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EAN : 9791022610704
336 pages
Editions Métailié (15/10/2020)
4.21/5   21 notes
Résumé :
À l’ouverture des archives de l’Union soviétique, Natascha Wodin, obsédée par le souvenir de sa mère qui s’est suicidée à 40 ans, entame des recherches pour reconstituer son histoire. Déportée d’Ukraine au cours de la Seconde Guerre mondiale, sa mère a été envoyée dans un camp de travail en Allemagne, pays où ses parents ont ensuite été contraints de rester sous peine d’être traités comme des collaborateurs du nazisme s’ils étaient retournés dans leur pays d’origine... >Voir plus
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Une frêle fleur des camps à la recherche de racines dans les failles du béton armé de l'Histoire…Bouleversant et instructif. Une lecture nécessaire sans aucun doute. Pour ne pas dire indispensable.

Livre témoignage, livre historique…mais pas que ! Avec « Elle venait de Marioupol », Natascha Wodin combine sa propre recherche généalogique en quête d'identité, l'explication sans pathos de pans entiers de l'histoire slave pour mettre en lumière certains faits peu connus et pourtant terrifiants, mais aussi une structuration qui donnerait presque au récit des allures de thriller tant c'est passionnant.
Ce qui m'a le plus marqué je crois dans cette recherche éperdue fut de comprendre comment ce peuple ukrainien fut broyé par deux dictatures aussi terrifiantes l'une que l'autre, celle de Staline en Ukraine, puis celle de Hitler en Allemagne. Deux extrêmes qui ont utilisé des méthodes différentes pour arriver à la même fin : l'extermination de millions de personnes. L'une l'a fait brutalement, l'autre de manière plus sournoise.

Instructif et passionnant, pourtant le premier chapitre m'a fait un peu peur car nous assistons à la recherche des ancêtres de Natascha Wodin, peuplée de personnes que je finissais par mélanger. L'arbre généalogique se construit peu à peu sous nos yeux à coup de rebondissements, d'imprévus, grâce à l'aide de personnes généreuses et passionnées, de chance aussi, c'est très intéressant mais je suis restée spectatrice un peu déboussolée par cette recherche complexe de racines. Avec tout de même cette trame de fond, obsédante : pourquoi sa mère s'est-elle suicidée à l'âge de 40 ans ? Qu'a vécu cette femme pour en arriver à une telle extrémité alors qu'elle était maman de deux petites filles ? La narratrice sait juste que sa mère a été déportée durant la Seconde Guerre Mondiale à l'âge de 23 ans, avec son père, pour du travail forcé, de Marioupol en Allemagne. Ils deviendront des « Ostarbeiter », des travailleurs de l'Est, des travailleurs forcés. Elle a conscience que sa mère a traversé des années peu quelconques : elle a vécu en effet pendant la guerre civile les purges et les famines en Union Soviétique, puis les années de la Seconde Guerre Mondiale et du national-socialisme où les ukrainiens furent considérés comme une race inférieure, juste au-dessus des Juifs et des Roms. La hiérarchie des races. de quoi ôter tout gout à la vie.

Natascha Wodin se faisait une image complètement fantasmée de sa mère, basée sur quelques brides de souvenirs, des souvenirs d'enfant, « simple écume déposée dans ma mémoire par des décennies de fermentation », il est intéressant de voir comment la lumière se fait peu à peu sur ce personnage énigmatique, au fur et à mesure que cette mère devient, au fil des éléments trouvés, une personne extérieure à la narratrice. Intéressant de ressentir le trouble de Natascha Wodin, de la voir se redresser au fur et à mesure que ses racines grandissent en elle. L'auteure semble se ramifier et gagner en densité.

