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3,82

sur 751 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ce roman est un chef d'oeuvre et a suscité une remarquable postérité, influençant, entre autres, le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley et 1984 de George Orwell. C'est un chef d'oeuvre et par son contenu, et par sa structure, et par son style.
Côté contenu, ce roman écrit en 1920 est d'une incroyable modernité tant dans son sujet que dans le traitement de celui-ci. L'histoire se passe dans un futur lointain, après une guerre de deux cents ans qui a opposé villes et campagnes. Les survivants se sont enfermés dans une mégapole entourée de vastes murailles. Au moment du récit ce monde est régi par la logique mathématique et la géométrie. Dans ce monde, les noms et prénoms ont disparus, remplacés par une lettre (une consonne pour les mâles, une voyelle pour les femelles) et des numéros. L'individu n'existe plus. le narrateur, D-503, est le pur produit de cet Etat, il est mathématicien et ingénieur, chargé de la construction de l'Intégrale, un vaisseau spatial destiné à apporter leur civilisation jusqu'aux confins de l'univers. Il est aussi chargé de rédiger un journal décrivant leur civilisation pour porter la bonne parole aux extraterrestres. Tout le roman consiste en ce journal. Au début, D-503 est intimement convaincu de la beauté de son monde, du niveau suprême de civilisation atteint, pour lui la disparition des libertés individuelles est perçue comme un progrès et non comme un défaut. Il s'extasie sur la beauté géométrique des immeubles, sur la pureté de leur ligne. Il écrit et pense comme un pur produit du système. Toute vie spirituelle a disparu, même la musique est composée par des machines en suivant des formules mathématiques. Tout le récit nous présente le point de vue intérieur de D-503 qui écrit pour faire connaître aux extraterrestres la vie quotidienne, l'organisation sociale, les coutumes, bref, tout sur ce monde sous le régime de l'État unitaire.
L'histoire se déroule pour l'essentiel dans deux lieux. Une vieille maison musée d'autrefois, pleine de recoins et de surprises, et un appartement tout de verre transparent. Toute la ville est d'ailleurs de verre, transparente. Cette idée de transparence (que l'on retrouve au passage dans le mot « Glasnost » !) est tirée d'un autre roman, assez quelconque, « Que faire ? », écrit par Tchernychevski en 1863 et qui a été le livre de chevet de plusieurs générations de révolutionnaires russes dont Lenine qui a repris ce titre en 1902 pour son traité politique.
Mais un grain de sable s'introduit, D-503 rencontre un numéro femelle imprévu et très progressivement va naître une attirance, illogique, et des sentiments. Il considère que l'apparition d'une pensée, d'une âme individuelle, est une sorte de maladie.
Impossible à la lecture de ne pas faire le lien avec l'URSS au temps de Staline ou avec le Reich hitlérien : même disparition de l'individu au profit d'un Homme nouveau modelé par une idéologie soi-disant scientifique et par la surveillance constante des populations. Zamiatine, en écrivant ce qui est la première dystopie, est fascinant, tant il a senti les enjeux des totalitarismes du futur. Il ne faut pas cependant oublier qu'il a fort probablement pris aussi modèle sur le taylorisme qu'il a découvert en Angleterre en y travaillant à fabriquer des navires pour la flotte russe.
Nous, c'est le groupe, opposé à Je, l'individu. Mais c'est aussi Nous, notre groupe ou Moi et mon groupe, opposé à Eux, les autres. En russe les deux s'emploient très couramment sans préciser le contexte. En français l'emploi du nous opposé à eux sans préciser le contexte est assez rare (Nous les … ou Moi et les …, nous ...). D'où les deux traductions possibles pour le titre. Personnellement je me rappelle une conversation en russe avec des Géorgiens en France où j'ai du leur faire préciser le sens de «nous», le contexte indiquait une opposition aux Français, ou aux Occidentaux mais je n'arrivais pas à déterminer si son «nous» désignait les Géorgiens ou les habitants de l'ancienne Union Soviétique. Nous étions en 1998, et il m'a répondu après un temps de réflexion que c'était les Soviétiques!
Non content de nous livrer une oeuvre forte par son contenu, Zamiatinenous l'offre avec une écriture remarquable : le style de D-503 évolue peu à peu avec le narrateur, nous offrant des images remarquables, de splendides métaphores qui font de certaines pages de purs moments de poésie. L'évolution du style est très progressive, par petites touches, plus nombreuses et plus importantes au fil des chapitres.
Ce roman oublié est pour moi un chef d'oeuvre oublié de la littérature mondiale. Il faut dire que la première traduction qui ne passe pas par l'intermédiaire de la traduction anglaise date seulement de … 2017, donc très peu de temps avant le centenaire de l'original !
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« Nous (autres) » n'est pas seulement, comme on serait tenté de le croire, une critique du système totalitaire en gestation dans la Russie des années 1917-1920 (date de la parution de l'oeuvre). C'est le procès de tout modèle quantophrénique, de toute « gouvernance » par les nombres comme dirait Alain Supiot, de toute prétention politique à rationaliser : le travail d'abord mais, plus encore, la vie même dans toutes ses dimensions.

