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EAN : 9782958768201
258 pages
Inframonde (15/05/2023)
4.33/5   12 notes
Résumé :
Pourquoi les futurs de la science-fiction sont-ils souvent coincés dans les années soixante-dix ? Comment dépasser une vision monolithique, masculine, blanche, valide et hétérosexuelle de cet imaginaire ? Et comment donner la parole à d’autres histoires, des récits courts, collectifs, alternatifs, dans un milieu aussi codifié ?

Ce livre n’est pas une nouvelle histoire de la science-fiction. C’est une proposition : celle de faire un pas de côté pour ob... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Incisif, provocateur et salutaire, un essai qui dresse un cinglant constat d'échec et de repli sur soi d'une certaine science-fiction française, et qui propose de robustes pistes pour en sortir – en s'ouvrant à une authentique pluralité. Une lecture indispensable pour les amatrices et amateurs de littérature et de politique, entre autres.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/09/15/note-de-lecture-le-futur-au-pluriel-reparer-la-science-fiction-ketty-steward/

Bien qu'elle s'appuie lorsque nécessaire, dans son introduction, sur des travaux comme ceux d'Émilie Notéris (« La fiction réparatrice », 2017) ou d'Alexandre GefenRéparer le monde », 2017), ce n'est pas de fictions pour réparer mais bien de fictions à réparer – et plus spécifiquement de fabrique française de science-fiction à aérer et revigorer – que se propose de nous entretenir Ketty Steward dans ce tonique essai, publié en mai 2023 aux jeunes éditions de l'Inframonde.

Autrice reconnue de science-fiction (« Connexions interrompues » en 2011 ou « Saletés d'hormones et autres complications » en 2023, par exemple), de ses frontières subtiles (« Confessions d'une séancière » en 2018 ou « L'Évangile selon Myriam » en 2021, par exemple), mais aussi de poésie autobiographique (« Deux saisons en enfer », 2020) et d'autobiographie poétique (« Noir sur blanc », 2012), personnalité particulièrement appréciée sur ce blog, puise ici dans ses lectures de fiction et de non-fiction, bien entendu, mais aussi sur de nombreuses discussions et expériences de toute première main, en tant que femme et noire ayant eu à évoluer au sein d'un milieu littéraire se piquant d'ouverture mais ne la pratiquant pas toujours, loin de là.

Elle dresse ainsi d'abord un double triste constat, celui de la sclérose imaginative d'un genre qui devrait au contraire porter toujours toute son imagination dehors et celui du repli sur un entre-soi bien confortable.

Elle propose ensuite, fort heureusement – en appelant de ses voeux une construction collective avec les collègues, les lectrices et les lecteurs – une robuste esquisse de pistes de solutions, du côté de ce qui existe ou a existé ailleurs (en termes de pluralité imaginative, bien entendu) comme de ce qui germe ou grouille vivement, salutairement, ici même, sous nos yeux ou presque, pour peu qu'ils soient ouverts et un peu encourageants.

Les spécialistes de stratégie d'entreprise (dont nous savons qu'ils et elles sont nombreuses à fréquenter ce blog) noteront au passage et avec une certaine émotion rétrospective que, en guise de métaphore centrale devant servir de fil rouge à son propos décapant, Ketty Steward a choisi la célèbre fable des aveugles et de l'éléphant, comme l'avait pratiqué Henry Mintzberg dans son ouvrage essentiel au décapage de bien des scléroses corporate en matière de pensée (et d'absence de pensée) du long terme (« Safari en pays stratégie », 2005).

Résumant ainsi le fatal paradoxe forgé par l'habitude qui empêche la science-fiction française d'offrir à toutes et à tous le véritable et précieux rayonnement dont elle serait capable, on y voit divers aveugles (souvent mâles blancs de – largement – plus de cinquante ans, mais pas uniquement, loin s'en faut) prétendre savoir ce qu'est et ce que doit être ce genre littéraire / éléphant – éminemment politique, on le sait -, en prêchant chacun pour sa paroisse partielle et parcellaire (mais dominée de facto par, selon le mot savoureux de l'autrice, « la littérature du genou », toute petite partie érigée en tout par des gardiens auto-proclamés de ce temple-là).

