Il n'est vraiment pas courant d'attendre la dernière page d'un roman pour connaître le prénom de l'héroïne, un prénom tout aussi charmant et poétique que celui de sa soeur Perle de lune.
Le final de la “La joueuse de go” est particulièrement captivant. Le style littéraire de l'auteure Shan Sa est quant à lui délicieux ; il a le raffinement d'une ancienne porcelaine chinoise et le tranchant d'un sabre de samouraï !
Fort éloigné dans les règles des jeux de dames et d'échecs auxquels on le compare à tort, le go est aussi un jeu de stratégie militaire. Alors que les pièces au fil de la partie se raréfient sur le damier ou sur l'échiquier, au jeu de go c'est l'inverse : à tour de rôle chacun des deux adversaires ajoute pierres blanches et pierres noires où bon lui semble sur les 361 intersections composant le go-ban. Le vainqueur est celui qui dispose au final du plus grand nombre de points, mesuré à partir de l'étendue des territoires conquis et du nombre de prisonniers fait par chacun.
Rassurez-vous ! Il n'est pas nécessaire de connaître les subtilités de ce jeu multimillénaire d'origine chinoise, et seulement introduit au Japon dans les premiers siècles de notre ère, pour apprécier pleinement ce roman. L'action se déroule en Mandchourie en 1931 alors que l'armée japonaise envahit ce vaste territoire chinois.
Sur la place des Mille Vents, point de combats militaires mais une partie de go annonciatrice de bien des tourments entre une jeune chinoise extrêmement douée et un officier japonais initié naguère au mandarin par sa nourrice !
Sur la place des Mille Vents, le souffle de la tragédie est d'emblée palpable...
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J'ai été et reste fascinée par ce roman. C'est très finement construit, chapitre après chapitre, dans lesquels, minutieusement, s'expriment tour à tour l'adolescente et le soldat japonais. Les personnages vivent dans les mots, avec leurs drames et leurs passions. L'horreur de la guerre apparaît souvent, et aussi le sexe dans ce qu'il peut avoir de très touchant et de très sordide..Enfin l'auteur ne cesse de nous tourmenter dans cette page d'histoire de la Chine.
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A petits pas , telle une geisha , Shan Sa nous emmène sur la place des Mille Vents .
Avec pudeur et délicatesse , elle dresse son décor de yin et yang qui se côtoient parmi les damiers ancrés dans la roche grenue , depuis une éternité .
Ce lieu réunit tous les hommes amoureux de cet art qu'est le jeu de go .
Cependant , une personne dénote dans ce milieu macho : une jeune chinoise , belle du haut de ses seize ans , arrogante par ses origines aristocratiques , indépendante grâce à une éducation libre et naturelle .
Et surtout , fine stratège . Cette demoiselle défie la gent masculine qu'elle bat régulièrement . On admire et on accepte cette exception .
Un jour , un jeune soldat japonais , déguisé en Chinois , l'affronte . Il est très doué .
Notre héroïne qui se complaît au milieu de ces artistes , revient régulièrement braver le bel inconnu .
Dans leurs silences et leurs regards intenses , ils vont se découvrir .
Ils passent des heures à communier . Leurs corps , sans se toucher , dégagent leurs états d'âme . Ils se conquièrent .
Ils vivent un amour absolu mais un amour platonique .
" le go se moque du calcul , fait affront à l'imagination .
Imprévisible comme l'alchimie des nuages , chaque nouvelle formation est une trahison .
Jamais de repos , toujours sur le qui-vive , toujours plus vite , vers ce qu'on a de plus habile , de plus libre , mais aussi de plus froid , précis , assassin .
Le go est le jeu du mensonge . On encercle l'ennemi de chimères pour cette seule vérité qu'est la mort . ( P. 294 )
Ils sont si différents et ennemis . Elle ne le sait pas . Elle croit en lui .
Elle ! Rêve d'une Mandchourie libre au contact de deux étudiants révolutionnaires Min et Jing qui l'ont envoûtée .
Lui ! Guerrier , place l'honneur dans le devoir et la mort .
Il n'a aucun scrupule à assister à d'innombrables crimes , destructions , pillages , viols .
Cette Mandchourie garde encore les séquelles de la peste , apportée par les marmottes de 1910 à 1911 .
En un an , 50000 personnes périrent . ( wikipédia )
Mais la Mandchourie n'a pas fini de trembler face à l'envahisseur venu massacrer ses élus , les néantiser .
Spécialement par cette unité 731 qui se livre à des expériences bactériologiques sur des prisonniers cobayes
(... ) victimes de vivisections , gelés ou exposés à des bactéries , afin de doter le Japon d'armes bactériologiques ( www. nouvelobs.com / monde ) .
Toutes cette cruauté , ces horreurs vont forcément séparer ces jeunes gens .
Peuvent-ils se retrouver ? Où ? Quand ? Comment ?
L'auteure nous installe progressivement dans la tristesse et la colère .
Elle se plie , se penche , distille dans notre coeur cette amertume . Elle recommence , encore et encore , souple comme un saule .
Par petites touches , par des phrases courtes mais incisives , elle traduit la douleur , la sensualité et surtout l'amour .
Chaque mot est emprunt de poésie et de force .
Elle réussit à nous associer à ses protagonistes par les aparte qu'ils nous dévoilent , chacun à leur tour .
Une petite merveille , ce roman !
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Je viens de fermer le roman: roman du rouge et du noir, de la passion et de la mort, de la sensualité et de la violence. Rien, je ne trouve rien de négatif, rien de faible, rien de maladroit, ce récit a absolument tout!
En quelques pages, on pénètre dans la société chinoise des années 30, la Mandchourie en proie à l'invasion japonaise. En quelques mots se dessine les différentes strates de la société chinoise, entre traditions et modernité, richesse et pauvreté.
C'est une jeune collégienne, dont on ne découvrira le prénom qu'à la dernière page mais qu'on imagine très beau, sa soeur se nommant Perle de Lune, qui, de ses allées et venues, nous mène dans les rues de Mille Vent où elle joue tous les jours au Go; le Go est pourtant un jeu traditionnellement masculin, mais la jeune fille intrépide et intelligente a su gagner ses gallons et le droit de pratiquer auprès des hommes. C'est ainsi qu'elle rencontrera l'Inconnu, cet homme à l'accent pékinois mais qui cache en réalité un militaire japonais.
Le récit se partage entre ces deux personnages tour-à-tour narrateurs et que rien ne prédispose, au début du roman, à se rencontrer. Pourtant, le Go signera leur destin à chacun d'une manière sublime et tragique.
Le Go, ce jeu que je ne connais absolument pas, dessine à la fois les stratégies des deux peuples et la psychologie intime des deux joueurs qui n'échangeront que par coups et regards furtifs.
C'est une histoire magnifique et déchirante que je n'attendais pas.
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