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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Pouvons-nous vous recommander chaleureusement les anthologies "fantastiques" présentées par Barbara SADOUL ? Les six en notre possession sont d'un excellent niveau : les 3 premiers des 4 tomes de "La Dimension fantastique" (1996, 1998, 1999, 2007), "Les cent ans de Dracula" (1997), "Fées, sorcières ou diablesses" (2002), "La solitude du vampire" (2003)... et toujours disponibles aux éditions E.J.L. (Paris), en leur très populaire et remarquable collection "Librio 2 €"...

Allons-y cette fois-ci pour ce recueil "Les cent ans de Dracula. Huit histoires de vampires de Goethe à Lovecraft.", déjà présenté par neuf de nos petits camarades...

(1°) "La Fiancée de Corinthe" / "Die Braut von Korinth" (1797) de Johann Wolfgang von GOETHE [1749-1832], traduit de l'allemand par Léon Mis.

Un long poème de vingt-huit segments nous contant un étrange récit de l'Antiquité : la venue d'un jeune Athénien "païen" (de l'ancienne religion polythéiste où l'on révère Cérès et Bacchus) étranger à Corinthe, se rendant au domicile des parents de sa promise ("Die Braut") — il s'agit là d'un mariage "arrangé", et d'ancienne date, par les deux familles... Une jeune fille silencieuse et pudique, couverte d'un voile er d'un vêtement blancs" fait son apparition nocturne dans sa chambre d'hôte... Un rythme de narration très doux, très suggestif... L'étrange froid du corps de la jeune fille versus la tiédeur du corps du jeune invité... Les noces funèbres entre Eros et Thanatos auront bien lieu. L'amante finira par reconnaître :

"Une force me chasse hors du tombeau
pour chercher encore les biens dont je suis sevrée,
pour aimer encore l'époux déjà perdu,
et pour aspirer le sang de son coeur.
Et quand celui-ci sera mort,
je devrai me mettre à la recherche d'autres,
et mes jeunes amants seront victimes de mon désir furieux."

Pur et délicat. Aussi romantique, lyrique et désespéré que la quête éperdue de Werther dans "Les Souffrances du jeune Werther"/ "Die Leiden des jungen Werthers"(1774) ou que le récit des expériences durement "formatrices" du jeune naïf Wilhelm dans "Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister" /"Wilhelm Meisters Lehrjahre" (1796)...

(2°) "Le Vampire" / "The Vampyre" (1819) de John William POLIDORI [1795-1821], traduit de l'anglais par Henri Faber.

Là, nous sommes littéralement soufflés par la force hypnotique intacte de cette pièce composée à l'âge de 24 ans et si longtemps attribuée à Lord BYRON. Son jeune secrétaire était tout simplement un Génie du conte... le sort du malheureux Aubrey puis de sa soeur Miss Aubrey séduite par cette statue scandaleuse , glacée et glaçante de ce mondain de "Lord Ruthwen" : tout est d'une telle concision et pèse d'une telle présence qui nous fait oublier les faiblesses du roman-feuilleton aux saillies surréalistes géniales de Bram STOKER , "Dracula", complété de son prequel "L'invité de Dracula", qu'elles annoncent évidemment... Mais là où STOKER nous enlisera et nous ennuiera à partir des deux derniers tiers répétitifs de son intrigue un rien pesante, J. W. POLIDORI — dans l'extrême concision — nous fait frémir d'une belle inquiétude sourde. Cette saloperie sans âge de Lord Ruthwen (Les aristos n'étaient-ils pas là pour pomper la moelle nourricière et le sang de plus faibles qu'eux, au fond ?) se révèle non seulement immortel mais invincible. Il disparaît après le destin tragique du pauvre Aubrey et de sa soeur courtisée habilement et séduite par l'infâme... La gloire de Byron n'a-t-elle pas longtemps "vampirisé" (certes, à l'insu des deux hommes) l'oeuvre de son habile secrétaire — le très roué "poète" s'étant "rapidement lassé de l'immaturité de son jeune compagnon inexpérimenté" ? POLIDORI avait étudié la médecine et soutenu une thèse sur le somnambulisme ("Dissertatio medica inauguralis, quaedam de morbo, oneirodynia dicto, complectens") et reçu "son diplôme à l'âge de 19 ans". La force intacte, la rémanence et la pérennité de son "Vampire" sont d'évidents signes des erreurs de jugement de son "maître" des Vanités...

(3°) "La morte amoureuse" (1836) de Théophile GAUTIER [1811-1872].