Les trois autres chapitres sont incroyables. Une fois rentrée dans le livre, avec cet arbre généalogique que je regrettais presque de ne pas avoir noté, intéressée mais légèrement refroidie par la complexité de cette histoire de famille, les trois chapitres se concentrent sur respectivement la tante de Natascha Wodin, soeur de sa mère, déportée en Sibérie car faisant partie d'un mouvement anti-prolétaire, puis sur ses parents et leurs conditions de vie en tant qu'Ostarbeiter en Allemagne sous Hitler, et enfin sur elle, petite fille, petite fleur des camps. Trois chapitres qui se lisent comme un roman historique, trois chapitres durant lesquels nous prenons en pleine face les morsures glaciales de la Sibérie, la pauvreté et la bestialité des camps de travail forcé, la promiscuité qui pousse à la folie, les affres de la famine, la résilience, la survie et les espoirs d'une petite fille. C'est bouleversant. le regard de l'auteure sur sa mère est d'une tendresse infinie…

« Elle a l'air d'un enfant mais l'innocence et la vulnérabilité de son visage se mêlent à un savoir terrifiant. Difficile de croire qu'un être d'une telle fragilité puisse supporter un tel savoir – comme si un poids d'une tonne était suspendu à un fil ».

Notons une plume élégante, sans ton larmoyant pour parler de l'innommable, délicate et poétique pour décrire la beauté de paysages ou de lieux. J'ai aimé ces deux niveaux d'écriture qui apportent beaucoup de charme au récit, beaucoup de force et d'authenticité, malgré le côté parfois insoutenable. Dans le premier chapitre, que j'ai certes un peu critiqué, j'ai remarqué combien la nature enveloppant la narratrice se transforme au fur et à mesure de l'avancée des recherches, notamment ce lac sur lequel donne son balcon. Coloré et radieux lors des premières trouvailles et des espoirs engendrées, il se fera plus brumeux et inquiétant au fur et à mesure de l'avancée des recherches.

« Des levées de soleil comme sur ce lac, je n'en avais encore jamais vu ailleurs. Ils s'annonçaient dès trois heures de matin à l'horizon, d'abord comme un rosissement à peine perceptible du ciel au-dessus de l'eau, qui se transformait progressivement en une orgie lumineuse d'une beauté irréelle. Je m'étonnais que tout le monde soit endormi, que personne à part moi ne semble assister à ce spectacle cosmique. le ciel brûlait de toutes ses couleurs, du vert clair à l'or, du violet au rouge flamboyant, chaque jour différent, chaque jour nouveau : des spectacles de lumière, des tableaux surréalistes que le soleil faisait surgir dans le ciel et dont je suivais la métamorphose minutieuse à partir de mon balcon, comme d'une loge quelque part dans l'univers, étourdie par les cris de panique des oiseaux aquatiques qui semblaient attendre une apocalypse, un événement sans précédent bien au-delà des perceptions humaines. Les couleurs s'épaississaient, explosaient, puis elles commençaient à s'estomper, à s'éteindre doucement, à passer progressivement dans la lumière blanche, éblouissante, qui se répandait peu à peu sur le lac ».

J'ai eu du mal à quitter le livre étonnamment. C'est une lecture paradoxalement éprouvante mais aussi attachante. Natascha Wodin devint peu à peu Natascha pour moi. Je me suis attachée à cette femme, à son passé, à sa recherche, à la façon dont elle nous le transmet. Elle y a mis toute son âme. Il ne s'agit pas seulement, comme elle le craignait, d'une simple biographie fictive basée sur l'historiographie, sur les faits avérés concernant les temps et les lieux où a vécu sa mère, non c'est avant tout un livre généreux, détaillé, fouillé, basé sur des matériaux divers, un témoignage précieux. Et bien entendu sa lecture est très particulière en cette année 2022. Pour comprendre et prendre du recul. Un grand merci à @LambertValérie et à @Dandine pour m'avoir fait découvrir ce livre qui restera longtemps en moi !
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J'ai voulu lire ce livre pousse par son titre, portant le nom d'une ville presente ces jours-ci dans tous les ecrans, pour le mauvais et pour le pire.


