«La certitude que tout est écrit nous annule ou
fait de nous des
fantômes» (
Jorge Luis Borges,
Fictions, « La bibliothèque de Babel »)
Cette phrase en épigraphe à
F., le premier roman de l'écrivain
français
Luis Seabra, à paraître le 27 août 2014 aux éditions Rivages, est un dé
fi en même temps qu'un aveu d'humilité, pour un roman qui court en e
ffet le risque d'apparaître comme un pâle
fantôme dans l'ombre de ces aînés extraordinaires, «Le procès» de Ka
fka et «
Fictions» de
Borges.
Prolongeant ces idées chères à certains hommes politiques de détecter la délinquance dès le plus jeune âge et de
façon préventive, et de multiplier le nombre de prisons pour "dé
fendre" la société,
Luis Seabra imagine un monde totalitaire et e
ffrayant apparenté au nôtre, un pays recouvert de centres de réclusions, où tous les individus, en
fants ou adultes, potentiellement asociaux ou dangereux pour la société peuvent se retrouver en
fermés entre quatre murs sans savoir pourquoi, et soumis à des programmes barbares de «reconditionnement», comprenant notamment des séances de lecture contraintes, pour leur
faire accepter docilement leur destin de prisonnier.
«Il
fallait pour commencer se débarrasser de la notion de
faute et de ses corollaires, tout le lexique lié au châtiment. le criminel n'était pas plus
fauti
f de commettre un délit qu'un chien enragé de mordre un passant. Tous les experts s'accordaient désormais pour dire qu'il existait des prédispositions irréversibles à l'asocialité, à la marginalité et au crime, qui
faisaient de certains individus des dangers permanents pour l'ordre social. […] Plus d'un dixième de la population se retrouvait à présent en situation de "séparation e
ffective", euphémisme utilisé par l'administration qui avait banni le terme d'en
fermement.»
Linz, un avocat, est l'un de ces détenus, ignorant les causes de son en
fermement, ainsi que, semble-t-il, l'administration pénitentiaire.
Au
fur et à mesure qu'on avance dans ce récit en trois parties, autour des voix de trois narrateurs, et que les éléments de l'histoire se dévoilent au lecteur dont la vision devient panoptique, les chausse-trappes et passages souterrains se multiplient à l'intérieur du récit, et tous les personnages porteurs d'un espoir initial s'avèrent
finalement non
fiables ou manipulateurs, révélant leurs masques grimaçants et leur double ou triple
fond.
F. donne envie de suivre le parcours à venir d'un écrivain apparemment
fasciné par
Foucault. Mais à ce roman bref, d'une centaine de pages, écrit de manière froide, quasiment clinique, construisant dans les pas de
Borges une histoire-labyrinthe aux multiples angles morts, il manque la limpidité du récit, si magique chez le grand maître argentin, pour réussir totalement cette alchimie complexe du clair et de l'obscur.