Pour indiquer des chemins vers les pluralités des mondes possibles, Ketty Steward parcourt donc logiquement les littératures issues des dominées et dominés, en n'y limitant pas évidemment leur essence : femmes face à un monde d'hommes avec leurs boys' clubs si caractéristiques, et parfois leurs mains baladeuses (en citant notamment, pour sa valeur emblématique, l'inénarrable Gérard Klein et sa préface à « La captive du temps perdu » de Vernor Vinge, expliquant pourquoi les femmes ne comprennent pas vraiment la SF… qui plus est en 2000, et non en 1950 – Catherine Dufour, dans sa lumineuse préface à ce livre-ci, soulignera ce trait avec son humour caustique bien connu), où l'on retrouve, si longtemps isolée à son niveau, Ursula K. le Guin (on se souviendra d'ailleurs du magnifique article que lui consacrait Ketty Steward dans la récente anthologie critique dirigée par David Meulemans, ici), fluidités de genre (avec par exemple un bel exergue issu des « Tentacules » de Rita Indiana), afrodescendantes et racisées de toutes origines, avec des mentions particulières pour Octavia Butler et Nalo Hopkinson (dont on attend toujours qu'un éditeur fasse reprendre la traduction si massacrée en français du magnifique « La ronde des esprits » pour pouvoir le rééditer), et écarts à la norme, d'une façon générale (l'échange avec Li-Cam qui filtre de ces pages – et que l'on peut lire intégralement en annexe – est particulièrement incisif, à peine moins que le discours de Léo Henry en 2021 qui figure également, redoutable, en annexe).

Après avoir parcouru de prometteurs avant-postes, puis recensé les principales impasses dans lesquelles se complaisent les récits dominants au sein du genre science-fictif (même lorsqu'ils tentent d'échapper à l'emprise du « folklore fossilisé » – selon le mot de l'autrice – qui habite le genre, corpus figé que dénonçait d'ailleurs il y a déjà quelques années Thomas Disch), Ketty Steward évoque avec une certaine fougue, en repoussant les tentations de la pensée positive incantatoire, en nourrissant sa propre utopie, ouverte et progressive, des travaux de Fredric Jameson et d'Ariel Kyrou (et en résonance manifeste avec ceux d'Alice Carabédian), la pluralité des formes littéraires qui pourrait – qui devrait – accompagner cette volonté d'aération (la nouvelle fait figure de résistante valeureuse dans la science-fiction, comparée au sort qu'elle connaît en littérature dite « générale », mais que dire en effet du théâtre, et de la poésie surtout – qui valut à la SF son premier prix Nobel, celui d'Harry Martinson et de son « Aniara », avant celui de Doris Lessing et de son « Canopus dans Argo : Archives » -, poésie dont la langue magique pourrait bien irriguer davantage ces spéculations nécessaires ?).

Chloé Delaume, dans un domaine voisin (on songera en souriant à son superbe « La nuit je suis Buffy Summers »), ouvrait son « Mes bien chères soeurs » de 2019 par les mots : « Désolée, ça sent le fauve, il est temps d'aérer ». Avec une belle complicité de sorcière, qui ne saurait surprendre de la part de celle qui a su composer un recueil autour des tours et détours de la bonne et de la mauvaise quimboiseuse, Ketty Steward, nous incite à l'aider de toutes nos forces de lectrices et de lecteurs, à procéder de même en science-fiction et en imaginaire, avec le mélange salutaire d'humilité et d'assurance d'une psychologue clinicienne.

Touche personnelle que je ne pouvais occulter, comme le rappelle avec une immense gentillesse Ketty Steward dans ses remerciements : je suis très fier et très heureux d'avoir été en partie à l'origine de cet ouvrage, fût-ce par le détour malencontreux d'un malentendu afrofuturiste, justement 😊. Et il vous faut bien entendu absolument profiter du compte-rendu de la rencontre chez Charybde autour de ce « le Futur au pluriel : réparer la science-fiction », le 5 juillet dernier, ici (très bientôt).

