Une bombe atomique ! Le génie de la littérature condensé en 350 pages ! Des phrases courtes et ciselées, des intrigues qui laissent rêver, de la mélancolie sans mièvrerie, il y a toutes les palettes des sentiments qu’on peut imaginer pendant l’émigration d’un enfant doué.
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Au départ, l'arrivée d'un Blanc famélique dans un village de Zanzibar dont on connaît habitants et habitudes : puis le récit ( «Désertion » (2005), titre traduit en français par « Adieu Zanzibar », devient complexe, avec huit épisodes enchâssés avec des narrateurs différents : des couples et leurs intrigues amoureuses, des frères etc.
L'art des digressions maintient et même renforce l’intérêt du lecteur d'autant qu'il s'aperçoit que les chemins le mènent plus avant dans la connaissance du milieu colonial de Zanzibar de 1899 à 1914, puis en 1961. On parcourt les itinéraires de Zanzibar au Kenya, puis à Londres, à la suite des différents protagonistes d'origines et de cultures diverses, ce qui compose une fresque éclairante sur les êtres, les sociétés et les aventures individuelles.
On a même l'impression de vivre une expérience de l'auteur, terreau fertile, puisqu'il développera avec des variantes un récit personnel dans « Gravel Heart »(2017) que j'ai eu la bonne idée de lire.
Les champs politiques, sociaux, culturels sont parcourus sous le signe de fictions prenantes qui, tels des fils bien tressés, trouvent en fin de volume, un point d'arrivée : on découvre que les belles histoires avaient des souterrains labyrinthiques dont Gurnah tenait le fil d'Ariane.
On saisit alors la complexité des situations et leur retentissement ultérieur sur les choix individuels, des décennies plus tard :
Un travail de maître conteur, à savourer - et à poursuivre ! (j'en suis à mon 4e livre de Gurnah : Paradise (1994) Gravel Heart,(,017), Dottie (1990) et Desertion (2005).
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Du pour et du contre ! Prix Nobel ou pas, je remets toujours les compteurs à zéro avant de lire et donner mon avis personnel.
J’ai apprécié le dépaysement total en étant plongé dans une Tanzanie que je ne connaissais pas du tout, à la fois socialement oppressante mais très pittoresque. J’ai admiré le talent de l’auteur pour exprimer finement et délicatement tous les sentiments, qu’ils soient familiaux ou amoureux, aussi le récit de l’arrivée de Rashid à Londres et ses difficultés pour y faire sa vie dans un contexte si différent de son pays natal.
Mais on commence par ronger son frein un bon moment, quand l’introduction, bonne au demeurant, ne débouche sur quasiment rien pendant presque cent pages, on piétine ! La deuxième partie, presque une histoire indépendante, est heureusement un peu plus dynamique. Et la troisième partie est assez intéressante malgré les doublons dans les récits de chacun des deux narrateurs. C’est complémentaire, oui mais avec beaucoup de redites.
Quant à la traduction française de Sylvette Gleize, il y a beaucoup à en dire : souvent élégante, avec un vocabulaire riche, avec une volonté évidente de plaire, mais qui tombe régulièrement dans l’excès de préciosité : inverser l’ordre sujet-verbe-complément peut quelquefois avoir un effet poétique mais bien plus souvent très lourd et maladroit, en voici un exemple parmi d’autres, page 290 :
“Malgré mes efforts, ne me revient aucun des mots qu’ils ont prononcés.”
Eh bien, moi, je trouve ça tarte et prétentieux. Maladroit aussi le fait d’utiliser le verbe “s’attendre” comme s’il était transitif, sûrement une traduction mot à mot de “to expect that”. Non en français, on ne s’attend pas “que” mais “à ce que” !
J’ai noté aussi une virgule malencontreuse, disons ”mal, placée”... Un manque de relecture chez l’éditeur, surtout pour un Prix Nobel, dommage.
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Abdulrazak Gurnah, un nom, un écrivain venu à ma connaissance grâce au Prix Nobel de Littérature 2021. Étrange que ces deux dernières années deux lauréats , deux noms avec celui de Louise GLück, écrivain et poète qui semblent sortis de nul part, du moins pour moi.
