Trois morts.
Nouvelle écrite en 1858, publiée en 1859, la même année que
le Bonheur conjugal (dont on sait que c'est un leurre)
Tolstoï gamberge dans son existence, son frère Nicolas qu'il affectionne tant est malade.
Il jure cette année là d'arrêter cette littérature là qui ne correspond pas à ses aspirations profondes, il engage un second voyage en Europe ..
Dans ses carnets, il note à plusieurs reprises ces
Trois morts, il faut croire qu'il y tient.
La mort l'a si souvent visité, parents, frère, la guerre, les exécutions sommaires .. elle en deviendra en littérature un de ses thèmes favoris.
Ici la mort frappe trois fois et à chaque fois avec un écho différent. Il n'y a pas de communauté de destin, les situations sont hétérogènes : une bourgeoise, un cocher, et un arbre ..
Dans cette dissymétrie, il y a préalablement le rapport transversal de ces trois vies malades à la croyance bien sûr, et le plus croyant renvoie pour le moins à l'idée de son sens face à la mort..
L'agonie de la bourgeoise est impitoyable, c'est en même temps le portrait déclinant de la société qui la porte esquissé parcimonieusement .. le cocher et l'arbre par une pirouette littéraire admirable semblent se donner la main pour l'éternité : ils n'ont démérité de rien ceux-là ici-bas, par ce bois de l'arbre qui va faire la croix sur la tombe du cocher. Non seulement, ils n'ont pas démérité de la mort, mais sous une forme allégorique, l'auteur va faire de l'arbre la mort la plus significative, la plus notable car elle est absoute de tout mensonge.
Le poids des mots est vertigineux. Une fois de plus, l'écrivain parle de ce qu'il connaît, il est toujours en terrain conquis ..
Trois morts est son premier texte essentiellement consacré à la mort, puisque l'artiste la voit, la sent comme personne, il semble pressé d'en découdre avec elle sur un plan littéraire, il arrivera même à dompter l'agonie de la mort dans les chefs d'oeuvre qui vont suivre et faire de lui l'écrivain génial écrivant sur elle.
La nouvelle
Trois morts sera bien accueillie dans les milieux littéraires russes, même si Tolstoï depuis quelques années tournait la tête comme un jeune indiscipliné, insolent et rebelle à ce monde bourgeois dont il répudiait les courants artistiques tantôt slavophiles, tantôt occidentaux.. L'opinion n'avait pas oublié pour autant ce qui avait fait monter en flèche la notoriété du jeune premier :
Enfance, Adolescence,
les Récits de Sébastopol. Tolstoï pense alors que les fondements de sa réussite étincelante reposent sur un rapport ambigu avec le public, il se sait meilleur que ce qu'il montre qui à ses yeux est du paraître et non dénué de l'esprit de gloire. Ce n'est pas qu'il n'est pas sûr de sa faculté à réaliser ses ambitions, mais il craint une certaine velléité objective et contrariante due à sa vie désordonnée, alors il va attendre son heure, une opportunité qui comme on sait va lui ouvrir les bras de manière considérable .. On va ainsi le voir chemin faisant s'attacher à la dynamisation et à une culture diversifiée de son domaine, à la création d'une école pour les enfants de paysans de Iasnaïa Poliana, à la création d'une revue pédagogique.. C'est ce qu'il appellera "ses trois jougs" ..