C'est un travail de recherche qu'a enterpris Wodin sur sa famille, surtout pour essayer de comprendre pourquoi sa mere s'est suicidee quand elle n'avait que dix ans. Elle utilise des livres d'histoire, l'internet, ainsi que des documents d'autres familles pour compenser les pieces manquantes du puzzle qu'elle essaye de completer. Ainsi, malgre un appreciable effort de rigueur historique, “ce qui fut” se mele au “ce qui surement fut”. Et ce, jusqu'aux moments ou elle a quelques souvenirs de son enfance, devenant alors la narratrice du devenir de ses parents jusqu'a la mort de sa mere.


Le livre est divise en quatre parties. Dans la premiere, la quete hesitante du debut, utilisant le web, m'a ete d'une lecture penible. Trop de sites internet visites, trop de noms et de correspondants dans les essais d'echafauder un arbre genealogique ont failli me faire lacher. Mais je suis un lecteur coriace et j'en ai ete recompense par la suite.

La deuxieme partie resume le journal que sa tante Lidia a redige a 80 ans. Les horreurs de la revolution sovietique a Marioupol; l'ostracisme que subit sa famille parce qu'anciens capitalistes; la faim endemique pendant de tres longues annees. “Il ne s'agit que de survie". En 1934 Lidia est jugee comme dissidente et deportee au camp de Medvejia Gora ou elle est lachee dans la nature sachant qu'elle ne peut s'enfuir: il n'y a autour que marais dangereux, forets, ours et loups. La, elle rencontre son futur mari, Youri, qui lui trouve un poste de prof pour des jeunes criminels dans une colonie d'enfants et adolescents entre huit et dix-sept ans. Des gamins des rues, des orphelins, des fils de prisonniers, certains devenus des criminels, des assassins, et parfois dès l'enfance: “Après le cours, Lidia consulte le dossier d'Ivanov 26 qu'elle a désigné comme délégué. Ce jeune de seize ans aux yeux bleus et clairs a déjà tué trois personnes. Il a étouffé sa grand-mère avec un coussin pour lui voler l'argent qu'elle avait épargné pour lui, il a défoncé le crâne d'un homme au marteau lors d'un cambriolage et tué un policier par balle. Il avait douze ans à l'époque.” Sa peine finie elle reste sur place avec son mari Youri et son fils Igor. Quand la guerre eclate, en Octobre 41, ils sont evacues vers le Kazakhstan.

Dans la troisieme partie elle revient a sa mere, Evguenia: elle a travaille pour les allemands a Marioupol et en 43 elle quitte avec les allemands qui evacuent la ville et passe avec son mari six mois a Odessa. “La dernière image de sa ville qui s'offre à ma mère est celle d'une gigantesque destruction. Il est clair depuis longtemps que la guerre est perdue, mais au dernier moment les soldats allemands dévastent ce qui reste encore de Marioupol. Avec une rage aveugle, ils font sauter un bâtiment après l'autre, visent au lance-flammes les fenêtres et les portes des maisons restées intactes, ils détruisent les écoles, les jardins d'enfants, les bibliothèques, les greniers à céréales et les réserves d'eau pour laisser autant de terre brûlée que possible derrière eux.” Mais “le 10 avril 1944, Odessa est reconquis par l'armée rouge – mes parents quittent l'Ukraine au dernier moment.”

Puis vient le sejour de ses parents en Allemagne d'apres des etudes et des archives. A Leipzig, dans l'usine Flick qui produit des avions, comme travailleurs forces, zwangsarbeiters, devant toujours porter l'insigne OST, ostarbeiter, souffrant de faim, de mauvais traitements et toujours de peur. Quand les americains arrivent ils ne sont pas rapatries (par chance. En Russie on les aurait surement juges comme collabos et liquides) et deviennent des DP, "displaced persons", des deplaces, a Nuremberg.

