La thèse de l'article publié en 1959 par
Harold Searles peut se résumer en une phrase :
« L'instauration de toute interaction interpersonnelle qui tend à favoriser un conflit affectif chez l'autre - qui tend à faire agir les unes contre les autres différentes aires de sa personnalité –tend à le rendre fou (c'est à dire schizophrène). »
En s'appuyant sur les travaux de
Bateson,
Harold Searles souligne l'importance des injonctions de nature contradictoire (le double bind) dans l'étiologie de la schizophrénie.
Paul-Claude Racamier définit ainsi le double bind : « le paradoxe se définit comme une formation psychique liant indissociablement entre elles et renvoyant incessamment l'une à l'autre deux propositions ou impositions qui sont inconciliables et cependant non opposables ». Ces injonctions contradictoires peuvent se pratiquer à différents niveaux :
- une demande d'intervention thérapeutique du parent à l'enfant avec rejet des efforts déployés pour aider.
- la technique de la stimulation-frustration.
- la dénégation parentale face aux réalités sensibles.
Harold Searles n'accuse personne et ne cherche pas à culpabiliser l'entourage du schizophrène. Dans sa critique psychanalytique du noyau familial,
David Cooper écrira lui aussi que le schizophrène est l'individu, peut-être le plus sain, qui s'est sacrifié pour préserver les dernières parcelles de salubrité mentale de sa famille.
Harold Searles dresse alors une liste des motifs sous-jacents à
l'effort pour rendre l'autre fou :
- équivalent psychologique du meurtre.
- désir d'extérioriser la folie que l'on sent menaçante en soi.
- désir de voir cesser une situation conflictuelle intolérable et incertaine.
- besoin d'extérioriser des besoins sur le mode psychotique.
- désir de trouver une âme soeur pour adoucir la solitude insupportable de celui qui se sent menacé par la folie.
- désir d'encourager l'autre dans le sens d'une intimité plus saine et d'une meilleure intégration.
- désir d'individuation de l'enfant passant par l'obligation de rendre le parent fou.
- désir de retrouver ou de perpétuer les gratifications inhérentes au mode de relation symbiotiques malgré l'angoisse et la frustration d'une relation psychotique.
Dans la dernière partie de son analyse,
Harold Searles évoque les difficultés du travail du psychothérapeute lorsqu'il travaille avec un patient réagissant sur le mode de la relation psychotique. Il faut non seulement résister à l'effort que fait le patient pour rendre le thérapeute fou, mais il faut encore plus résister à ses propres manoeuvres, conscientes ou non, pour conforter le patient dans sa situation psychotique. Les interprétations prématurées avancées par certains psychothérapeutes maladroits peuvent avoir des conséquences désastreuses pour l'équilibre psychologiquement d'un individu sur la sellette.
La dernière raison invoquée dans les motifs expliquant
l'effort pour rendre l'autre fou justifie selon lui la longue durée du traitement complet des schizophrènes :
« J'ai depuis longtemps constaté […] que nous sommes particulièrement enclins à développer une attitude de désespoir au cours de notre travail avec un patient, comme moyen de nous accrocher inconsciemment aux gratifications déniées, mais, en fait, profondément valorisées, que nous tirons d'un mode symbiotique de relation patient-thérapeute. […] L'une des raisons pour lesquelles, selon moi, la schizophrénie est si difficile à résoudre est que le thérapeute rencontre tant de résistance interne à aider le patient à sortir de la relation symbiotique patient-parent reconstituée dans le transfert. »
La reconnaissance de l'existence d'une telle phase doit permettre au thérapeute de la dépasser pour procurer au patient ce que son parent n'a pas réussi à lui offrir.
Harold Searles recommande enfin : « [L'analyste] doit, pour mieux aider ses patients, être prêt à affronter son propre conflit entre d'une part, son désir d'aider le patient à devenir mieux intégré (c'est-à-dire, plus mature et plus sain), et, d'autre part, son désir de se cramponner à lui, ou même de le détruire, en favorisant la perpétuation ou l'aggravation de la maladie, l'état de mauvaise intégration ». Avec cette analyse,
Harold Searles donne une base solide aux réflexions qui formeront plus tard le noyau dur de l'antipsychiatrie.
Ne reste plus qu'à transposer cette analyse aux injonctions contradictoires qui peuplent nos parcours de consommateurs/producteurs pour se rendre compte que la folie nous guette en ricanant derrière ses grands étendards bourgeois…
« En lisant le livre fort intéressant que Meerloo a récemment écrit sur la question, le Viol de l'esprit, j'ai souvent été frappé par les nombreuses analogies entre les techniques de lavage de cerveau qu'il décrit - conscientes et délibérées – et les techniques inconscientes (ou largement inconscientes) que l'on découvre à l'oeuvre dans l'expérience présente et passée des schizophrènes, techniques qui visent à entraver le développement du moi et à saper son fonctionnement.
[…] D'après Meerloo, le lavage de cerveau et les techniques avoisinantes se rencontrent sous la forme a) d'expériences délibérées au service d'idéologies politiques totalitaires; et b) courants culturels profonds agissant dans notre société actuelle, et aussi bien dans les pays démocratiques. Ce sont les mêmes techniques que je décris, mais se rapportant ici à une troisième aire : la vie des schizophrène.»
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