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EAN : 9782226179029
229 pages
Albin Michel (10/10/2007)
3.44/5   16 notes
Résumé :

Où commence la perversion, et qui sont les pervers ? Est réputé tel, depuis l'apparition du mot au Moyen Âge, celui qui jouit du mal et de la destruction de soi ou de l'autre. Mais si l'expérience de la perversion est universelle, chaque époque la considère et la traite à sa façon. L'histoire des pervers en Occident est ici racontée à travers grandes figures emblématiques, depuis l'époque m&#x... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Cet essai tente de répondre à la question : Où commence la perversion, et qui sont les pervers ? Pour bien comprendre cette analyse d'Elisabeth Roudinesco, il est utile de rappeler sa définition de la perversion : Forgé à partir du latin "perversio", le substantif "perversion" apparaît entre 1308 et 1444. Quant à l'adjectif "pervers", il est attesté en 1190 et dérive de "perversitas" et de "perversus", participe passé de "pervertere" : retourner, renverser, inverser, mais aussi éroder, dérégler, commettre des extravagances. Est donc pervers - il n'y a qu'un adjectif pour plusieurs substantifs - celui qui est atteint de "perversitas", c'est à dire de perversité (ou de perversion). p.11. La part obscure de nous-mêmes. Une histoire des pervers, revient sur les cas qui ont marqué les civilisations occidentales depuis le Moyen-Age jusqu'à nos jours et livre une étude inédite sur l'histoire des pervers. En effet, si les déviances sexuelles ont maintes fois été analysées (notamment par la psychanalyse), aucune étude transversale n'a encore été faite sur les pervers. Elisabeth Roudinesco tente donc de combler ce vide en soulevant la question suivante : la perversion est-elle propre à la nature humaine ou découle t-elle de la culture ? Par extension, l'historienne et psychanalyste questionne son lecteur sur l'utilité de combattre cette "déviance" : les pervers, classés au banc des marginaux par la société, ne permettent-ils pas paradoxalement aux hommes de différencier le bien du mal, fondement même de la civilisation ?