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Cet essai m'a été conseillé sur un discord d'écrivains que je fréquente et tout de suite j'ai été attiré par son sujet. Comme beaucoup je consomme de la fiction littéraire, principalement de la science-fiction et de la fantasy (en somme de la SFFF), et comme beaucoup cela reste sur les mêmes auteurs, les mêmes dinosaures qui sont mis sur un piédestal depuis des décennies, parfois grandement à raison, parfois un peu moins (que ce soit pour la relative qualité de leurs écrits ou pour des comportements personnels douteux pour le mieux et criminels pour le pire).
A vrai dire, je cherche de plus en plus à étendre mes horizons, à lire des histoires provenant de personnes à qui l'on silence la voix, que ce soit les éditeurs, mais aussi les lecteurs (dans lequel je m'inclue). Pour ne serait-ce qu'espérer changer les choses, changer le status-quo dans lequel le monde, et plus précisément ici le monde de l'édition de littérature de l'imaginaire française, il faut aussi savoir faire son auto-critique et admettre que l'on pourrait faire mieux, que l'on devrait faire mieux.

A la lecture de cet essai, j'y ai trouvé ce que je cherchais, la parole d'une autrice minorisée, de son vécu au sein de l'industrie, de ses observations après presque vingt ans de discussion, de discrimination, de doute et de tentatives pour faire changer les choses.
Ketty Stewart nous parle donc des auteurices qui sont au mieux édités, mais peu promus et donc invisibilisés, ou bien édités pour les mauvaises raisons, pour surfer sur une vague d'exotisme culturelle qui ne cherche en aucun cas à les mettre en avant pour les bonnes raisons, et au pire sur ce spectre, l'entre soi d'une gente masculine cis qui réduit au silence tous ceux qui ne correspondent pas à leur norme, cette norme qui n'est jamais dite.

Je m'attendais à cette partie, néanmoins, ne parler que de cela m'aurait peut-être laissé sur ma faim, mais l'essai ne s'arrête pas là. S'attaquer aux personnes concernées, et malheureusement invisibilisés, Stewart n'oublie pas également de parler de la forme que la science-fiction pourrait prendre dans le futur. Pourquoi se contenter d'un sacro-saint roman ? Pourquoi ne rechercher que cette forme d'expression en France ? Pourquoi ne pas s'inspirer de nos voisins anglo-saxons chez qui la nouvelle a un essor bien supérieure qu'ici ? Pourquoi se contenter de l'éternelle recueil de nouvelles lié par une thématique ? Pourquoi ne pas envisager les écritures à plusieurs mains ?
Cette partie permet de découvrir des initiatives qui cherchent à repousser les carcans de la science-fiction telle qu'on la connait.

Peut-être le seul défaut, si on peut l'appeler ainsi, de cet essai est que ses lecteurs et lectrices auront déjà l'envie de repousser leur monde et une haine du conservatisme qui continue de s'installer et de cadenasser notre société et le monde de l'édition française. J'ai du mal à imaginer un auteur ou un éditeur en position dominante se remettre en question ou même se diriger vers ce type d'essai. Bien entendu, cet état de fait n'est en rien à mettre une critique de l'oeuvre ou de son autrice. On ne change pas le monde seul, mais grâce à des personnes telles que Ketty Stewart qui ne cesse de se battre, nous serons toujours plus proches du basculement que si rien n'était fait !
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500ème critique ici et il fallait bien que ce soit un livre spécial !
Première parution des éditions de l'Inframonde, ce Futur au pluriel de Ketty Steward est une plongée au coeur du fandom SF francophone.

Celle qui use avec une savoureuse ironie de son titre de "nouvelle voix de la SF depuis 2003" rassemble dans ce livre ses réflexions - issues de maintes lectures et échanges - et ses souvenirs - parfois des plus désagréables.

Avant de parler du fond, un mot sur la forme.
Les nombreuses notes sont présentées... dans la marge ! Je n'avais jamais vu ça auparavant et je trouve l'idée fort plaisante.
Autre point positif, la riche bibliographie (quinze pages), des annexes et des sélections de livres élaborées collectivement.

