Voilà, c'est fini, j'ai tourné la dernière page des
carnets de la drôle de guerre.
Comme souvent je suis partagé entre ce curieux mélange de soulagement et d'abandon après une telle lecture.
C'est pas toujours évident, mais pour un maniaque comme moi, c'est parfait, j'en ai pour des semaines de front ridé et de carnet à spirales.
Je ne savais pas que
Sartre avait été mobilisé à la veille de la deuxième guerre mondiale dans l'Est de la France comme soldat chargé des sondages météorologiques (pour vous situer un peu le contexte).
Les carnets composent le tableau de bord d'un stoïque qui partage son quotidien de soldat qui s'ennuie au milieux de ses acolytes en attendant que la guerre éclate pour de bon. Sauf que
Jean-Paul, il ne s'ennuie pas, il travaille comme un fou.
J'adore ce genre de littérature au ton très libre, même si souvent ça semble incohérent. Si
Sartre tour à tour nous parle de ses considérations géopolitiques sur l'origine du conflit imminent, de ses épisodes amoureux, de la rédaction laborieuse de son prochain roman ou plus simplement de tranches de vie militaire aux milieux d'autres mobilisés, c'est parce qu'il est authentique et libre dans la mesure du possible. Pour tout dire, l'essentiel de sa philosophie reposant sur la liberté, la prose est totalement débridée.
Il n'est pas tenu par une contrainte narrative, ni un soucis d'intelligibilité particulier. Ça n'est donc pas toujours facile à suivre et en même temps, ça fait du bien d'entendre parler de son petit déjeuner, ou de la grossièreté d'un camarade de chambrée après s'être cassé la tête à comprendre le concept de Néant et d'être-pour-autrui. Tout y passe dans ces carnets, ses états d'âme, sa santé, sa mauvaise foi, sa correspondance avec le Castor, son auto-analyse permanente et sans faille, ses nombreuses lectures, ses ambitions d'écrivain, sa réalité-humaine dans toute sa conscience, et puis bien sûr, le Néant.
Si les longs passages philosophiques peuvent en emmerder plus d'un, il faut passer outre, c'est un tel privilège de pouvoir côtoyer un tel intellectuel dans son intimité quand on n'est qu'un touriste de la littérature comme moi. Au pire, vous pouvez vous dispenser des passages les plus ardus, ça ne nuit en rien à la compréhension du reste. Mais il faut savoir que
Sartre et sa philosophie coïncident fortement, sans comprendre l'influence majeur d'Heidegger, ni savoir ce qu'est la phénoménologie, on finit par saisir quelque chose des concepts de responsabilité, d'authenticité et de liberté.
Personnellement je me suis évertué à tout lire (je vous dis que je suis un maniaque), et j'ai aimé ça (peut-être un peu maso aussi)
Maintenant il va falloir faire le deuil de cette lecture et rebondir sur autre chose.
L'être et le Néant, pourquoi pas..Ou plus simplement les chemins de la liberté. A moins de m'intéresser davantage à Simone, son alter-ego, "celle sans qui le monde serait moins parfait", celle qui arrive à être authentique sans effort. Alors, "la Force de l'âge", n'est-ce pas d'ailleurs dédié à
Sartre?