Cette ambitieuse étude, point de départ d'une conférence donnée en 2004 pour l'ouverture du symposium annuel de l'International Federation of Psychoanalytic Societies (IFPS), a le mérite de faire le lien entre les théories et les pratiques qui ont contribué à parfaire l'image du pervers : du Moyen-Age marqué par l'affluence des mystiques et les méfaits de Gilles de Rais, en passant par le libertinage de Sade, l'érotisation de l'acte sexuel du Siècle des Lumières, les barbaries du nazisme et la société perverse de nos jours, l'auteure établit un état des lieux très documenté sur la question. D'après elle, la perversion est nécessaire à l'homme car elle lui permet de faire la part entre ce qui est socialement acceptable et ce qui ne l'est pas d'un pas d'un point de vue moral. Abordant son ouvrage sous un angle historique, Elisabeth Roudinesco l'enrichit de considérations sociologiques, politiques, religieuses et philosophiques, qui confèrent à son analyse un caractère inédit. Ainsi, cette histoire des pervers qui fourmille de références empruntées à la littérature, l'histoire, la psychologie, la philosophie, l'histoire des sciences et de la médecine, constitue une formidable composition où se croisent et s'affrontent de nombreuses disciplines des sciences humaines et sociales. L'auteure réussit d'ailleurs un véritable exploit en donnant une unité à son analyse tant le sujet étudié est vaste. On y glane une foultitude de références remarquables et on y (re)découvre des analyses littéraires plus fouillées les unes que les autres. Bien que certains arguments soient discutables, on ne peut que reconnaître l'énorme travail qu'a exigé cette passionnante analyse. Même si cet essai m'a quelquefois semblé verser dans le dilettantisme, son objet est pertinent et j'y ai trouvé de nombreuses sources à exploiter (à lire, donc). de mon point de vue, les références citées dans cet ouvrage doivent faire partie de la culture littéraire de tous les lecteurs curieux du sujet...
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La perversion apparaît dans cet essai dans toute sa dimension sociale et politique, donc profondément déterminée par L Histoire, qui dicte sa propre désignation du monstrueux, du pathologique, du "médicalisable", du socialement et juridiquement punissable. Cette désignation est donc changeante avec le temps.
Le premier chapitre consacré au Moyen-Age, en effet, est caractérisé par une certaine porosité des limites entre mysticisme (quête du sublime) et abjection, notamment par rapport à la flagellation, mais aussi à la coprophagie et fétichisation des autres détritus corporels, dont la qualification comme pratiques sexuelles (perverses) interviendra plus tard dans L Histoire. le personnage pervers le plus emblématique choisi pour représenter cette époque est Gilles de Rais (Barbe-Bleue), dont il est intéressant de noter aussi les rapports troublants qu'il entretint avec Jeanne d'Arc.
Un tournant s'opère avec les Lumières et avec la conception de la perversion comme volonté d'inversement de la loi religieuse et de la morale traditionnelle : libertinage, blasphème, pratiques voluptueuses de la sexualité. le ch. 2 est donc entièrement consacré à Sade, et à sa pensée (ses oeuvres plus que sa biographie presque entièrement recluse...) inspirant une "utopie" fondée sur le triptyque : sodomie, inceste, crime.
Le tournant suivant date du XIXe siècle (qui toucha directement Sade lui-même) ; il est question de la définition de la folie et de sa possible guérison : "Avec, au coeur du processus de médicalisation des grandes passions humaines qui s'amorçait, la question de savoir ce qu'il adviendrait de la nature de la perversion dans un monde où les pervers, traités comme des malades, ne pourraient plus défier Dieu, n'ayant plus comme seul horizon que de s'en remettre à la science." (p. 72)
Le Ch. suivant, "Sombres Lumières ou science barbare ?" poursuit l'évolution positiviste - hygiénisme, psychiatrie, sexologie, médicalisation, classification, possibilité de guérison, fixation autour des trois types : enfant masturbateur, homosexuel, femme hystérique - mais il la met en rapport dialectique avec la révolution épistémologique de Freud ("Penseur des Lumières sombres"), qui "réhabilita l'idée selon laquelle la perversion est nécessaire à la civilisation en tant que part maudite des sociétés et part obscure de nous-mêmes." (p. 102-103) Étrangement, l'illustre psychanalyste et historienne de la psychanalyse qu'est Elisabeth Roudinesco s'attarde très peu sur ce nouveau tournant freudien, et préfère consacrer une grande partie de ce ch. à une analyse littéraire (Balzac, Flaubert, Hugo) de certains personnages romanesques, qu'elle me semble maîtriser approximativement. Là se situe ma première déception.
Ensuite vient un ch. intitulé "Les aveux d'Auschwitz". Je souscris totalement à l'idée que "Le nazisme a bien inventé un mode de criminalité [différente de tous les autres grands actes de barbarie du XXe siècle : le goulag ou Hiroshima] qui pervertit non seulement la raison d'Etat mais, plus encore, la pulsion criminelle elle-même, puisque, dans une telle configuration, le crime est commis au nom d'une norme rationalisée et non pas en tant qu'expression d'une transgression ou d'une pulsion non domestiquée." (p. 135) Face à l'énorme littérature qui a tenté d'expliquer la singularité de la shoah, je pense en particulier à Hannah Arendt et à Primo Levi pour ne citer qu'eux, j'ai été un peu surpris que l'auteure se soit ici attardée presque uniquement sur le témoignage de Rudolf Höss (au détriment, par ex. de Eichmann).
Mais ma déception fondamentale vient du dernier ch., "La société perverse", qui devait donner le cadre contemporain. L'auteure dit, après une INTERMINABLE digression (30 p.) principalement consacrée à la zoophilie (alias bestialité) :
"Si la société industrielle et technologique d'aujourd'hui tend à devenir perverse tantôt par la fétichisation pornographique des corps, tantôt à travers le discours médical puritain qui abolit la notion de perversion, tantôt encore par l'élaboration de thèses insensées sur les relations entre l'homme et l'animal, il reste à identifier qui sont désormais les pervers, où commence la perversion et quelles sont les grandes composantes du discours pervers d'aujourd'hui." (p. 198) A cette question fondamentale et initiale, elle ne fournit pas de réponse. Dès lors, des divagations sur l'institutionnalisation de toute pratique sexuelle (perverse ?) entre adultes consentants, sur la pédophilie, sur le terrorisme (eh oui, lui aussi !), sur le transsexualisme (là aussi, l'inclusion sub specie de "perversion" me semble tout autant sujette à caution) paraissent être a minima un capharnaüm, mais peut-être même une confusion d'espèces tendancieuse.
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« Où commence la perversion et qui sont les pervers », telle est la question centrale du livre d'Elisabeth Roudinesco. L'auteure tente d'y répondre en réunissant « des approches jusque-là séparées, en mêlant à une analyse de la notion de perversion non seulement des portraits de pervers et un exposé des grandes perversions sexuelles, mais aussi une critique des théories et des pratiques qui ont été élaborées, notamment depuis le XIXe siècle, pour penser la perversion et désigner les pervers. »

Le livre se divise en cinq chapitres : « le sublime et l'abject », « Sade envers et contre lui-même », « Sombres lumières ou science barbare ? », « Les aveux d'Auschwitz » et « La société perverse » et présente des analyses sur Gilles de Rais, les mystiques et les flagellants de l'époque médiévale occidentale, le nazisme, la pédophilie, le terrorisme dans l'actualité du nouveau siècle, sans oublier les obsessions du XIXe siècle avec l'enfant masturbateur, l'homosexuel et la femme hystérique.

