Oeuvre de jeunesse écrite en 1857, le traducteur parle de 1858, parue sous le titre original d'Albert : ça devient
un musicien déchu !
L'artiste est brillant, sur le point de réussir, mais il a un petit défaut il picole et son environnement va finalement l'anéantir. Mais ça on le savait déjà, et pourquoi il picole, eh bien on ne va pas tarder à le savoir, et quand on le saura, on comprendra que les carottes sont cuites parce que l'homme est brisé à cause d'un chagrin d'amour. Alors je ne sais pas si c'est le musicien qui est déchu ou l'homme, mais je préfère Albert. D'abord quand on connaît la musique, la musique classique, il est
impossible de se mettre à boire trop longtemps, il arrive un moment où la mémoire fait défaut, et c'est gênant. Alors évidemment on peut faire illusion.
Une fois de plus, on est là sur un registre que l'écrivain connaît bien, il était passionné de musique, jouait du piano, invitait des concertistes connus à la maison. Mais Tolstoï n'a pas son pareil pour aller sonder l'âme humaine, et c'est ce qui se passe en fait ....
Je reviens une seconde sur la date de création de cette nouvelle. Je pense qu'à partir du moment où elle est envoyée chez l'éditeur à fin de publication, on peut considérer qu'elle est achevée. Mais avec Tolstoï qui n'avait aucun complexe et pourquoi en eût-il, ne faisant rien comme tout le monde, au dessus de lui il n'y avait que Dieu, a prévenu son éditeur qu'il souhaitait faire des corrections sur épreuves, un peu comme Bonnard quand il vendait ses toiles à des clients, il était tellement perfectionniste qu'il lui arrivait de parachever ses toiles chez le client. Bien sûr, comme ici, le client consentait.
Ce qui est intéressant d'observer, c'est que Nékrassov du Contemporain, revue prestigieuse, son éditeur lui annonce qu'il n'est pas satisfait de la dernière mouture. Tolstoï lui répond ceci : "Il ne fait aucun doute qu'il s'agit non d'une nouvelle descriptive, mais d'une oeuvre hors norme, dont le sens doit entièrement reposer sur les passages psychologiques et lyriques, et par conséquent ne doit pas et ne peut pas plaire à la majorité." Mais comme l'artiste ne veut pas rester sur cette mauvaise impression, il reprend encore le texte qui sera finalement publié début 1858.
C'est donc une oeuvre presque esthétique et non narrative. C'est d'ailleurs ce qu'on remarque très bien dès les premières pages du livre ..
Mais à part ce genre de calage rugueux avec son éditeur, Tolstoï n'a jamais vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Combien de fois, on voit juste apparaître d'un mot dans ses carnets personnels qu'il a en projet tel truc, et on ne voit apparaître le nez du projet le temps qu'il lui aura fallu pour boucler son affaire dans la plus grande discrétion. On peut parler d'ascèse !