On aurait tort de penser que c'est là le procès du seul régime soviétique, même si Evgueni Zamiatine a effectivement en ligne de mire ces dérives qu'il (lui qui fut bolchévique et participa à la Révolution d'Octobre) craint de voir se réaliser avec le durcissement du régime. On aurait tort de ne lire ce texte que comme un samizdat parmi d'autres, n'ayant d'autre portée que la critique d'une dictature prétendument prolétarienne, en réalité nouveau capitalisme d'Etat. Précisément :

Si « Nous » est considéré comme l'oeuvre séminale dont sortiront « 1984 », « le Meilleur des mondes » et autres dystopies brillantes tant elles sont éclairantes, c'est que sa portée est bien plus large : Zamiatine souligne ici les effets déshumanisants de toute prétention à la rationalisation du vivant humain (et d'ailleurs ; on est en droit de le penser désormais, du vivant tout court), de ce que l'on pourrait nommer, pour parodier Taylor (le grand accusé de ce roman) de toute volonté d'organisation scientifique de la vie.
Or, elle est actuellement à l'oeuvre, autant qu'elle le fut en Union soviétique, dans nos sociétés prétendument libérales où l'individu est inéluctablement et de plus en plus réduit à une somme d'informations chiffrées, et même numérisées « grâce » aux algorithme qui nous observent et, progressivement, nous orientent, nous dirigent, bref nous gouvernent de plus en plus dans chaque sphère de notre vie : du travail à la consommation, et jusqu'à nos représentations les plus fondamentales sur ce que c'est que d'être en bonne santé, d'être heureux, d'aimer, de créer, etc., synthétisant par accumulation et concaténation de données chiffrées les voies à suivre.

Quant à la démocratie : elle n'est que de façade, en réalité aux mains des lobbyistes qui s'activent pour faire élire leurs poulains, ceux-là même qui prônent l'homme asservi au « projet » consumériste sans conscience, homme nécessairement, toujours, sans cesse qualifié de « nouveau », c'est-à-dire adapté, régénéré, amélioré, inconscient de ses limites, certain de ses vérités, sûre de sa supériorité et futur colonisateur de nouveaux mondes où il ira distiller son même poison.

