De l'isba au Goulag
La vie des paysans russes, au début du XXè siècle, ressemblait fort à la vie des paysans français à la même époque, rythmée par les bonnes ou mauvaises années de récolte.
Nicolas Werth nous décrit leur vie quotidienne, la fabrication de leur maison (isba) construite de part et d'autre de la route , ce qui formait le village, l'aménagement intérieur concentré souvent dans une pièce unique avec comme objet central, le poêle au-dessus duquel l'on dort à défaut de dormir par terre (pas de lit). Chaque isba possède un terrain exploité en potager et verger indispensable pour réussir à subvenir aux besoins de la famille. Il nous raconte aussi leurs croyances, leurs fêtes traditionnelles, leurs différentes cultures, la place de la femme dans la société ainsi que la vie au sein de la communauté paysanne.
Tout cela, c'était avant la Révolution Russe. Avec l'avènement de celle-ci, au succès de laquelle les paysans ont contribué, viendra la disparition des gros exploitants et, ensuite, la redistribution des terres. Chaque paysan devient propriétaire et ce qui semblait une bonne idée, va tourner au désastre. En effet, chacun se retrouve avec, seulement, un ou deux hectares à exploiter mais la plupart ne peuvent le faire. Les plus pauvres, les "batraks" n'ont aucun moyen d'exploiter leur parcelle et sont obligés de la louer et de se vendre comme ouvrier. Les "bedniaks" et les "seredniaks" possèdent parfois un peu de matériel ou un cheval et s'en sortent un peu mieux mais ne peuvent vivre de leurs terres, les parcelles étant trop petites. Seuls les "koulaks", paysans les plus riches, peuvent exploiter les terres des autres à leur profit, s'octroyant ainsi une grande partie des récoltes.
Il va s'ensuivre un effondrement de la production agricole. Staline qui considérait les paysans comme des "déchets" selon Khrouchtchev, après une autocritique et dans sa grande mansuétude, décida que la politique du gouvernement n'était pas en cause et que seuls, les koulaks étaient responsables de la situation et devenaient ainsi des ennemis du peuple. Après avoir éliminé ou déporté au Goulag ces derniers, vint le temps de la collectivisation avec la création des kolkhoses. La corruption, la mauvaise gestion et des réquisitions extravagantes et inappropriées conduisirent aux grandes famines des années trente qui firent entre 4 et 5 millions de morts.
Un ouvrage passionnant, facile d'accès, écrit par un spécialiste de la société russe, qui fait appel à de nombreux témoignages et qui permet de bien comprendre les changements survenus dans le monde paysan russe entre les années vingt et trente.
A noter que cinquante ans après, lors de la rédaction de ce livre, les kolhosiens étaient toujours considérés comme des sous-hommes et devaient encore posséder un passeport intérieur pour sortir de leur village...