Quatrieme partie: A Nuremberg ils sont heberges (caches) par un allemand et reussissent donc a fuir les camps de DP. le pere reussit a travailler pour les americains dans une chorale de chants russes. Ils essaient de partir en Amerique mais le visa leur est refuse. Puis ils sont transferes au camp de Valka et la commence pour l'auteure l'ecole et la langue allemande. Avec le temps, de DP il deviennent apatrides avec le droit de rester en Allemagne et on leur donne un petit logement a la limite de la ville. En fait ils arrivent a peine a vivre subissant segregation et haine de la part des allemands. le pere voyage avec sa chorale ethnique et reste toujours absent. La mere se laisse de plus en plus aller pour finir par se noyer dans la Regnitz. Elle n'avait qu 40 ans.


Voila pour l'histoire familiale. Qui est beacoup plus que cela parce que le livre touche quelques episodes parmi les plus noirs du XXe. siecle. Certains tres documentes comme le harcelement des bourgeois par les revolutionnaires russes, d'autres qui commencent a l'etre, comme le holodomor, la grande famine provoquee par Staline qui fit des millions de morts en Ukraine, et un qui reste encore dans une certaine obscurite, l'exploitation de millions d'esclaves amenes de l'est par les nazis pour alimenter le capitalisme du Reich et sa machinerie de guerre en quelques milliers de camps de travaux forces.
Les rescapes des camps de la mort ont produit une importante litterature mais les esclaves non juifs qui ont frole l'extermination et y ont echappe grace a leur travail ont ete beaucoup plus silencieux. Ou meme silencies. Car personne n'aurait pu pretendre ne pas etre au courant, ne rien savoir: dans chaque ville allemande, dans chaque ferme autrichienne, ces etrangers etaient presents, soumis, individuellement ou par milliers, a un travail harassant, sinon a des conditions de vie bestiales. Meme le celebre Oskar Schindler avait etaye son entreprise sur le travail des denommes “ostarbeiter", hommes femmes et enfants, polonais ukrainiens ou russes, que les nazis qualifiaient de “materiel humain de derniere categorie”.
Et apres la guerre? Ceux restes en Allemagne ont continue longtemps a etre discrimines, et leurs enfants ont subi l'aversion (jusqu'a la haine) de leurs camarades autochtones. Mais, comme Natascha Wodin, ils ont reussi a transcender, a vaincre tout cela.


En fin de compte, apres un debut trainaillant, Wodin a reussi a ecrire quelque chose d'emouvant. Un travail de recherche tres pousse a fini par devenir une tres excitante litterature. Je suis sorti bouleverse de ce livre. Je n'oublierai pas de sitot sa mere, cette femme qui n'a pu surmonter le poids des abominations qu'elle avait (elle et sa famille) subies. Ce livre de memoire restera dans la mienne.
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Marioupol, Marioupol, voilà bien une ville qu'une triste actualité nous fait connaître aujourd'hui…
Mais pour Natasha Wodin, Marioupol n'évoquait pas grand chose, sinon une ville de l'est, elle se l'imaginait couverte de neige ; un simple entrefilet de presse sur un match de football entre l'équipe de cette ville et une équipe allemande la pousse à se renseigner, elle découvre une ville au climat remarquablement doux, sur la mer d'Azov.
Marioupol n'était pour elle que la ville de naissance de sa mère, Evguénia Iakovlevna Ivachchenko. Elle ne connaît quasi rien d'elle, sinon le lieu de sa naissance en 1920, son mariage, son départ comme travailleuse de l'Est en Allemagne et enfin son suicide dans les eaux de la Regnitz alors que Natasha n'avait que dix ans.

En 2013, Natasha Wodin se lance à la recherche de l'histoire de sa mère en tapant son nom sur Internet.

Le livre nous permet de découvrir en même temps qu'elle, petit à petit, et en la suivant dans ses moments de joie, de découragement et de tristesse ce que fut la vie brisée de sa mère.

Ce parcours est prenant comme un thriller ! le suspense grandit, des pistes s'ouvrent, d'autres n'aboutissent à rien. L'autrice va de découvertes en découvertes, reçoit une aide impressionnante de Konstantin qui gère le site de généalogie Azov's Greeks, correspond avec des membres éloignés de sa famille dont elle ignorait tout, reçoit des photos et même deux journaux écrits par Lidia, soeur de sa mère.