De « Propaganda », d'Edouard Bernays (le père de la propagande actuelle), en passant par « le viol des foules par la propagande » de Serge Tchakhotine, « La fabrique du consentement » de Noam Chomsky, « Se distraire à en mourir » de Neil Postman, ou encore « Principes élémentaires de propagande de guerre » d'Anne Morelli, en ce qui concerne le lavage de cerveau ; et des écrits de Samuel ButlerDétruisons les machines »), à ceux de Evgeny Morozov (« le mirage numérique », « Pour tout résoudre cliquez ici ») en passant par les travaux de Bernard Charbonneau, et Jacques Ellul sur le système technicien, de David Noblele progrès sans le peuple ») de Neil PostmanTechnopoly ») ou encore d'Eric SadinL'intelligence artificielle ou l'enjeu du siècle ») et de Jean Michel BesnierL'homme simplifié par exemple ») concernant l'aliénation complète (jusqu'à la dépossession de notre pouvoir d'agir et de décider) il faut être soit un idiot soit un idéologue (…) pour continuer de prétendre que nous vivons dans le « monde libre ».
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Le roman d'Evguéni Zamiatine est à l'origine du « 1984 » d'Orwell. Personnellement, j'ai préféré « Nous », car il est plus subversif. On lit le journal de D-503, un habitant d'une ville enclavée dans une nature luxuriante – car pour préserver la nature, les hommes se sont enfermés dans des villes minérale et n'approchent plus du tout la forêt qui les entoure. D-503 est un homme bien intégré dans la société de l'État Unique qui régit mathématiquement la vie de chaque citoyen. le bonheur, selon l'État Unique et son dirigeant, le Bienfaiteur, vient de la précision, de la prévision et de la répartition égale. Les citoyens vivent dans des tours de verre d'où ils sont vus par tous et voient tous les autres. le regard de l'autre exerce une surveillance aussi efficace au moins que celle des Gardiens, ces espions qui surveillent les citoyens.
D-530 est heureux jusqu'à ce qu'il rencontre I-330, une femme qui s'est libérée du joug mathématique et qui veut introduire l'imprévisible dans cette société trop bien huilée. Gagné petit à petit par une attirance hors de contrôle pour I-330 puis par ses idées, D-530 résiste, comparant ses déboires d'homme en passe de se libérer à la douceur de sa vie d'avant.
Car, autant dans « 1984 », Orwell décrit un monde appauvri, sale, dans le déni, autant Zamiatinenous décrit un monde lumineux, ensoleillé, calme où les gens forment un ensemble complet. C'est cette tension entre l'inacceptable totalitarisme et la recherche du bonheur dans la soumission qui rend « Nous » tellement intéressant.
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Quelque part, et je ne me souviens pas où, Gérard Klein a comparé "Nous Autres" de Eugène Zamiatine à "1984" de George Orwell, à "Le meilleur des mondes" d'Aldous Huxley et à "Limbo" de Bernard Wolfe.

Mais l'auteur a oublié de mentionner "Hymne" de Ayn Rand.

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Publié en France en 1929 à partir d'une traduction anglaise (!), le livre ne sera jamais, avant cette édition, repris à partir du texte russe d'origine. C'est dire qu'on peut remercier Actes Sud de ce Nous qui nous restitue au plus proche de l'oeuvre cette dystopie très en avance sur celle d'Orwell - qui en repris une grande partie du scénario. Evgeni Zamiatine fait partie de ces auteurs des années du début du règne bolchévik que la dictature de Staline a fini par complètement étouffer vers le milieu des années 30. Un grand livre, un classique de la littérature mondiale.
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Le Journal National réclame de la propagande : "des traités, des poèmes, des proclamations, des manifestes, des odes, etc." à la gloire de l'État Unique. le journal de bord du Constructeur de l'Intégral, D-503, dont la mission est de promulguer la bonne parole, de déployer l'artillerie du Verbe, d'intégrer les immensités de l'univers dans cette grande machine de verre qu'est l'État Unique, est un écrit controversé que l'État Unique a décidé de publier, d'intégrer, pour mieux le désintégrer. On l'intègre et on le digère ce journal, après l'avoir bien mastiqué, en rythme.

D-503 en un homme de chiffres, un ingénieur, qui apprécie la musique mathématique, le syllogisme, la pensée logique, et le lecteur est en droit de s'attendre à un rapport méthodique. Or, il se laisse séduire par la poésie, par la métaphore, lui qui aime tant les associations d'idées mais ses associations sont-elles logiques ? Dès qu'il rencontre un autre numéro, il oublie le numéro et décrit la lettre qui précède le numéro ( l'essence précède l'existence chez lui). O-090 est une femme qui a l'air toute ronde, il lui manque néanmoins quelques cm pour avoir la Norme Maternelle, et ses lèvres affichent toujours une expression de surprise; I-330 est une femme fine, tranchante, droite, S se replie sur lui-même etc. Les apparences sont parfois trompeuses mais les numéros ne sont-ils pas censés être transparents? D-503 ne dresse pas son autoportrait, mais il décrit cette caractéristique qu'il a d'avoir des mains velues, animales, qu'il déteste parce qu'elles s'écartent de la norme esthétique. Et l'esthétique de son rapport scientifique s'en ressent, ses mains velues l'amènent à écrire de manière de plus en plus libre, un double bestial, incontrôlable, s'empare parfois de lui. D-503 relève les caractéristiques des numéros qui dérangent, il voit des erreurs partout, des taches sur les uniformes, sur les papiers. Il ferait un bon Gardien, lui qui remarque en permanence tout ce qui cloche. D'emblée, il remarque un X sur le visage de I-330. Il détecte une anomalie dans le système. A partir de cette rencontre, il y a comme un bug dans le programme. Et Nous Autres s'éloigne de plus en plus du programme initial. L'apologie de l'État Unique s'éloigne dangereusement du sujet.

