Ô
Teulé !
Je me méfiais de cet auteur sorti de la bande de Hara Kiri, dont j'étais un lecteur à l'époque où ce journal était tendance, mais qui, en dépit de quelques épisodiques fulgurances, était surtout le prétexte au libertarisme débridé, à la caricature pas toujours heureuse, à la grosse déconnade et qui n'avait comme rapport à la littérature que la tentative de mise en ordre des caractères en plomb dispersés dans leurs casses à des fins d'impression.
Et j'aime les belles-lettres, l'esthétique des mots, les idées fortes puissamment défendues par des cerveaux et des plumes de talent. Ça ne collait pas du tout avec l'a priori que j'avais de
Teulé, homme sympathique au demeurant, mais dont les qualités se limitaient pour moi à son franc- parler, tout de verve et de gouaille...
Insuffisant donc ... !
Et puis voilà que l'on se retrouve un beau jour, ou était-ce à minuit, sortant de chez la Montalan ( c'est imagé... ) en s'interrogeant sur la gentrification, la boboïsation du bien-être qui rassure l'être que nous sommes devenus, et qui s'achemine lentement vers l'effroi du non être.
Bref, amoureux de poésie, j'avais envie de lire une biographie du maudit et décadent
Paul Verlaine.
C'est alors que je tombai sur le pitch de
Teulé... qui m'intéressa.
Allais-je franchir le pas ?
Verlaine, le valait bien, me dis-je alors.
Ce fut le début d'une agréable surprise.
Cornuty, un adolescent biterrois de quinze ans monte à Paris ( tel
Rimbaud jadis ) pour faire connaissance de son idole, "le Prince des poètes",
Paul Verlaine et devenir, dans les derniers mois de la vie de ce dernier, son ange gardien.
Verlaine est au bout du rouleau du manuscrit de sa vie.
Ruiné, alcoolique, dépravé, se "partageant" entre une fille de rien, vénale et malade elle aussi, et une jeune prostituée dont il est amoureux, il vend ses vers à la ligne pour étancher son absinthisme.
Ces derniers mois vont permettre à Cornuty ( qui est une métaphore des lecteurs que nous sommes, épris de la magie des mots du poète ) de faire la connaissance de l'homme parvenu à la dernière marche des Enfers, de l'homme nu, dépouillé de son auréole d'enfant béni des muses, mythifié, sacralisé, presque panthéonisé ( ouf... merci Macron d'avoir renoncé à cette idée saugrenue !), pour l'homme "infréquentable, invivable, dangereux et toxique" ( je cite
Teulé lors d'une interview ), mais un homme dont la laideur s'efface et cède la place à la beauté lorsqu'il écrit. Un homme dont la jeunesse de l'époque commence à s'enticher.
Ils seront des milliers à ses obsèques... aux obsèques d'un indigent !
Outre la recette de l'auteur qui est de créer une fiction au sein d'une réalité, d'une vérité historique, cet ouvrage nous permet d'approcher un
Verlaine méconnu, d'aller vers lui... pour ce qu'il est autant que pour ce qu'il a écrit.
Teulé ne maquille pas l'épave géniale.
Lors de son dernier séjour à l'hôpital, nous pouvons prendre connaissance de tous les maux dont il a accablé son corps :
"Syphilis
Altération sanguine
Diabète
Souffle au coeur
Cirrhose du foie
Erysipèle infectieux
Hydarthrose jambe gauche
Pneumonie"
De même que par la bouche de sa "concubine", il nous dresse, sans concessions, le portrait de l'homme.
" Un vaurien, un fainéant alcoolique, un homosexuel et un pédophile, un dégueulasse..."
Ce sont les derniers mois de ce sociopathe "merveilleux" que
Teulé raconte à la manière de
Teulé.
Avec sa verve, son enthousiasme, sa tendresse, sa plume qui dessine les mots plus qu'elle ne les écrit, et qui ne fera jamais partie de la Pléiade, mais qu'importe !
Je ne regrette pas cette rencontre fort touchante avec le Pauvre Lelian, cet être toute sa vie déchiré entre une tendresse enfantine et des démons pervers, que
Teulé conte avec conviction, sensibilité et efficacité.