de surveillance, les faits et gestes des uns et des autres étaient captés en permanence dans l’ensemble de l’espace public, toute dénonciation un peu circonstanciée pouvait être vérifiée, il suffisait d’éplucher les données des appareils de contrôle pour retrouver la phrase incriminée, eût-elle été chuchotée à l’oreille en pleine rue. Deux mots de travers, et la machine inquisitoriale se mettait en branle. Il pouvait arriver, à l’occasion d’une fête un peu trop arrosée, que quelqu’un se laisse aller à des plaisanteries sur des sujets délicats. Généralement on faisait comme si l’on n’avait rien entendu. Mais parfois la remarque imprudente parvenait à une oreille malveillante. Ainsi un jeune collègue fraîchement promu aspirant contrôleur, voyant notre décontraction et le cynisme de bon aloi qui avait cours dans notre service, avait été saisi d’une sorte d’euphorie, En somme, avait-il hoqueté sous l’emprise de produits stupéfiants, il suffit pour avoir la paix de passer sous silence le fait que les Chinetoques mènent le monde et qu’on achève les vieillards, du moins si j’ai bien compris… Il avait bien proféré les mots impensables, Les Chinetoques… On achève les vieillards… Le double sacrilège aurait pu se perdre dans le brouhaha, mais un témoin de la scène avait rapporté la phrase à l’échelon supérieur. L’aspirant contrôleur, qui entre-temps avait dessoûlé et ne se souvenait de rien sinon de s’être amusé comme jamais dans sa vie, avait reçu une citation à comparaître devant ces messieurs de la Commission interne. Il n’était plus jamais ressorti de leurs bureaux et personne ne savait ce qu’il était devenu, ou plutôt nous nous en doutions tous, mais sans savoir exactement quel traitement on lui avait infligé, dans quel camp intermédiaire ou de transit on l’avait interné. Telle était la règle du jeu : on encourageait chacun à la prudence, on évitait la délation, mais si par malheur quelqu’un tombait, plus personne ne le connaissait, on détournait le regard même lorsque par mégarde on lui marchait dessus.
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À la suite de la directive n°417 du CMS dite Restructuration et rationalisation, on s’en souvient, les pouvoirs publics avaient commencé à interner dans les centres médicaux fermés (CMF), sans droit de visite, les vieillards et les grands malades restés à la charge de l’État. Les richissimes échappaient aux rafles grâce à de coûteuses assurances privées, les membres de la Nomenclature avaient droit d’office à la carte Santé Plus, elle allait de pair avec le logement de fonction et le passeport A, c’est-à-dire le droit de résidence dans les grandes villes et les zones prioritaires. Tous les autres étaient dirigés vers ces centres médicaux fermés, bientôt rebaptisés « camps sanitaires », dès qu’on leur diagnostiquait une maladie grave ou contagieuse. Dans les milieux informés, chacun savait que dans les CMF on ne soignait aucune maladie, on se contentait d’euthanasier, mais c’était un sujet tabou. Un groupe d’opposition fit circuler une tribune intitulée Déportation et mise à mort, qui parodiait la directive n°417 du CMS. L’appel fut relayé par des médias et connut un certain retentissement. Pour la dernière fois le gouvernement fut obligé de s’expliquer devant le Congrès, mais aussitôt après il promulgua un décret spécifique punissant de prison ferme « toute mise en cause délibérée des politiques de santé publique ayant pour but de désinformer ou démoraliser les populations ».
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Vidéo de Louis-Bernard Robitaille
La semaine politique vue par un journaliste canadien .Louis-Bernard Robitaille, correspondant à Paris du quotidien "La Presse" à Montréal livre son regard sur la campagne présidentielle et voit en Bayrou une surprise possible.
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