La vie de sa mère a été brisée, elle a été bousculée par l'Histoire et ses tragédies : la révolution russe, la terreur soviétique, la famine, le travail forcé en Allemagne, la condition de personne déplacée en Allemagne après la guerre, son mariage malheureux, elle ne cessera de répéter à sa fille : “Si tu avais vu ce que j'ai vu”.

Le contexte historique est donc particulièrement intéressant : révolution russe, terreur, les frictions entre ceux qui parlent ukrainien et ceux qui parlent russe, la guerre, l'esclavage des travailleurs forcés en Allemagne, l'hostilité de la population à leur égard après la guerre…
Ce n'est toutefois pas le seul attrait du récit, l'histoire de la famille l'est tout autant, on y côtoie des opposants au régime soviétique comme des partisans, des peines de prison, d'exil ou de goulag, un cousin issu de germain qui tue sa mère, un chanteur d'opéra.
Il y a encore autre chose qui m'a plu : la très belle description du lac Schaal dans le Mecklembourg et l'émerveillement qu'il apporte à l'autrice.
J'ai moins apprécié la comparaison faite des camps de travail forcé avec la Shoah, heureusement légèrement suggérée.

J'ai aimé le récit, un récit sans pathos, qui a pu rester sobre face à des événements qui ne le sont pas.
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En préambule, je voudrais dire à quel point ce livre est bouleversant et sa lecture à mon sens indispensable pour qui s'intéresse à l'histoire de la seconde guerre mondiale, à la vie des gens, et j'ai même envie de dire à l'humanité toute entière.

Elle venait de Marioupol raconte l'histoire peut-être méconnue de ces Ukrainiens en masse qui constitutèrent pendant la deuxième guerre mondiale les"travailleurs de l'Est".
La mère, mais aussi le père de Natasha Wodin en faisaient partie. Déportés d'Ukraine, ils se retrouvent à travailler en Allemagne dans une usine d'armement, ils vivent dans des camps qu'on peut sans peine assimilés à des camps de concentration.
À la fin de la guerre, point de retour possible, Staline liquide tous ceux qui reviennent, L'Allemagne dans sa défaite les hait.
Natasha Wodin, à l'automne de sa vie se met en quête de comprendre qui était sa mère, son identité, cette mère qui se donnera la mort en se noyant, lorsqu'elle aura 11 ans, ses dernières paroles terribles, elle dira à sa petite fille qu'elle est une enfant de Satan.
Natasha Wodin se lance dans la recherche de sa famille en pianotant sur l'Internet russe.
Par un hasard et une chance incroyable, elle finira par retrouver et surtout reconstituer l'histoire de sa famille.
À la lecture de ce livre, on s'interroge comment Natasha Wodin a pu vivre la suite de sa vie, après le décès de sa mère, quelle force elle a du trouver pour trouver une raison de vivre.

Ce livre est à la fois un témoignage, mais aussi L'HISTOIRE de notre monde
Je lui souhaite une longue vie et j'espère beaucoup, beaucoup de futurs lecteurs.
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Quand j'ai attaqué ce récit autobiographique, je ne savais absolument pas qui était Natascha Wodin, traductrice et auteure allemande, d'origine ukrainienne. Je suis, apparemment, passée au travers de son roman qui pourtant ont tout pour (me) plaire, intitulé La ville de Verre. Ce récit-là, Netgalley m'a par chance accordé l'opportunité de le lire. J'ai passé grâce à lui quelques heures passionnantes à la découverte de la vie de l'auteure, de sa famille et de sa mère, Evguenia Iakovlevna Ivachtchenko, dont le portrait orne la première de couverture. C'est d'abord l'histoire de ses parents, travailleurs ukrainiens déportés en Allemagne de l'Est, le passé de cette mère exilée qui s'est donnée la mort alors que la jeune fille n'avait que onze ans, l'histoire de cette famille, qui est tout sauf ordinaire, qui a fini par s'éparpiller sur tout le territoire soviétique et au-delà. Plus que ces individualités, c'est l'universalité de destins qui ont été broyés à la fois par la révolution bolchevique, par le régime de Staline et par le national-socialisme. Ils sont de ceux à qui la vie n'épargne rien et qui n'en voient que le pire.