Du génie à l'état pur, là encore ! Que de richesses bien concrètes (notamment linguistiques) contenues dans ce conte... L'argument ? Un narrateur (aujourd'hui accablé de ses soixante-et-dix années) se souvient de ses vingt ans : alors "apprenti-ratichon" tel le jeune tuberculeux du "Journal d'un curé de campagne" du film de Robert BRESSON (1951), adapté du roman de Georges BERNANOS (publié en 1936), disons que lui aussi n'a guère eu de chance en sa toute jeune vie... Tombant immédiatement amoureux d'une fidèle présente dans l'église lors de sa propre ordination. Il s'éloigne de cette (présumée) Belzébuth mais son amoureuse (transie) le rattrape jusqu'entre les murs moisis de sa première cure... L'épisode où le jeune Romuald précédé du Curé Sérapion (tous deux à dos de mule) se retourne une dernière fois sur sa cité de noviciat pour découvrir le palais de Clarimonde-la-Courtisane fait penser au départ du jeune lieutenant Drogo dans "Le Désert des Tartares" de Valerio ZURLINI (adapté du fameux roman éponyme de Dino BUZZATI, publié en 1940) : mêmes regrets, même promesse de nostalgie indicible... L'histoire d'amour durera trois ans. Trois ans à ne plus savoir démêler le rêve de la réalité. L'abbé Sérapion a l'oeil : en bon futur Abraham van Helsing (l'exorciste du fameux "Dracula"de Bram STOKER en 1897), on ne la lui fait pas... La belle Clarimonde n'a qu'à rester à sa place, bien au fond de son tombeau... Pourtant elle est vraiment amoureuse, cette morte-là, et économise farouchement le sang de son petit protégé... Une histoire de femme-vampire, de goule, de "non-morte" — "Strigoï", comme disent les Transylvaniens ? Si l'on veut... Une belle histoire d'amour contrarié. Maîtrise et concision du style, habileté d'effets dramatiques soigneusement ménagés. Chapeau, l'artiste ! La nouvelle fantastique qu'on aurait également aimé écrire à nos 25 ans...

(4°) "Car la vie est dans le sang" / "For the Blood is the Life" (vers 1880) de Francis Marion CRAWFORD [1854-1909], traduit de l'américain par Jacques Finné (1987).

Dieu, quelle belle surprise ! Si "la vie est destinée au sang" (selon le titre original), ce conte tiré de l'oubli se révèle d'une force suggestive sans pareille... La description des jeux d'ombres de la côte calabraise au crépuscule sont inoubliables... Ce malaise que crée dans l'âme du lecteur cette forme silencieuse apparaissant sur un tertre et qu'on ne peut surprendre qu'à la tombée du jour et depuis le sommet d'une tour quadrangulaire, cette forme indécise vers laquelle se rendra Holger l'invité scandinave du narrateur, bourgeois en villégiature bien au fait de l'ethnologie locale... Un serpent de brouillard maladif dans une lumière entre chien et loup... On tremble pour le visiteur qui s'en approche... S'ouvrira enfin le somptueux "récit dans le récit" (l'invité Holger, tout comme nous, "adorant les histoires")... On connaîtra le dépit du vieil Alario mourant en voulant cacher sa fortune, les déconvenues d'Angelo son fils d'abord envié, le destin tragique de la pauvre Cristina, victime de la "Ndrangheta" de l'époque... Les deux "brigands" de l'histoire sont évidemment pauvres, mais aussi lâches et sournois : voleurs et assassins sans scrupules... La mort violente et son sillage de "revenance"... Une construction magistrale. Merci au grand poète et écrivain américain, "romancier d'épouvante" si méconnu de nous !

(5°) L'invité de Dracula" / "Dracula's Guest" (1897) de Bram STOKER [1847-1912], traduit de l'anglais par Jean-Pierre Kremer (1992).

L'une des plus belles trouvailles dans ce conte (prequel du célèbre roman "Dracula") ? Ce cocher qui se signe à chaque fois en grognant "Walpurgis Nacht !" ["La nuit de Walpurgis"] en l'accompagnant du muet et nécessaire "In nomine Patre, Filio et Spiritu sancto" de sa main droite... le narrateur s'engage ingénument "pour une promenade" dans les environs de "München"/"Munich"... Il poursuivra bientôt seul et à pied, ne tenant aucun compte des recommandations de son cocher... Que d'invraisemblances psychologiques et naïvetés déconcertantes et un curieux manque de consistance dans son art de conteur... Stoker se révèle là encore — et son fascinant roman "Dracula" publié la même année souffrira des mêmes lourdeurs étonnantes — assez piètre narrateur... Il ne sait ni éluder, ni "faire sec" : éliminer le gras (l'inutile) d'une narration... On ne trouvera non plus aucune crédibilité psychologique au personnage principal (qui serait donc Jonathan Harker, le clerc de notaire égaré du roman) ; les descriptions paysagères paraissent bâclées, les métaphores pesantes. Certes, la nuit tombe, le froid vient, la neige recouvre la terre dans ces contreforts des Alpes bavaroises... La grêle de la fameuse "Nuit de Walpurgis" est heureusement impitoyable : le visiteur doit se réfugier transi sous le portail d'un mausolée lui annonçant que la "Comtesse Doligen de Gratz / En Styrie / Chercha et trouva la mort / 1801" qui vaut bien une épitaphe du fabuleux Cimetière marin sous "Notre-Dame-des-Auzils" dans le Massif de la Clape près de Gruissan (Aude). La plus belle saillie poétique de la nouvelle, pour nous ? L'inscription en caractères cyrilliques découverte sur le tombeau de la Comtesse : « Les morts voyagent vite. » — « Die Todten reiten schnell. » : soit le vers devenu célèbre de la ballade "Leonore" de Gottfried August BÜRGER publiée en 1774 dans l'Almanach des Muses de Göttingen. Bram STOKER fut tout d'abord un formidable explorateur de manuscrits, de bibliothèques et de mythes. Un ethnographe amateur armé d'une formidable curiosité, devenu romancier par nécessité et pour notre bonheur...

