« C'est à ce moment du temps d'une vie où ma mère ne lira pas ce livre que j'entreprends une sorte d'exploration du pays natal de ma mère. »
Peut-être le plus touchant des livres de
Leïla Sebbar, du moins parmi tous ceux que j'ai lu et ils sont nombreux.
Leïla Sebbar, on le sait, est fille des « amours rebelles » (
Behja Traversac) d'un instituteur algérien et d'une mère française « de France » comme on disait à cette époque – et c'était tout dire, tant, dans cette Algérie coloniale de notre époque à toutes deux, la France se paraît de couleurs verdoyantes et magiques, l'inaccessible « Madame Lafrance » comme disait certains, celle de nos souvent improbables ancêtres gaulois. La petite Leïla et ses frère et soeurs passaient, eux, leurs vacances en Dordogne, petits enfants un rien exotiques dans la France profonde.
Jusqu'ici, Sebbar, partagée entre deux cultures, avait été fascinée par le pays de son père – ce père dont elle ne parlait pourtant pas la langue – par cette terre qu'elle évoquait sans cesse, y compris dans ses collectifs, y compris quand elle parlait d'autre chose, comme dans ce livre sur le métro qui est en fait un livre sur les émigrés, dans les sous-sols de la ville.
Leïla Sebbar avait été captée par le pays solaire de son père.
Aussi ce livre est-il émouvant, bouleversant, parce qu'il est hommage posthume, qu'il est une de ces lettres d'amour que l'on ne peut écrire qu'après la disparition de leur destinataire. Une lettre vibrante de non-dits, Sebbar a toujours été très pudique et on sent qu'elle se tient au bord des choses : quelques portraits de famille, les écoles de France, les vignes,
Jeanne d'Arc, les vêtements traditionnels des provinces de France – et cette Dordogne aussi verdoyante en été que les terres d'Aflou devaient être sèches, poétiquement évoquée dans les aquarelles de
Sébastien Pignon. Un joyeux désordre d'images profondément ancrées dans notre inconscient collectif d'enfant des écoles de la République.
Puis le livre bifurque : « Paris, la première fois », ce Paris bouillonnant des années soixante/soixante-dix, « les années MLF », la jeunesse des femmes de ma génération, et Dieu qu'elles étaient belles, ces filles qui disaient leur colère dans les rues de Paris !
Vous n'en saurez pas plus,
Leïla Sebbar ne vous racontera pas sa vie. Car, plutôt que de parler d'elle, et à force de nous parler de nous, Leïla a fait un livre collectif, donnant la parole, dans la première partie, à tous ses compagnons et compagnes « des deux rives » pour qu'ils racontent leur France, dans la seconde, à ses amies du MLF. Impossible de les citer tous et toutes, aussi n'en citerai-je aucun, mais c'est l'un des charmes du livre d'avoir fait de l'évocation du pays de la mère un recueil a mille (enfin presque !) voix, comme un choeur de murmures qui fait vibrer le passé.
Livre aux multiples facettes, bel objet réalisé par les éditions Bleu Autour, bourré d'images, photos et dessins, fac-similés de pages d'écriture. Un livre qu'on ne referme pas.