Allemande russophone d'origine ukrainienne, l'auteure est tenaillée par la méconnaissance de ses origines, ukrainienne, mais aussi italienne, à travers l'histoire d'un pays et d'une ville, Marioupol. le lecteur de ces lignes vit donc avec elle la découverte d'une vérité bien plus profonde et nébuleuse que celle à laquelle elle s'attendait. Etrange labyrinthe, qui l'emmène bien plus loin qu'elle s'attendait, jusqu'aux confins de la Chine. Complexité à l'image de l'époque et du territoire soviétique, dont elle démêle patiemment les fils, accompagné à chaque découverte de l'étonnement qui est le sien à la découverte que sa mémoire d'enfant a retenu plus de choses qu'elle ne le pensait. Vous le devinez, c'est un récit qui m'a enthousiasmée, une vie, une histoire, des personnalités, une famille que j'ai appris à connaître, avec Natascha Wodin, une page d'histoire empoignante, tragique, qui se dévoile peu à peu sous nos yeux. Avec toute l'émotion d'assister à la décomposition progressive de sa famille. C'est un de ces livres qui donnerait envie d'en parler pendant des pages, ou en tout cas, qui va rester longtemps dans ma mémoire de lectrice.

Natascha Wodin rappelle fort à propos que si le grand livre de la Grande Guerre Patriotique a justement laissé beaucoup de place à la Shoah, il a largement sous-estimé ce que ces travailleurs forcés ont vécu: ces slaves traités ni plus ni moins que comme une main d'oeuvre corvéable à merci, parqués dans des camps, au service d'entreprises allemandes, sous-hommes nourris à coups de quignons de pain rassis. Mais plus que tout, c'est le traumatisme provoqué par cet exil forcé puis par la mort violente, et volontaire, de sa mère. Reconstituer, Comprendre, avancer. Au-delà de son rapport intime que l'auteure a avec le sujet qu'elle traite, c'est un pan de l'histoire traité sous le prisme d'une famille. Ce qu'elle fait admirablement bien.

Au milieu de tout ça, il y a Konstantine, ce curieux personnage, ce passionné de généalogie qui a creusé, pour elle, Internet autant que possible afin de retrouver la trace de ses aïeux oubliés. Un homme étrange à la recherche d'une verité, celles d'autres, une obsession de la mise à jour qui frôle le compulsif.

Planter un décor, Marioupol, une ambiance, le stalinisme, c'est avec une attention constante que la lectrice que j'ai été a découvert à l'unisson avec l'auteur cette partie de l'Ukraine, du temps soviétique, vus et racontés à travers mille témoignages, mais pourtant, encre inconnu, tellement nouveau. Découvrir l'histoire de Marioupol la multiculturelle au bord de la mer d'Azov, cette ville offerte aux grecs sous le règne de la Grande Catherine, Marioypoli. Mais il y a aussi de ces lieux d'horreur qui hantent la mémoire soviétique, qui, peu importe ou l'on pose le regard, sont là, invariablement. Je parle des iles Solovki. Mais pas seulement. le camps de travail soviétiques en Carélie russe la Medvéjia Gora et allemands.

