Japon, Tôkyô, 1909.
Ce livre est une immersion au coeur de la vie d'un couple singulier et de la culture japonaise du siècle passé. Les socques en bois, les kimonos, le brasero pour se chauffer, les cloisons de papier à entretenir. L'histoire qui est relatée commence une semaine après l'assassinat dramatique du Roi Itô.
Sôsuke et Oyone, la trentaine, forment un couple neurasthénique, qui a une forte tendance à la résignation.
Ils savent prendre leur temps ce qui est positif en soi, mais quand cela est pour repousser la discussion, attendre que la situation se clarifie d'elle-même… attendre, toujours, se résigner puis oublier et s'en remettre au temps qui passe, c'est s'en remettre aux autres, ne plus avoir de prise, ni d'attaches. Ils se retrouvent le soir devant le brasero ou s'assoient ensemble sous la clarté de la lune dans leur véranda, et discutent du bout des lèvres… discuter qui est un bien grand mot.
Il faudrait récupérer l'héritage de Sôsuké ! À la mort de son père suite à la vente de la maison familiale par son oncle indigne de sa confiance, il aurait pu permettre au couple d'avoir une vie plus douce et à Kokoru son jeune frère, dont il est le seul parent de lui permettre de lui payer des études que lui-même a été contraint d'abandonner… Cet argent est très important pour son petit frère, cela devrait motiver Sôsuke : "Kokoru répartit, bouleversé de voir l'avenir brillant qu'il s'était imaginé pour lui-même déjà en train de s'écrouler par la faute de sa propre famille. "
Pourquoi tant de nonchalance ? Pourquoi cette vie si sobre ? Pourquoi ce manque de courage ? Il y a tant de silence autour de ce couple.
Il y a l'attente des dimanches sacrés. Temps de liberté, et de contemplation, où Sosuke peut renouer avec son corps et ses sensations, le vent, les couleurs et les odeurs, déjà tétanisé le dimanche en fin d'après-midi car lundi arrive avec ses six jours à trimer dur.
Oyone est une épouse très compréhensive, très attachée à son mari, dévouée au bien-être de son dernier, il y a la scène où Sosuké lui demande comment s'ecrit le caractère kin de kinai, alors nullement étonnée elle entrouvre les cloisons et passe à travers l'ouverture une longue règle du bout de laquelle elle trace le caractère sur le sol de la véranda …elle prend aussi le temps de coudre et de préparer des repas avec leur servante Kiyo et de s'absorber dans la contemplation du ciel limpide.
Ils se complaisent dans cette petite vie, mais cela cache quelque chose, le lecteur ressent une lourdeur quelque part, c'est comme si le couple payait des fautes commises, en se faisant si petit, tout en goûtant au sentiment du caractère éphémère de la vie et du temps qui laisse sa trace en s'écoulant, c'est la fatalité.
Natsume Soseki déroule son polar avec beaucoup de subtilité, une main de maître. C'est un roman où tous les événements s'enchaînent à merveille et où le lecteur vogue de révélation douce en révélation sobre sur la vie passée des protagonistes.
Quelle belle traduction. Quel plaisir ce livre !!!
Ce livre nous renvoie également à nous même et notre rapport au temps, la vie éphémère et le temps qui laisse des marques visibles et invisibles et à la saveur que nous cherchons, ou réussissons à lui donner.
J'ai adoré et j'ai hâte de lire un nouveau Soseki !!! Même si je ne sais pas ce que se reprochent Sôsuke et Oyone envers Yasui… j'ai une éventuelle piste.
Puis aujourd'hui, j'ai fait des recherches et je connais le fin mot de l'histoire.
J'ai adoré, un coup de coeur pour ce livre et pour cet auteur.
Extrait :
"A la pensée que ce beau dimanche tranquille et ensoleillé était déjà terminé, une vague tristesse l'étreignit, un sentiment de la précarité des choses. Puis, en songeant que dès le lendemain il lui faudrait reprendre comme d'habitude le rythme infernal du travail, il se prit à regretter cette agréable demi-journée, et la perspective des six jours et demi d'activités sans âme qui allaient suivre lui parut encore plus insupportable que d'ordinaire. Tandis qu'il marchait, seules flottaient devant ses yeux les images d'une vaste pièce mal exposée au soleil, aux fenêtres chiches, les visages de ses collègues assis à côté de lui, et l'expression de son chef de bureau quand il lui disait: « Dites voir, monsieur Nonaka... »