Ce livre est un recueil de six conférences données par
Virginia WOOLF en octobre 1928. J'alerte d'emblée : ne vous laissez pas étouffer ni démotiver par le premier texte, il explique tout le reste, bien qu'il paraisse un brin nébuleux.
L'objet de ces conférences est le rôle de la femme dans la littérature, en particulier anglaise. le texte, tout en étant pédagogique, multiplie les références historiques fort pertinentes, extirpe quelques phrases d'auteurs ou spécialistes hommes de la littérature, qui écorchent sans aucune modération la Femme jusqu'à la caricature, arguant d'une prétendue infériorité chez la gente féminine. Charmant…
Virginia WOOLF revient sur le fait que moins de 50 ans plus tôt, les femmes n'étaient pas propriétaires de leur propre argent. Quant au droit de vote, il est alors récent pour
elles. L'autrice développe peu à peu ses réflexions, entrant dans le vif du sujet, faisant progresser sa pensée. « Peut-être, lorsque
le professeur insiste d'une façon par trop accentuée sur l'infériorité des femmes, s'agit-il non de leur infériorité à
elles, mais de sa propre supériorité. C'est cette supériorité qu'il protège avec tant de
fougue et d'énergie parce qu'elle
lui semble un joyau d'une exceptionnelle valeur ».
Virginia WOOLF se fait plus offensive, plus directe. le miroir de l'homme est la femme, il la voit telle qu'il souhaiterait qu'
elle soit et non pas telle qu'elle est. L'autrice digresse, mais toujours à bon escient, animée par cette volonté, ce besoin d'accéder à l'égalité, y compris dans les arts et la littérature. Les traces d'écrits de femmes en Angleterre sont rares avant le XVIIIe siècle. Parcimonieux au XIXe, ils tendent à se développer au début du XXe. Pourquoi cet oubli ? Parce que l'homme écrase, dirige, que la femme n'est pas considérée comme son égale, qu'elle doit uniquement s'investir dans les tâches ménagères et la vie familiale. Parce qu'elle n'est pas née pour penser, pour diriger son esprit. Certaines des phrases relevées par
Virginia WOOLF font froid dans le dos,
elles émanent d'hommes qui cherchent à garder la lumière sur eux, refusant de partager les arts.
Lorsque
Virginia WOOLF prononce ces discours, les femmes ne possèdent toujours pas en leur demeure un bureau pour
elles, pour écrire dans le calme et la solitude, voilà le sens de ce titre « Une chambre à soi ». WOOLF évoque longuement certaines écrivaines majeures du XIXe siècle : Emily et
Charlotte BRONTË (mais faisant abstraction d'Anne, seul point noir du recueil à mon goût), George ELLIOT et surtout
Jane AUSTEN qui devait se cacher dans sa propre maison pour écrire. WOOLF imagine les idées qui auraient pu être développées si les femmes avaient obtenu une pièce pour s'isoler, dans le calme.
Vient le tour d'écrivaines du XVIe siècle : lady WINCHELSEA et autre Margaret de NEWCASTLE, sans oublier
Aphra BEHN au XVIIe. Ces femmes ont laissé des traces, aussi incroyable que cela puisse paraître, dans la poésie et le théâtre notamment, le roman étant déjà réservé aux hommes, aux mâles dominants. WOOLF imagine si depuis cette période les femmes avaient pu parcourir le monde (si
elles en avaient obtenu l'autorisation), rencontrer plus de gens de diverses cultures, leurs textes se seraient étoffés et
elles auraient enfin pu être reconnues comme égales des hommes. Il n'en a rien été, l'homme a voulu garder la femme dans l'ombre, dans son giron, loin des affaires artistiques.