Le collectif, parlons-en.
C'est l'un des points saillants de l'ouvrage. L'importance du collectif. Que celui-ci soit plus inclusif, ou comme le dit Ketty Steward, que les projecteurs soient réorientés.
Et la fin du mythe de l'écrivain solitaire, béni par la grâce de Calliope.

L'autrice commence par dresser un portrait du milieu SF francophone. Un monde d'hommes, hétéronormé et -centré, blanc, valide et ethnocentré.
Femme noire, Ketty Steward raconte son agacement - à tout le moins - d'être renvoyée à la portion exotique du milieu et à la spécialiste désignée, porte-étendard involontaire et fascinante de l'Afrofuturisme.

Viennent ensuite des chapitres consacrés, non-plus directement aux personnes, mais aux récits qui peuplent la SF francophone.
De jolis tacles à l'effondrement ou à la croyance en la dimension divinatoire de la SF.
Le rapport à un "folklore fossilisé" ou le transhumanisme sont aussi au programme.

La dernière partie vient tresser des futurs possibles pour la SF francophone. Des futurs que Ketty Steward appellent de ses voeux... et attend de pied ferme.
Plus de pluralité, un équilibre à trouver entre les sacrosaintes et -maudites utopie et dystopie, des expérimentations formelles en tout genre.
Des plaidoyers en faveur des formes courtes et de la poésie viennent appuyer et étayer l'appel à la "pluralité des formes".

Le style de Ketty Steward et elle ne se prive pas de lâcher quelques bons mots, comme dans le titre de certains chapitres ("Demain les chars", "Le héros pointé", "La muse radine", etc).

Les sujets abordés sont nombreux et ouvrent autant de pistes de réflexions.
Un essai qui marquera son temps.
Un indispensable pour qui s'intéresse à la SF.
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La Science-fiction, un univers littéraire riche, qui pense les possibles, des avenirs plus ou moins radieux, qui ne se donne aucune limite... Vraiment ? Hé bien, non, car comme tout milieu, elle est le reflet de celleux qui la créent. Or, constat de Ketty Steward, pendant longtemps, le profil type de l'auteurice de SF était un homme, blanc, hétéro, qui nous promettait un monde guerrier, bâti sur la domination, heureusement protégé par un bel élu, trop fort, collectionnant les conquêtes féminines dont les pensées étaient moins attrayantes que leurs désirs insatiables fantasmés. Bref, un monde finalement assez restreint en apparence, mais qui a surtout longtemps invisibilisé d'autres voix, riches d'expériences diverses qu'enfin, depuis quelques années, on entend davantage...