A une époque où l'émancipation par l'exercice de la liberté humaine semble inactuelle sous la dictature du marché et de la marchandise, où l'on feint de supposer que la science, et ses techniques médicamenteuses ou répressives, nous permettrons d'en finir avec la perversion, l'auteure souligne qu'avec cette éradication recherchée, nous prenons le risque de détruire l'idée même de possible distinction entre le bien et le mal, fondement de la civilisation.

La perversion « arrachement de l'être à l'ordre de la nature », présente dans toutes les sociétés humaines est une nécessité sociale. « Elle préserve la norme tout en assurant à l'espèce humaine la permanence de ses plaisirs et de ses transgressions ».

Il reste toujours possible d'opposer à l'auteur, d'autres angles d'attaques, d'autres problématiques, mais cet ouvrage affronte très nécessairement et très humainement notre devenir en tant qu'individu-e, nos constructions psychiques, en ne délaissant ni notre condition de genre ni nos orientations sexuelles diverses.

Ce beau livre est une invitation à penser. En guise de conclusion, je reproduis la fin de l'introduction d'Elisabeth Roudinesco : « Que ferions-nous sans Sade, Mishima, Jean Genet, Pasolini, Hitchcock, bien d'autres encore, qui ont donné les oeuvres les plus raffinées qui soient ? Que ferions-nous si nous ne pouvions plus désigner comme boucs émissaires – c'est-à-dire pervers – ceux qui acceptent de traduire par leurs actes étranges les tendances inavouables qui nous habitent et que nous refoulons ? Que les pervers soient sublimes quand ils se tournent vers l'art, la création ou la mystique, ou qu'ils soient abjects quand ils se livrent à des pulsions meurtrières, ils sont une part de nous-mêmes, une part de notre humanité, car ils exhibent ce que nous ne cessons de dissimuler : notre propre négativité, la part obscure de nous-mêmes. »
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Tout ce qui peut décrire ce livre est dit dans le sous-titre : « Une histoire des pervers ». J'aurais presque dit « une histoire de la perversion à travers la littérature et les sociétés occidentales ». Vraiment passionnant, foisonnant de références, d'approches, de réflexions... Personnellement, j'ai trouvé le chapitre sur Sade et le « sadisme » trop long et rébarbatif dans les deux sens du terme.
Le (s) sens des mots « perversion » et « pervers » évolue(nt) au fil de ces pages en suivant une architecture historique, presque mathématique. La construction de ce livre est d'une rigueur implacable, ce qui l'en a rendu d'autant plus attrayant que repoussant pour moi : sécurité de se laisser guider contrecarrée par le manque de liberté de mouvements de pensée qui en découle d'office. Étrange paradoxe, mais qui est certainement plus de mon fait (mon inculture crasse) que de celui de l'auteur.
Je recommande malgré tout ce livre à toutes les personnes de nature curieuse : elles y trouveront, à condition de s'accorder des temps de recul, matière à réflexions et à investigations.
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critiques presse (1)
NonFiction
09 septembre 2014
Une des thèses du livre de Roudinesco est que si l’on réduit la notion de perversion à des réflexes moralisants recadrés de manière culturaliste, elle perd toute rigueur conceptuelle. C’est ce que veut éviter ce livre dense et passionné qui entend réconcilier structure et histoire.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Que ferions-nous sans Sade, Mishima, Jean Genet, Pasolini, Hitchcock, bien d’autres encore, qui ont donné les œuvres les plus raffinées qui soient ? Que ferions-nous si nous ne pouvions plus désigner comme boucs émissaires – c’est-à-dire pervers – ceux qui acceptent de traduire par leurs actes étranges les tendances inavouables qui nous habitent et que nous refoulons ? Que les pervers soient sublimes quand ils se tournent vers l’art, la création ou la mystique, ou qu’ils soient abjects quand ils se livrent à des pulsions meurtrières, ils sont une part de nous-mêmes, une part de notre humanité, car ils exhibent ce que nous ne cessons de dissimuler : notre propre négativité, la part obscure de nous-mêmes.
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