C'est un récit que je pourrais lire plusieurs fois de suite assurément. La somme d'information est telle que l'on peut parfois se perdre dans cet arbre généalogique plutôt alambiqué et il est facile de se perdre parmi les arrières grands-pères, grand-mères, tantes et oncles qui composent cette lignée. Natascha Wodin esquisse-là une belle tentative d'approche pour mieux cerner, comprendre le tableau familial, la hauteur et la densité, parfois les incohérences, de cet arbre généalogique, à travers l'image de ces parents profondément antisoviétiques, dont certains membres ont pourtant travaillé pour le parti. Comprendre une famille, comprendre le mouvement sous-jacents qui l'ont traversée, qui l'ont influencée. Comprendre son héritage. L'auteure a reconstitué avec talent l'histoire familiale, cette fresque qui nous emmène de la révolution à l'Allemagne, c'est non seulement un témoignage unique, précieux, même si l'horreur de ce qu'a vécu sa mère ne peut convenablement pas trouver de qualificatifs appréciatifs. C'est une reconstitution sur une famille que la révolution russe a démoli, dispersé, achevée par le régime Stalinien, sur ces femmes maudites, sur sa mère qui est allée au bout d'elle-même. Natascha Wodin a fini par comprendre l'histoire de sa mère, qu'elle met à l'honneur à travers son récit. Récit qui est, je crois, le plus bel hommage qu'elle pouvait rendre à cette femme, à l'évidence, maltraitée par la vie, son pays et son mari.

Cette lecture a été un véritable coup de coeur pour moi, il brasse tellement de destinées improbables, de pages d'histoire, de lieux presque mythiques, Marioupol, Odessa, etc. de rencontres improbables qui ont donné lieu à toute une famille, elle brasse une telle somme de souffrances, d'injustices, qu'on ne peut lâcher ce récit, et que même la fin survient trop tôt. On en redemande. Et il faut en effet consulter Internet pour savoir ce qu'est devenue après la mort de la mère Natascha Wodin. Magnifique travail de reconstitution par cette fille qui a tenté de retrouver une mère, perdue trop tôt, derrière les dernières images de tristesse et de désespoir qu'elle lui a laissées.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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Citations et extraits (78) Voir plus Ajouter une citation
On est en 1932, c'est le début de la famine biblique connue sous le nom d'Holodomor. Récemment encore, l'Ukraine avec sa terre noire et fertile, était considérée comme le grenier à blé de l'Europe, elle devient une morgue. Holod est le mot ukrainien pour la faim, mor vient de moritj - user, torturer. La plus grande expérience de collectivisation de Staline, qui entrera plus tard dans l'histoire comme le génocide du peuple ukrainien.