Mais D-503 déclare qu'il aime l'État Unique, alors, on accepte de le publier malgré quelques propos douteux. Il s'intéresse de près à la politique et il en résulte un traité à la gloire de l'État Unique.

Étant un numéro, on ne peut qu'être heureux, on ne peut que vivre dans la transparence d'un monde de verre, de cristal, de diamant. Zamiatine publie son texte en 1920 et M. Foucault publiera en 1975 dans Surveiller et Punir qu'une utopie parfaite serait possible dans un monde où la surveillance serait totale, où tous les êtres seraient transparents, où personne n'aurait rien à cacher, ayant la conscience tranquille. On ne vit pas entre des murs mais entre des vitres dans Nous Autres et tout le monde accomplit les mêmes gestes à la même heure, suivant les préceptes de Taylor qu'on applique à l'échelle de toute la société ( pas seulement dans le milieu professionnel). le système cellulaire, où chacun est une cellule, un numéro, isolé, est intégré dans le corps social, réparti dans les Tables, alors l'homme n'est pas libre puisqu'il est intégré, ingéré, mais attention ! Ne parlons pas de “l'état sauvage de la liberté” . Heureusement, Zamiatine nous décrit un monde où l'on soumet au joug bienfaisant de la raison absolument tout, même le non raisonnable, même les numéros, ces nombres irrationnels.
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Très belle découverte que ce roman d'anticipation (avant Huxley, avant Orwell), et ce alors que je ne suis pas un grand lecteur de SF. On est très vite plongés dans un monde qu'il nous faut décrypter, on a le sentiment d'avoir entre les mains un message venu d'ailleurs, un code. On voudrait le relire plusieurs fois pour être sûr d'en déceler les messages cachés, les intuitions philosophiques et les critiques directement politiques. Un livre intelligent et plein de poésie. Un ovni et une bombe réflexive.
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D-503 vit dans un monde où chaque heure de la journée est programmée : activités, travail, sexe. Il n'existe aucune liberté individuelle, aucun libre arbitre. Les sentiments n'ont pas leur place dans cet Etat autoritariste car l'individualité est le danger, l'uniformité est le bonheur. Il va croiser une dissidente, I-330, qui a bouleverser sa routine et ses croyances. Il va être le dénominateur de la rébellion. Un pamphlet contre la religion, l'Etat, l'autoritarisme, la dictature au nom de la recherche du bonheur pour tous. Un thème qui m'a fait penser à George Orwell et Aldous Huxley.
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Même s'il est dans ma bibliothèque depuis longtemps, je n'avais jamais lu ce classique de la dystopie, écrit en 1920. C'est vraiment une très bonne surprise parce qu'on y retrouve toutes les caractéristiques du genre concernant les thèmes traditionnels de l'utopie depuis Thomas More (le travail, les vêtements, l'architecture, la famille, la sexualité...). Zamiatine offre une critique visionnaire du totalitarisme, étonnamment toujours très actuelle. Ce livre est injustement méconnu si on le compare à 1984 et au Meilleur des mondes, à qui il est évident qu'il a servi de modèle.
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Dans le monde futuriste imaginé par Zamiatine en 1920, D-503, inventeur du vaisseau spatial l'Intégrale', est malade. Il a développé une âme, le raconte avec humilité et sincérité.

Et bon Dieu que c'est beau! Beau comme peut l'écrire un amoureux, pourtant ici déchiré entre les tentations d'I, femme rebelle et les lois de son monde euclidien parfait, du monde tayloriste où la meilleure façon d'empêcher un homme de commettre un crime est de le priver de liberté.

On se sent envahi de compassion, de tendresse.
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