Certaines lectures sont l'occasion d'effectuer un voyage dans le temps et l'espace. Certaines réussissent même à nous transporter très loin sur le plan émotionnel.
La joueuse de go est un roman découvert tout à fait par hasard. En me rendant à la bibliothèque, j'avais alors en tête un livre plutôt léger et drôle, une petite comédie qui me changerait les idées. Sauf que vous savez comment c'est, on rentre avec plus ou moins une idée de ce que l'on cherche pour finalement ressortir avec des livres en plus qui n'ont rien à voir. C'est donc comme ça que je suis tombée sur
La joueuse de go. Sa couverture a tout de suite attiré mon oeil, très soft avec juste son fond pourpre. Celle-ci est à l'image du roman qu'elle illustre : épurée et grave.
Ce roman nous emmène en 1937, alors que la Chine croule sous les bombes des Japonais. En plein milieu de cette guerre, un village, reflet d'une gloire passée, est relativement épargné. Dans ce village, une adolescente repoussant ses prétendants à coup de parties de Go. Ce jeu de stratégie est l'occasion pour la jeune fille de s'évader de son morne quotidien. Entre d'un côté la guerre, de l'autre sa soeur malheureuse en mariage et ses deux prétendants, elle a besoin d'oublier, l'espace de quelques instants, le poids de ce quotidien, pour s'élever loin de ces inquiétudes. Qui de Min ou de Jing choisira-t-elle ? Est-elle obligée de choisir ? Pourquoi le ferait-elle ? Aimerait-elle Min sans Jing ? Aimerait-elle Jing sans Min ? L'adolescente tourne et virevolte, devient femme mais ne parvient pas à se décider. En quête d'elle-même, d'un sens à sa vie, c'est dans le go qu'elle s'épanouit.
Dans ce village, arrive un jeune officier japonais, fier de sa patrie, heureux de mourir pour elle s'il le faut. Génération engagée, il voit dans cette guerre la renommée de son pays et un salut pour la Chine. Il verra dans
la joueuse de go son ultime adversaire. Sans un mot, sans un geste autre que le mouvement des pions sur le damier, ils vont s'affronter implacablement… et s'aimer. Cet amour contraste par le déchaînement de violences autour d'eux. Seuls au milieu de la tempête, ils demeurent inébranlables, chacun absorbé dans le jeu de l'autre. le go apparaît alors comme une ancre, qui maintient leur esprit élevé, loin des évènements qui se déchaînent autour d'eux, contre eux.
L'alternance des points de vue des deux protagonistes nous plonge dans leurs pensées les plus intimes. Perdus, ils n'en demeurent pas moins forts dans la tourmente et il est difficile de prendre parti pour l'un ou l'autre. Après tout, ce ne sont que deux jeunes gens qui luttent pour leurs convictions, pour leur pays, chacun à sa manière. Cette lutte les mènera-t-elle à leur perte ? Ne vivent-ils pas pour une cause perdue d'avance ? Dès le départ, leur amour est condamné. Mais en ont-ils seulement conscience ? le lecteur est ici cantonné au rang de simple spectateur, sans prise aucune sur le cours des évènements. Tenu à distance, il sait qu'il ne peut que subir tout ce qui va suivre, à l'image des deux jeunes gens. Tout est joué d'avance, la fin est inéluctable. Symboles de deux fières nations,
la joueuse de go et le soldat incarnent les nouvelles générations qui, de par leur passivité, ont conduit à la terrible suite des évènements que nous connaissons. Comment un pays a-t-il pu se laisser conquérir aussi facilement ? Comment les Japonais ont-ils pu pousser aussi bien leur conquête ? Entre passivité, complicité, collaboration et haine de l'autre,
Shan Sa inscrit ses personnages dans une réalité historique et leur confère, à eux aussi bien qu'au contexte, davantage de crédibilité.
La joueuse de go est un très beau roman, aussi simple qu'efficace. Sous une plume aussi poétique que légère, le soldat japonais et la jeune Chinoise prennent vie et nous font vivre l'espace d'un court instant toute l'intensité de leurs émotions.
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