Ajoutées d'un pinceau nerveux, des touches de vermillon pur ou éclairci cernent les contours des orteils, les talons abricot, avivent la peau des coudes. Soit que l'esprit du peintre ait été surtout accaparé par le corps, soit qu'il ait soudain abandonné sa toile, il a négligé de recouvrir le visage qui apparaît comme une masse sanguinolente où se dessine la structure osseuse, les maxillaires, et où brillent les dents découvertes. Invisible mais présent, on devine le demi-cercle formé par les techniciens (opérateurs, maquilleurs, machinistes, secrétaires) groupés un peu en arrière de l'appareil de prises de vues, immobiles dans l'ombre, leurs regards convergeant vers le corps de l'actrice.
Le métal des roues et du châssis est rouillé. Le grincement métallique augmente de volume, presque insupportable, tandis que le landau apparaît tout entier, empli d'herbe fraîchement coupée dont les brins débordants pendent hors du berceau comme une chevelure verte. Une faux est posée en diagonale sur la litière d'herbe, sa longue lame recourbée et luisante dirigée vers le bas entre les roues avant.
Tandis qu'elle s'éloigne, on peut voir ses pis roses balloter lourdement, comme des cloches, apparaissant alternativement de part et d'autre des jarrets cagneux couverts d'une couche d'excréments marron foncé, presque noire, et craquelée.
Sur le lit la femme a repris la même position. Le visage toujours tourné vers le plafond elle dit Espèce de salaud. Le ténorino fronce les sourcils d'un air surpris et navré, Il dit Mais voyons je ne peux rien ici je ne suis pas dans ma circonscription vous le s... Sans tourner la tête la femme dit Qu'est-ce que vous me chantez avec votre circonscription vous me prenez pour une idiote vous faites la pluie et le beau temps à la Commission ne me racontez pas que vous ne pouvez rien faire. Je...
A contre-jour, la mer apparaît d'un vert laiteux et se soulève à peine au passage des vagues. Sa surface ressemble à une toile gaufrée de rides molles où jouent des reflets roses, scintillant sous le soleil de mille étoiles aveuglantes sur lesquelles se détachent en sombre les corps des baigneurs debout dans l'écume des vagues qui se brisent, des pédalos, de légères embarcations montant et descendant au gré de la houle, les plongeoirs, les canots automobiles et les skieurs dont les pieds traînent des aigrettes d'argent.
Avec Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti & Martin Rueff
Table ronde animée par Alastair Duncan
Projection du film d'Alain Fleischer
Claude Simon, prix Nobel de Littérature 1985, est plus que jamais présent dans la littérature d'aujourd'hui. Ses thèmes – la sensation, la nature, la mémoire, l'Histoire… – et sa manière profondément originale d'écrire « à base de vécu » rencontrent les préoccupations de nombreux écrivains contemporains.
L'Association des lecteurs de Claude Simon, en partenariat avec la Maison de la Poésie, fête ses vingt ans d'existence en invitant quatre d'entre eux, Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti et Martin Rueff, à échanger autour de cette grande oeuvre. La table ronde sera suivie de la projection du film d'Alain Fleischer Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde.
« Je ne connais pour ma part d'autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c'est à dire mot après mot, par le cheminement même de l'écriture. »
Claude Simon, Orion aveugle
À lire – L'oeuvre de Claude Simon est publiée aux éditions de Minuit et dans la collection « La Pléiade », Gallimard. Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde (colloques du centenaire), sous la direction de Dominique Viart, Presses Universitaires du Septentrion, 2024.
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