J'ai découvert cet essai au détour d'un podcast de @cestplusquedelasf et je me suis immédiatement reconnue dans les propos de Ketty Steward. La découverte de la SF fut une claque il y a 25 ans, mais qui m'a rapidement laissée sur ma faim, notamment face au manque d'imagination quant aux personnages présentés. Je ne savais pas alors que le monde de la SF ne se cantonnait pas à cet univers de combats permanents, si peu soucieux de l'autre, qui reproduisait à travers l'espace et le temps ce que L Histoire contait déjà, sans oublier les litanies des "Moi Tarzan, toi Jane!". Que ces voix différentes existaient, mais qu'on ne les entendait pas, ou à peine. Heureusement, il suffit parfois de quelques rencontres livresques sur des sujets qui interpellent, sur cette pluralité de points de vue que l'autrice évoque dans son ouvrage, pour que soudain l'envie de "penser demain" revienne!
Merci donc, Ketty Steward, pour votre démarche et cet essai passionnant, car oui, la SF est plurielle, elle est le miroir de nos sociétés. Il est donc, en effet, temps que les auteurices et lecteurice qui se reconnaissent ou s'intéressent à la marge de la marge, s'y sentent aussi bien que les autres.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
ci s’achève cette tentative de portrait de la SF francophone en vieux monsieur dépressif qui radote et ne dispose que d’une version de son histoire, mais souhaite ardemment aller mieux.
Comme pour mes patients, je prétends qu’on peut l’aider en lui donnant accès à d’autres pans de son histoire encore à écrire, mais aussi, à des épisodes de sa vie laissés de côté, pour lui permettre d’essayer d’autres façons de se raconter.
Tout au long de l’écriture de cet essai, je l’ai imaginé comme une lettre, le début de ce genre de conversations qu’on peut avoir avec des gens qu’on aime.
À ma surprise, il a d’abord été une conversation avec moi-même.
J’ai exploré dans ces pages ce que proposait le fandom et je l’ai comparé avec ce qu’il pourrait être dans un avenir à portée de rêves.
J’ai fait un voyage difficile dans des souvenirs jamais assemblés tous au même endroit et quelquefois minimisés pour devenir plus supportables.
J’ai regardé en face des faits, des chiffres et tenté de saisir, à défaut de toujours comprendre, ce qu’ils disaient de ce monde-là.
J’ai osé exprimer des désirs pour un milieu SF pluriel et accueillant, inventif et vivant.
Alors, je sais qu’à compter de maintenant, pour ce qui me concerne, plus rien ne saurait être comme avant.
S’il ne me fallait garder qu’un vœu parmi tous ceux que j’ai pu formuler, ce serait celui de voir évoluer la démographie de notre milieu, ou plutôt, de voir se déplacer les projecteurs, toujours pointés sur les mêmes profils.
Avec Jeannette Ng, je rêve que nous regardions, « les yeux grands ouverts », ce qu’a été l’histoire de notre genre et que nous osions considérer que ce qu’il est aujourd’hui n’est pas une fatalité.
L’autrice née à Hong Kong dit, à propos du prix Campbell qui vient de lui être décerné : « John Campbell dont ce prix porte le nom était un fasciste. Par son contrôle sur Astounding Science Fiction, il est responsable de la mise en place d’une tonalité de la science-fiction qui hante encore le genre jusqu’à aujourd’hui : Stérile. Mâle. Blanche. Glorifiant les ambitions des impérialistes et colonisateurs, occupants et industriels. Oui, je suis au courant qu’il existe des exceptions. »
Ma place et ma posture seront donc, nécessairement, moins tâtonnantes, moins hésitantes et j’aurai la satisfaction d’avoir tenté de mettre à plat nombre de mes questionnements qui sont, je le sais, ceux de bien d’autres personnes fréquentant les festivals et les réseaux de la SF.
J’aurais voulu pouvoir développer davantage certaines idées, certains aspects de notre fonctionnement, mais d’autres auteurices, lecteurices, théoriciennes du genre, en ont les moyens, les outils et l’expertise, et j’espère qu’iels voudront bien nous en faire profiter.
Ce texte qui interroge des choix passés et imagine pouvoir influencer, ne serait-ce qu’un peu, les discussions à venir dans le petit monde de la littérature de science-fiction est écrit depuis un point de vue subjectif.