(6°) "Aylmer Vance et le Vampire" / "Aylmer Vance and the Vampire" (1914) de Claude ASKEW [1865-1917], traduit de l'anglais par Marie-Lise Marlière (1997).

Les mystères et la malédiction de Blackwick Castle en Ecosse... L'héritier Paul Davenant subjugué sa jeune épouse, elle-même sous emprise. Une beauté rousse aux longs crins, sans tâches de son sur sa peau laiteuse. Une très belle nouvelle dont les descriptions des Highlands glaciales font chaud au coeur : elles auraient pu inspirer le romancier Bram STOKER qui souffrait sûrement de son amateurisme de bâtisseur de fictions immortelles... Apprenons que "Alice Askew et son mari, Claude Askew, étaient des auteurs britanniques, qui ont écrit ensemble plus de quatre-vingt-dix romans, dont beaucoup publiés en séries de six sous et sept sous, entre 1904 et 1918".

(7°) "Le Gardien du cimetière" (1919) de Jean RAY [1887-1964].

Raymond Jean Marie de Kremer dit "Jean RAY", l'immortel feuilletonniste père de ce dompteur de Surnaturel que fut "Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain" nous régale. Non de cailles mais d'attentes jamais déçues. Pourquoi ces deux Gardiens si attentifs à l'appétit et au bon sommeil du Nouveau gardien ? Pourquoi ce fichu poste de Gardien (pour "crèves la faim") réapparait-il à intervalle régulier après le "départ" du candidat précédent ? Bien sûr, nous nous douterons promptement du dénouement potentiel... Ce cimetière de Saint-Guitton à l'abandon, et cette satanée "richissime duchesse Opoltchenska" qui s'y fait inhumer seule, parmi les herbes sauvages et derrière des murs d'enceinte hauts de trois mètres... Un humour très fin, un sens de l'étrange inné et bien rôdé... Les deux compères Ossip et Velitcho ne manquent pas de culot ! A la place du Nouveau Gardien, je me méfierai de cette bonne tisane noire de "chur" d'avant sommeil...

(8°) "La Maison maudite" / "The Shunned House" de Howard Phillips LOVECRAFT [1890-1937], traduit de l'américain par Yves Rivière (1961).

Une nouvelle en cinq chapitres du Maître de Providence, et une nouvelle variation sur la dégénérescence "d'entre les murs" d'une antique demeure, s'étendant depuis la cave jusqu'au jardin... et qui n'est pas sans rappeler l'ambiance vénéneuse de l'extraordinaire conte "La Fille de Rappaccini" / "Rappaccini's Daughter" (1844) et l'inoubliable roman "La Maison aux Sept Pignons" / "The House of the Seven Gables" (1851) du toujours surprenant Nathaniel HAWTHORNE [1804-1864], son voisin de Salem dont il admirait l'oeuvre au caractère inclassable... Il faudra ici bien souvent s'y reprendre à deux fois pour retenir avec profit les détails d'un récit touffu (prénoms et patronymes des nombreux protagonistes, complexité topographique et chant spécial des noms des rues et de quartiers de Providence)... L'ombre prégnante d'Edgar Allan POE planant sur le tout premier chapitre... Nous pénétrons sur la pointe de pieds dans une saga familiale avec des sorciers d'origine française émigrant au XVIème siècle de bien avant "Les Lumières" européennes (Damnés et satanés "Frogs", pactisant si aisément avec ce "Prince des Ténèbres" cerné de toutes ses habituelles et obscures Autres Dimensions !!!), bien sûr à l'origine de cette terrible malédiction en forme de pourriture sournoise, évidemment transmissible de génération en génération : soit les obsessions lovecraftiennes habituelles (Cf. "La couleur tombée du ciel") qui font notre bonheur de lecteur depuis l'adolescence... Les scènes inoubliables de "l'horreur" évolutive avalant et intégrant les êtres humains successivement "vampirisés" qui nous avaient terrifié dans "The Thing" (ce remuant remake de "La Chose d'un Autre Monde" de Hawks, réalisé par John CARPENTER en 1982) se sont immanquablement superposées à notre lecture des dernières pages grouillantes de cette nouvelle de H-P. L., se terminant harmonieusement par un chant d'oiseaux dans des branches noueuses d'un arbre, au sein du jardin de la Maison maudite désempoisonnée à l'acide sulfurique... :-)



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Edité en 1997 pour fêter le centenaire du "Dracula" de Bram Stoker, ce recueil présente des nouvelles "classiques" dans la littérature vampirique : de Goethe à Jean Ray en passant par Théophile Gautier et Lovecraft.
Hui nouvelles pour ceux et celles qui voudraient découvir les origines de ce que l'on appelle aujourd'hui la bit lit.
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