Ce fut dans la vie réelle comme dans les rêves :
Je n'ai jamais foulé un sol en sûreté.
Je cherche dans ma mémoire
Un chemin parcouru, solide,
Et je vois toujours un bateau secoué
Par les vagues rageuses du destin.
Un bateau inconscient d'enfant
Un bateau téméraire d'adolescent
Et un bateau d'homme, que je ne maîtrise plus
Parmi les écueils contre lesquels il se brise.
Mais le ciel était beau
Quand la nuit, son maître l'allumait;
Et le sourire de la poésie était beau,
Et beau, l'amour, dragon insatisfait;
Et il était beau de n'avoir dans la poitrine
Ni peu, ni remords, ni vanité,
C'est pourquoi je dis que valut la peine
La dure réalité
De ce voyage tragico-terrestre
Toujours battu par la tempête.
Monde à notre mesure.
Rond comme nos yeux.
Comme eux aussi,
Il reçoit du dehors et selon l'heure,
La lumière ou l'obscurité
Monde à peine un prétexte
A d'autres mondes,
Base d'où s'élève
L'inquiétude,
Fatiguée de la rotation uniforme
Du jour après jour
Monde que l'imagination
Défigure,
A le voir de toujours plus haut,
Monde fait de cette même argile
Dont nous sommes pétris
Chair de notre chair
Pourrie.
Monde que le temps gâte et refroidit,
Mais seul jardin connu
Où fleurit la vie.
Guerre civile
C'est contre moi que je lutte
Je n'ai pas d'autre ennemi
Ce que je pense,
Ce que je sens,
Ce que je dis,
Ou ce que je fais,
Cherche le châtiment
Et désespère la lance de mon bras.
Absurde alliance
De l'enfant
Et de l'adulte,
Ce que je suis est une insulte
A ce que je ne suis pas;
Et je combats cette image
Qui m'a traîtreusement envahi et occupé.
Malheureux à la folie et sans folie,
Je demande à la vie une autre vie, une autre aventure,
Un autre destin incertain
Je ne me donne pas pour vaincus,
Ni convaincu,
Et j'agresse en moi l'homme et l'enfant.
Je parle de tout ce qui n'avait pas de nom,
Et à un nom,
Et le nom défigure,
Et je me plains de toi, humaine créature,
Qui dit aurore
La fenêtre fermée,
Et crois que le son de ta voix emprisonnée
Apporte le renouveau dont tu as besoin.
Ana Maria Torres, traductrice de "Folles mélancolies" de Teresa Veiga nous parle de sa région de coeur Trás-os-Montes au PorTugal et de l'auteur qui en parla le mieux dans la littérature : le grand Miguel Torga. Merci à elle et bon visionnage !