Comble de l'insolence, WOOLF convoque un texte, certes peu réussi à ses yeux, mais abordant le lesbianisme au début du XXe siècle, elle y voit le premier récit sur ce thème. Je me permets ici une petite intrusion pour signaler au passage que
DOSTOÏEVSKI avait déjà traité ce thème en 1849 (dans le roman inachevé «
Nétotchka Nezvanova ») ainsi que
Guy de MAUPASSANT en 1881 dans la nouvelle «
La femme de Paul », Et il existe sans doute d'autres références. Mais peut-être
Virginia WOOLF fait uniquement allusion à l'Angleterre ou aux écrits de femmes de lettres. Quoi qu'il en soit, ce petit aparté
lui permet de bien mettre l'accent sur les sujets tabous, dont la femme dans la littérature fait partie.
Virginia WOOLF se permet une succincte et imaginaire biographie de la soeur de
SHAKESPEARE qui aurait pu égaler son frangin si elle avait eu comme
lui accès au savoir, puis elle revient avec humour sur certaines légendes concernant l'influence des femmes en littérature.
Un constat :
Virginia WOOLF note que les hommes et femmes de lettres sont alors en grande majorité (intégralement pour ce est des femmes) issus des classes aisées, bourgeoises ou aristocrates, ce qui donne un ton général peu varié. Puis elle porte l'estocade par le biais de l'exemple du poète fasciste (donc encore plus retors que l'écrivain homme en général), en pleine montée du fanatisme en Italie : « Il est à craindre que le poète fasciste ne soit un affreux petit avorton tel qu'on peut en voir dans les bocaux de verre des musées provinciaux. Cette sorte de monstre ne vit jamais longtemps, dit-on ; on n'a jamais vu ce genre de prodige brouter l'herbe d'un champ. Deux têtes sur un seul corps ne sont pas favorables à la longévité ».
Dans ces textes,
Virginia WOOLF fait oeuvre de féminisme, radicalement engagée dans la lutte contre la suprématie masculine au sein des arts, elle voit un avenir certain dans la littérature féminine et/ou féministe, car libérée de certaines de ses contraintes, la femme va enfin pouvoir trouver du temps à consacrer aux écrits. Ce livre est une grande leçon de vie, il permet de mettre le doigt sur ce que, nous les hommes, ne prenons pas toujours bien en compte : l'émancipation de la femme est récente et il a fallu des siècles pour qu'elle puisse plus ou moins librement s'exprimer, nous n'en sommes qu'aux débuts sur le grand calendrier du Temps.
Pour finir, une petite digression personn
elle. Si
Virginia WOOLF fait référence à la littérature plus ou moins contemporaine du pays où elle vit, je vais, et surtout en toute modestie, retourner l'argument, ou plutôt le compléter. Je m'amuse à penser, à partir de cette donnée, à la littérature de mon pays aujourd'hui. Certains écrivains français masculins semblent s'être aujourd'hui étiolés, parlant beaucoup d'eux-mêmes, comme endormis sur leurs lauriers, ils ont souvent un mal
fou à engendrer des idées novatrices sur les problèmes actuels et récents, sur notre monde contemporain. Ils baignent dans les clichés. Mieux : ils viennent parfois critiquer des livres écrits par des femmes, souvent de manière inconsciemment mâle (souvenons-nous du tollé masculin sur le dernier
Virginie DESPENTES ou des réactions pour le moins déplacées après le prix Nobel de littérature attribué à
Annie ERNAUX). Ils ne font plus ni rêver ni réfléchir et je me sens parfois gêné pour eux lorsque je croise leurs arguments, sur les réseaux sociaux ou les interviews notamment. Ils sont sur leur territoire, ont placardé « Chasse gardée », sans même parfois s'en rendre compte. Ils sont exsangues d'innovation, ont perdu de leur envergure, sonnent creux (pas tous fort heureusement) En revanche, dans le même pays, les idées les plus novatrices, les moins nombrilistes émanent de plumes tenues par des femmes. Les exemples sont nombreux. L'Homme de lettres est peut-être sur le déclin,
la place est enfin en partie libérée pour que la Femme puisse mettre ses réflexions à exécution.
Ce texte de
Virginia WOOLF est d'une grande richesse, il doit être lu, y compris et surtout par nous les hommes, pour nous déconstuire.
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