Pour autant, ce n’est pas l’œuvre d’une observatrice isolée, dominant tout dans sa tour d’ivoire. C’est une synthèse de longues années d’échanges, de réflexions, d’actions et d’obstination à rester là, dans ce petit fragment mal fait, d’un monde qui ne tourne pas rond.
Je m’imaginais membre excentrée de la communauté des amateurices et auteurices de science-fiction, avec au moins un pied dehors. Mais il n’y a pas de dehors.
Je fais partie de ce monde-là, malgré lui, malgré tout.
Celleux à qui je m’adresse, quoi qu’il en soit, sont les miens.
Alors, à l’instar de Nalo Hopkinson, je peux dire : « Personne ne me forcera à renoncer à cette littérature que j’aime, faite par des écrivains hétérosexuels, blancs, occidentaux, hommes (et femmes), mais à un moment donné, je désirerais ardemment voir d’autres cultures, d’autres esthétiques, d’autres histoires d’autres réalités et corps représentés en force aussi. »
Sans la conviction que le milieu dit de l’imaginaire est capable de se regarder et de s’ouvrir, sans l’espoir de voir se réaliser ce que le fandom contient en germe, je n’aurais pas tenté de rassembler ici mes constats et mes réflexions.
Il ne m’appartient pas de décider de ce qui viendra ensuite.
J’ai fait un nœud, je tends la main et la ficelle à qui voudra, curieuse de découvrir quel motif me répondra.
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L’Afrofuturisme comme territoire réservé
« Bonjour, vous écrivez de l’afrofuturisme, je suppose ! » est devenu depuis quelques années la nouvelle façon de dire : « Je constate que vous êtes noire, je me dois de vous dire que je trouve ça surprenant. Dites-moi quelque chose d’exotique.
L’exposition coloniale avec ses monstres étranges n’est plus acceptable que sous cette forme.
De qui se permet-on de deviner les thèmes de travail avant même de leur avoir parlé ? Celles et ceux qui s’éloignent du neutre et de l’universel. Certains hommes savent quel genre de textes écrivent les femmes rien qu’à la couleur de leur rouge à lèvres. Moi, c’est ma peau. En plus du reste.
« Tous tes personnages sont noirs », m’a affirmé une consœur qui n’avait pas lu mon livre, mais l’avait conseillé, pour cette raison, à une dame « pour ses enfants racisés ».
« Il faudrait plus de diversité dans les personnages et les auteurs », m’avait annoncé une autre, avant même de me demander mon nom, ou ce que j’écrivais.
« J’écris ce que je veux », ai-je l’habitude de répondre, sommée régulièrement de me positionner là d’où l’on veut bien me laisser parler : l’afrofuturisme.
L’ennui, c’est que peu de ceux qui emploient le terme vont au-delà de la surface des choses. Qui s’intéresse à l’ancrage américain de ce courant culturel ? Qui se soucie de la variété des définitions actuelles et du besoin de certains auteurs du continent africain ou des États-Unis de se démarquer du terme ? Qui, une fois prononcé le mot, est prêt à admettre que les personnes noires sont capables de créer des œuvres susceptibles de toucher l’humanité tout entière ?
L’emploi de ce terme, en France, repose, il me semble, sur un malentendu entre, d’une part, les auteurices qui demandent acceptation et reconnaissance de leur existence, avec leurs particularités et, d’autre part, le monde éditorial qui s’empresse de leur proposer une catégorie distincte, non miscible avec le reste de la littérature de science-fiction.
Il ne s’agit donc pas de bien accueillir les auteurices noir•es, mais de les parquer dans un sous-genre bien délimité dont ils sont priés de ne pas déborder.
J’en veux pour preuve l’accueil réservé à mes travaux sur la science-fiction africaine et à mon recueil fantastique « Confessions d’une séancière ».
Enfin conforme à l’idée qu’on se faisait de moi, j’étais l’interlocutrice parfaite pour recueillir les récits de vacances exotiques des uns et des autres et répondre à leurs interrogations sur l’Afrique qu’on persiste à présenter comme un tout indifférencié.
Le reste de mon travail, la majorité de mes textes, en fait, n’existait pas.
On me présumait incapable de penser au-delà de ma supposée communauté d’apparence. J’ai donc pris le parti de refuser toute intervention ou entrevue sur le thème de l’afrofuturisme, expliquant, au grand regret de mes interlocutrices, que j’écrivais de la science-fiction.