Originaire du Zanzibar, musulman orthodoxe sunnite, Gurnah vit en Angleterre. Ce livre acheté peu après son prix, je l'ai choisi pour son sujet qui semble aussi celui de la majorité de son oeuvre, la condition d'un émigré noir dans un pays colonialiste, en l'occurrence ici l'Angleterre. Et dès les premières pages Gurnah attaque avec le médecin blanc qui le (le narrateur, je suppose son alter ego), diagnose sur la base de la couleur de sa peau , se trompant d'ailleurs de continent 😁 en le catégorisant d'Afro- caribéen. Très vite je suis happée par une langue lumineuse, simple et puissante d'une ironie mordante. Il n'y va pas par quatre chemins pour abattre les arguments de bienfaisance avancés par le colonisateur pour justifier ses actes vils , « Et notre part de cet engagement était d'être colonialisé, assimilé, éduqué, aliéné, intégré, subir des chocs de culture,gagner un drapeau et un hymne national, devenir corrompu, crever de faim, et se plaindre de tout cela. *»
Sa compagne Emma , une anglaise de la classe moyenne, dont les parents « adorent » l'opéra 😁, est toujours présente pour lui rappeler ses origines, particulièrement quand elle est fâchée avec lui 😁! Quand aux -parents c'est une autre paire , le père xénophobe le nommant de « darky » à leur première rencontre.
L'humour décalé de Gurnah est irrésistible , et je pense que c'est la meilleure arme pacifique pour lutter contre la bêtise humaine, ici de surcroît le racisme et ses préjugés atteignant une impolitesse de niveau puérile. Ses conversations avec le beau-père avocat, qui est resté dans les fastes de l'Empire, cet Empire qui a apporté la civilisation aux cannibales 😁, et dans le retrait a été un désastre ( en vérité oui un désastre mais pas dans le sens qu'il l'entend 😆) sont hilarantes , surtout que ce dernier est incapable de déceler l'intelligence pleine d'humour du gendre.
Le narrateur se plonge dans le grenier à mil de ses souvenirs, dans cette vie laissée derrière lui, pour la confronter à sa vie actuelle, modifiant la version de son propre passé racontée à sa compagne. Déjà affligé de son destin d’immigré coincé entre deux cultures et deux continents, la désillusion et les circonstances de son retour au pays après vingt ans, va rendre sa situation encore plus complexe.
L'admirateur du silence va causer des dégâts sur les deux continents…..
Les jurés du Nobel ont eu le mérite d'avoir distingué un auteur qui raconte avec brio ce que signifie être loin de son propre peuple et devoir affronter jour après jour le mépris constant d'un monde occidental qui se considère comme supérieur. le dilemme étant que le retour au pays n'est plus un choix meilleur. Un sujet plus qu'actuel ! La structure du livre est aussi intéressante, que je vous laisse découvrir car l'expliquer serait aussi dévoiler un pan de l'histoire. Cet auteur nobélisé est une belle découverte, et même si ce livre-ci n'est pas encore traduit en français, mais je pense le sera très prochainement , vous pouvez l'aborder avec ses deux autres livres traduits.
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J'ai commencé par lire "The last Gift", écrit en 2011, puis celui-ci "Admiring Silence", écrit en 1996.
J'ai trouvé The last Gift mieux construit, mieux romancé que "The Admiring Silence". En effet, "The Admiring Silence" déborde d'informations et de réminiscences sur Zanzibar, le départ des Anglais, le coup d'état qui a suivi peu après, le chaos qui s'ensuivit et la nouvelle République, le retour possible au pays et l'état déplorable du pays. Notre héro ne fustige pas le colonialisme, bien au contraire, il dénonce la corruption qui a suivi, les mariages forcés, la violence et les mauvaises conditions de vie des habitants dans ce pays qu'il a fui et dans lequel il aura l'occasion de revenir.
Le livre est découpé en deux parties, dans la première nous découvrons notre héro, son arrivée en Angleterre, sa rencontre avec Emma, avec qui il se met en couple, et l'arrivée de leur fille Amelia. On découvre ses difficultés à vivre en Angleterre, ses remises en questions et ses mensonges concernant sa famille d'origine restée à Zanzibar.
Dans la seconde partie, lors de son retour au pays, nous découvrons ce qu'il en est réellement de sa famille et de la situation à Zanzibar. le pays souffre de multiples maux et le tout est très bien décrit par l'auteur, avec un léger humour décalé.
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Qui connaissait Abdulrazak Gurnah avant que le prix Nobel de littérature ne lui soit attribué en octobre 2021 ? Nul ne savait que ce distingué professeur de lettres de l’université du Kent, en Angleterre, après avoir fui très jeune son île natale, Zanzibar, en raison de persécutions ethniques, avait produit une œuvre romanesque importante dont seuls deux titres, récemment réédités, sont disponibles en français.