Bien que ce soit la période des semailles, personne ne travaille dans les champs, tout est laissé en friche. L'expropriation des paysans a détruit toute l'agriculture ukrainienne. Les paysans chassés de leurs fermes errent sans but, dorment sur la terre mouillée, la plupart du temps des femmes avec leurs enfants décharnés, malades. Les hommes qui ont refusé de sacrifier leur propriété à la collectivisation et d'entrer dans un kolkhoze ont été déportés dans des camps ou tués. La faim a décimé des contrées entières. Il n'y a plus personne pour enterrer les morts. Ils se décomposent sur place. C'est le règle de la folie et du cannibalisme.
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Bien que la Russie ait émergé au Moyen-Âge de l'Ukraine, de Kiev la russe, qu'on appelait le berceau de la Russie, la mère de toutes les villes russes, mes parents eux aussi parlaient de l'Ukraine comme si elle faisait partie de la Russie - le plus grand pays du monde, disait mon père, un vase empire qui s'étend de l'Alaska à la Pologne et occupe un sixième de la surface de la terre. L'Allemagne en comparaison n'était qu'une petite tache sur la carte.
La langue ukrainienne pour moi était le russe, et quand j'imaginais ma mère dans son ancienne vie à Marioupol, je la voyais toujours dans la neige russe (.....) J'ai appris que c'était une ville au climat remarquablement doux, une ville portuaire sur la mer d'Azov, la mer la plus plate et la plus chaude du monde. Il était question de longues et larges plages de sable, de vignobles et de champs de tournesols infinis.
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Quand elle ose une fois
demander à sa grand-mère une sortie supplémentaire, celle-ci regarde sa
petite-fille avec condescendance. “Avez-vous des chevaux ? Avez-vous un
cocher ? Vous n’avez rien, vous êtes des parasites.”
Lidia est hors d’elle. Elle sait que les parasites sont des punaises et des
puces. Elle se précipite vers le cabinet de son père, que l’on ne doit pas
déranger au travail, mais cette fois elle oublie même de frapper. “Papa,
grand-mère a dit que nous sommes des parasites. C’est vrai ?” demande-t-
elle à bout de souffle. Le père enlève ses lunettes et la regarde de ses yeux
gris et graves. “Oui, ma fille, c’est vrai, dit-il. Nous vivons dans une société
injuste. Mais c’est sur le point de changer. Après la révolution, il n’y aura
plus ni riches ni pauvres, et nous ne serons plus des parasites.”
Dès lors, Lidia attend avec impatience la révolution. Et elle n’a pas
besoin d’attendre longtemps. Quelques semaines plus tard, le temps est
venu. Cela commence joyeusement, de façon assez peu spectaculaire. Dans
les rues, on voit des gens qui rient, chantent de nouvelles chansons
inconnues et agitent des drapeaux rouges. Les parents de Lidia célèbrent
l’événement eux aussi, avec les grands-parents et les autres membres de la
famille. Ils chantent la Marseillaise et trinquent au champagne. À la liberté
! On enlève le portrait de la famille du tsar dans le salon. On est heureux
qu’elle soit enfin là, la nouvelle ère démocratique.
Quand je lis ces lignes, je me demande comment je dois comprendre tout
cela. Les grands-parents étaient-ils naïfs, ne savaient-ils pas ce qui les
attendait ? N’avaient-ils donc rien compris aux objectifs politiques de leur
gendre, ne voyaient-ils pas qu’il s’agissait surtout pour lui de se débarrasser
des gens comme eux ?
Quelques jours plus tard, on tire des coups de feu. Les gens s’arment de
pierres, fracassent des vitres. La populace déchaînée tente de prendre
d’assaut la maison des riches De Martino. Le gardien réussit à apaiser la
colère du peuple, il est encore du côté de ses maîtres, mais c’est la dernière
fois avant le début des pillages, de l’anarchie, de la terreur, de la peur
constante. Marioupol fait l’objet de luttes entre divers gangs et groupes
politiques, ce sont tantôt les uns, tantôt les autres qui s’emparent du
pouvoir. Les gens se cachent dans des caves et des trous pour se protéger
des tirs dans les rues. Les vainqueurs du moment sont identifiés par un
drapeau qu’ils hissent sur le bâtiment de la banque. Le drapeau du tsar
représente la garde blanche, le rouge les bolcheviks, le jaune et bleu le
nationaliste Symon Petlioura, le noir l’anarchiste Nestor Makhno. Au cours
des cinq années de guerre civile, le pouvoir administratif à Marioupol
change de main à dix-sept reprises. Les plus dangereux sont les vainqueurs
qui se passent de drapeau. Avec eux, il faut s’attendre à des attaques et des
pillages particulièrement brutaux.
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Si j'ai tapé le nom de ma mère dans le moteur de recherche de l'internet russe, c'était un peu par jeu. Au fil des décennies, j'avais essayé à maintes reprises de retrouver sa trace, j'avais écrit à la Croix-Rouge et à d'autres services d'investigation, à des archives et à des instituts de recherche compétents, à des personnes en Ukraine et à Moscou qui m'étaient complètement étrangères, j'avais consulté des listes de victimes et des fichiers jaunis, mais je n'avais jamais réussi à trouver la moindre trace de sa vie en Ukraine, de son existence avant ma naissance.
(incipit)
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Plus j'avançais dans mes recherches, plus je rencontrais des monstruosités dont personne ne semblait avoir entendu parler auparavant. Je n'étais pas la seule qui ignorais tant de choses, parmi mes amis allemands que je tenais pour des gens éclairés et disposant d'une bonne culture historique, personne ne savait combien il y avait eu de camps nazis autrefois sur le territoire du Reich allemand. Certains parlaient de 20, d'autres de 200, certains estimaient qu'il y en avait eu 2000. D'après une étude du Holocaust Memorial Museum à Washington, leur nombre s'élevait à 42 500, sans compter les camps de petite et de moyenne importance. 30 000 d'entre eux étaient des camps de travailleurs forcés.
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