Toucher l’universel en creusant en soi
Ne pas correspondre aux étiquettes ne fait pas, cependant, partie d’un projet délibéré. Je suppose qu’il aurait été plus simple de ressembler à un cliché. Mais qui peut s’en contenter ?
Il se trouve simplement que mes centres d’intérêt sont multiples, de même que mes compétences et mes façons de me définir.
Être artiste consiste, pour moi, à trouver la meilleure façon d’exprimer ce que l’on a à dire, la façon dont on voit le monde, dont on le rêve, pour soi, pour les autres.
À l’instar d’Octavia Butler qui, creusant son sillon, parviendra à créer des fictions puissantes impliquant différents habitants de la Terre et même des espèces extraterrestres, je pense qu’on peut atteindre l’humanité en l’autre en la creusant en soi.
Nalo Hopkinson, riche d’une culture littéraire légitime, ajoute parfois des motifs de contes créoles à ses écrits. Ses textes sont-ils pour autant illisibles aux personnes qui ignorent tout de la culture des Antilles anglophones ?
« […] Les gens ne relèvent pas toutes les références que je fais. J’essaie d’y prêter attention quand j’écris. Parfois, j’essaie de m’assurer que ça n’ait pas d’importance si le lecteur ne saisit pas toutes les références. »
Ursula K. Le Guin a, elle aussi, réfléchi à la difficulté d’atteindre le collectif et à la tentation de viser, dans son écriture, un « universel » jamais défini. Sa conclusion va dans le même sens :
« Il semble bien que le seul moyen de parvenir au véritable collectif, à l’image qui vit et qui a un sens pour chacun d’entre nous, soit de se servir de ce qui est véritablement personnel. Non pas l’impersonnel de la raison pure, ou l’impersonnel du « populaire », mais le personnel irréductible ; le moi. Pour atteindre les autres, l’artiste doit plonger en lui-même. »
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Des récits inopérants
Les « récits inopérants » sont, pour moi, ces récits qui mobilisent des éléments et motifs qui ne permettent pas d’ouvrir de nouvelles possibilités, même imaginaires, pour le futur.
Je m’intéresse au contenu de ces histoires, mais aussi, comme à chaque fois, aux circonstances de leur création, qu’il s’agisse des motivations des auteurices, des sujets traités ou des desseins de leurs commanditaires.
Ces récits types, en science-fiction, font usage de termes qui ne sont plus vraiment questionnés : vaisseaux spatiaux, vitesse supraluminique, prescience, hyperespace, cyborg et téléchargement de l’esprit ; des techniques désormais plausibles aux yeux des lecteurices de science-fiction qui ne représentent plus les artifices qu’ils ont constitués à leur invention, pour les créateurices qui cherchaient simplement comment raconter leurs histoires.
Pourtant, il est possible de redonner vie à ces inventions en écrivant de nouvelles histoires qui ne les mettraient pas au centre.
Quand Becky Chambers reprend des éléments cent fois rebattus du space opera dans Apprendre si par bonheur, c’est pour mettre en scène des personnages hors-norme et proposer, dans un détournement magistral, une autre science-fiction. Le Merian, vaisseau d’exploration, part en exépdition, non pour coloniser ou exploiter, mais pour apprendre et découvrir, dans un souci constant de préserver les écosystèmes des lieux visités.
Quand Saul Pandelakis raconte la fin des humains sur terre et l’épopée d’un vaisseau de terraformation, c’est pour mieux partager avec ses lecteurices le quotidien et les questionnements d’un développeur humain dépressif et d’une chercheuse bot un peu perdue, tous deux transgenres.
Hélas, l’essentiel de la production, loin d’être aussi créatif, sert toujours le même plat, sans relief, sans assaisonnement. Des histoires vues et revues qui rappellent d’autres histoires, elles-mêmes inspirées de récits du siècle passé ; des personnages, toujours les mêmes, masculins, blancs, hétérosexuels, en bonne santé ; des problèmes dont les éventuelles solutions ne seraient que technologiques et compatibles avec le capitalisme et ses valeurs.
Ainsi, la téléportation, que l’on ne désigne pas par sa moins alléchante description « désintégration-reconstruction », serait le remède à bien des maux, mais à quel prix ?
Les robots et machines pensantes seraient voués à devenir nos ennemis, de la même façon que les esclaves étaient capables de se révolter face à la domination de leurs maîtres.
La rencontre d’une intelligence extraterrestre ne serait qu’un motif inévitable de guerre.