Son dernier roman, Afterlives, nous transporte dans un univers méconnu du public français, la ville portuaire d’un pays indéterminé de l’Est africain, au temps de la colonisation allemande et de la 1ère guerre mondiale. Dans ce qui pourrait être un « Guerre et paix » africain, nous suivons le destin de plusieurs protagonistes, enrôlés pour deux d’entre eux dans les troupes coloniales indigènes allemandes, les Schutztruppe ou Askaris, à la discipline impitoyable, où les recrues sont instrumentalisées pour semer la terreur, la mort, le pillage et la désolation dans leur combat pour asservir les populations locales et affronter des troupes coloniales adverses au service des Belges, Portugais et Britanniques. Parmi eux Hamza, qui a rejoint ces rangs, très jeune, pour fuir le travail forcé, est un rêveur qui a fait le mauvais choix. Remarqué par un officier supérieur allemand pour sa belle prestance et son instruction, il en devient l’ordonnance et se voit imposer d’apprendre la langue de Schiller, justement pour devenir capable de lire ce poète, selon du moins l’objectif fixé par son mentor.
Car pour Gurnah, la colonisation comporte son lot d’ambiguïtés. Imposant à l’Afrique ses querelles européennes, elle s’y livre à son œuvre barbare de guerre, de déshumanisation et de destruction. Mais elle apporte aussi avec elle l’instruction, la possibilité de faire des études, une approche moderne de la médecine, plus efficace que les guérisseurs traditionnels, la culture et donc même la poésie, comme en témoignent les anthologies de Schiller et Heine, offertes à Hamza en des occasions distinctes. Ce qui sauve la plupart des personnages du roman est l’atout de savoir lire, écrire, compter, et même pratiquer plusieurs langues.
Quand la paix revient dans la vie des gens simples, tolérants et généreux, mais aussi éduqués, comme le comptable Khalifa, une existence ordonnée et paisible reprend ses droits. Ce dernier, soutenu par sa femme Bi Asha, prend sous son toit une fillette maltraitée, Afiya, quasi adoptée par le couple, puis recueille Hamza, rescapé de la déroute des Askaris pendant laquelle il a été gravement blessé par un officier allemand ivre de violence. Travail, vie sociale, bavardages entre amis, pratique religieuse modérée et sans excès, tout contribue à rendre possible l’idylle entre Afiya et Hamza, devenu menuisier chez le patron de Khalifa. Les caractères sont nuancés et ne présentent pas que des qualités, l’un est un râleur sarcastique, l’autre une mauvaise langue, le marchand âpre au gain n’hésite pas à s’enrichir dans la contrebande. L’évocation de cette société donne aussi à l’auteur l’occasion d’une réflexion sur la condition féminine en pays musulman, sur les limites de la médecine traditionnelle, sur une piété purement sociale, sur les enjeux de la modernisation.
Avec ce roman écrit dans un anglais ouvert au multilinguisme, les mots swahilis et allemands n’étant pas traduits, Gurnah oppose l’inhumanité coloniale et guerrière à la simple humanité des gens ordinaires, la barbarie s’étalant du côté de la prétendue « civilisation » jusqu’à l’épilogue des crimes racistes nazis. Cependant rien n’est manichéen dans cette chronique empathique de destins individuels, d’un continent et d’une culture à l’autre, où perce parfois une ironie désabusée.
Le mot de la fin est laissé au jeune Ilyas, hanté dans son adolescence par des voix angoissantes, qui plus tard l’inspireront et le pousseront vers l’écriture, peut-être une belle image du parcours d’Abdulrazak Gurnah.
Lu en V.O, le livre n’étant pas encore traduit en français.
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Une grande découverte qui m a comblée , lisez cet auteur pour lequel je n'arrive pas à trouver de qualificatif adéquat , d ores et déjà dans mes top favoris , c est un formidable raconteur d histoire , sensible et touchant .
Ce roman n est pas encore traduit en français mais il y a bcp d autres titres qui le sont ea « paradis « , » près de la mer .. «
J avais Téléchargé ce livre (car indisponible en version « papier « a l époque )lors de l attribution du prix Nobel 2021 à cet auteur que je ne connaissais pas du tout , depuis lce roman languissait dans ma PAL.
Après La lecture du merveilleux Copperhead de B Kingsolver j errais ,ne pouvant choisir le roman suivant à lire , qui serait « à la hauteur « de ce roman que je venais de reposer .