L’effondrement serait celui de la civilisation occidentale, inimaginable, alors qu’elle s’est construite sur les restes d’autres cultures qu’elle a pillées. […]
Ils sont si présents dans nos imaginaires et nos modes de pensée qu’ils ne sauraient plus constituer une alternative.
Ils sont un volet du récit dominant, n’attendant que d’être challengés par de nouveaux récits.
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La science-fiction n’est pas morte, pas plus que d’habitude, en tout cas, si l’on en croit l’article sur les « nombreuses morts de la science-fiction » dans la revue Res Futurae.
Pourtant le récit qu’elle donne d’elle-même manque [...] de « perspective future ».
Le « récit de vie » de la science-fiction est très souvent nostalgique, comme en témoigne l’engouement pour des œuvres du passé [...], la défense féroce des « pères » de la science-fiction, lorsque des éléments peu glorieux de leur vie sont pointés du doigt (on trouve des excuses à Asimov « L’homme aux cents mains ») ou l’accueil peu chaleureux réservé aux acteurices débutant.es qui n’ont pas ouvertement prêté allégeance aux mêmes pères…
J’ai voulu lister les éléments qui me semblent poser problème, et des pistes pour tenter de redonner sens et vitalité au récit fané de l’histoire de la science-fiction qui se trouve être surtout masculin, blanc, hétérosexuel, occidental, normatif, réactionnaire, suicidaire…
Surtout, j’ai voulu retrouver, dans les ressources disponibles et celles à venir, d’autres approches que le discours habituel ainsi qu’un peu d’espoir pour l’avenir de la science-fiction.
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Quand la SF se raconte
Le milieu de la science-fiction francophone (SFF) propose peu de versions différentes de sa propre histoire.
Ce récit principal s’écrit à travers les œuvres marquantes du genre, un ensemble défini par un groupe réduit de personnes et considéré comme stable. Il s’agit d’un récit dépressif et déprimant, teinté de nostalgie pour des débuts prometteurs, une croissance vertigineuse et une chute qu’il faudrait contrer en remettant en avant les idoles des temps anciens et en les boulonnant plus solidement encore sur leurs socles de béton.
Frank Herbert est-il réellement indépassable ? Si l’on s’en tient aux plus de 15 000 exemplaires du mook Dune vendus fin 2021, c’est vraisemblablement le cas.
Cet auteur mort a-t-il tellement plus à nous dire sur notre monde que des auteurs contemporains ?
Lovecraft, dans les genres voisins, avec 636 résultats au catalogue de la Bibliothèque Nationale de France dont 323 depuis 2010, est-il l’inspiration la plus pertinente pour la SF francophone du XXIe siècle ?
Asimov, Bradbury, Clarke, Dick, Heinlein, sont-ils les seules références disponibles ?
La façon de sélectionner les auteurs et les moments clés de la vie de la SF nous aide-t-elle à mieux appréhender le monde actuel ?
En partie, sans doute, mais ces textes sont situés dans un temps et un espace qui sont ceux de leur rédaction. S’ils présentent des points communs avec nos vies, si le talent de ces précurseurs les rend quelquefois intemporels, certains de leurs ouvrages ont simplement mal vieilli et ne servent qu’à caresser la nostalgie de notre propre jeunesse.
Cette histoire-là de la science-fiction nous aide-t-elle à envisager le futur ? Des futurs ? Aide-t-elle à faire vivre cette littérature ?
Pas vraiment.
Voilà pourquoi je pense qu’il est temps de cesser d’ériger des statues à des pionniers qui n’en demandaient pas tant, afin d’embrasser le genre dans ce qu’il a produit de plus riche et de devenir, nous aussi, des explorateurices de nos futurs possibles.
La vie continue.
La SF stagne.
Il est temps de tenter de la réparer.
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Vidéo de Ketty Steward
FESTIVAL DES UTOPIALES 2023
Entre prise de conscience éthique et confrontation au réel du bouleversement climatique. Le changement de nos habitudes alimentaires, de nos coutumes vestimentaires, et les mille manières que nous avons d'exploiter ou menacer l'existence des êtres qui cohabitent avec nous sur cette planète sont devenus des questions fondamentales. L'exploitation animale peut-elle être un humanisme ? Qu'en dit l'Imaginaire ?
Moderateur : Ophélie Bruneau Les intervenants : Simon Liberman, Ketty Steward, Christiane Vadnais
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