Et bingo
Lisez l excellente critique de Miriam sur Babelio :beaucoup mieux que ce que je pourrais faire (en vitesse comme d habitude )
Avec un Style éblouissant , le mot juste , concision , phrases percutantes sans en avoir l air,
L auteur nobelisé nous emmène dans les colonies allemandes en Afrique de l'Ouest avant la grande guerre de 14-18
Ce sont les « colonisés « qui parlent et qui décrivent les événements , ceci sur un mode narratif s en tenant aux faits , sans jugements ni auto -apitoiement , les mots et la narration se suffisent à eux mêmes, pas de fioritures ni chichis .
:j ai téléchagré tous les romans de cet auteur !
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Un lauréat du prix Nobel, ça crée toujours de grandes espoirs. D'abord quelques commentaires positifs. Gurnah est un conteur né, c'est clair : il suit un nombre limité de personnages dans une histoire plus ou moins chronologique, mêlant descriptions, dialogues et réflexions. Donc, pas d'expériences ici, et cela en soi est peut-être un soulagement. De surcroît, tout le décor de ce roman est assez séduisant car peu connu des Européens blancs : la communauté des Indes en Afrique de l'Est, dans la première moitié du XXe siècle. Gurnah évoque la vie dure dans cet environnement très diversifié, avec des racines qui vont très loin à la fois localement et internationalement. Et c'est rafraîchissant. L'influence perverse de la colonisation occidentale est également mise en évidence, avec notamment les impitoyables Allemands comme coupables, tandis que les Britanniques s'en tirent remarquablement bien.
Puis les inconvénients. Ce livre manque un thème centrale : surtout au début, Gurnah saute de protagoniste en protagoniste, se concentrant principalement sur le tourmenté Hamza, un volontaire africain dans le corps colonial allemand ; son histoire est captivante dépeinte. Mais à la fin, Gurnah tombe soudainement dans un résumé sec des efforts du fils de Hamza pour retrouver l'oncle dont il porte le nom, une recherche qui le mène dans le passé de l'Allemagne nazie. Cette rupture de style est bizarre, comme si Gurnah ne pouvait pas tout à fait terminer sa narration.
Donc, ce n'est certainement pas un mauvais livre, mais il a un certain nombre de problèmes. Je dois admettre que j'étais un peu déçu, étant donné ce prix Nobel.
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Lu en anglais. Au départ j'ai pensé à Zola, car la pauvre Dottie part bien mal dans la vie. Une fois réglé le sort d'une mère africaine mal intégrée en Angleterre, et avouons-le, à la dérive, Dottie se charge, avec générosité et abnégation, d'éduquer son petit frère Hudson, et sa cadette Sophie. Ils lui donnent bien des soucis... En même temps elle tente d'améliorer sa condition matérielle et sociale, ce qui est malaisé dans un contexte misérable.
Dottie nous intéresse, on partage sa volonté de s'en sortir, ainsi que ses soupçons sur autrui, ses appréhensions sur la conduite des siens, ses propres craintes : on pense alors à Dickens.
Alors que tout était vu par les yeux de Dottie, d'autre personnages rencontrés, pour le bien ou le moins bien, vont devenir eux mêmes des raconteurs de leurs propres histoires. C'est alors qu'on se réfère aux « mille et une nuits » : l'horizon s'élargit, l'intérêt s'accroît pour des migrants en mal ou en quête d'identité, qui se heurtent au racisme et au rejet (parfois choisi). de brèves notations situent parfois l'intrigue dans le contexte historique international, pour ancrer et élargir le récit.
Grâce à une habile construction, l'intrigue forme une boucle. Beau parcours.
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Gravel heart, Gurnah.
Avec ce titre shakespearien « Gravel heart » (« Ô cœur de pierre ! » Acte 3 sc 4 de « mesure pour mesure »,) Gurnah nous donne une œuvre qui traite à la fois des liens familiaux, de la condition d'un immigré dans le pays colonisateur, et du contexte politique du pays d'origine.
Si on ajoute à cet aperçu que le roman est écrit à la première personne, et renvoie sans doute à la biographie de l'auteur lui-même, quittant Zanzibar pour l'Angleterre avant de revenir à Zanzibar, on aperçoit les multiples facettes de ce roman attachant.
Salim vit dans un cocon familial éclaté, et il ne saisit pas la clé des comportements hors normes de ses parents : père séparé, mère affranchie (?), objets de racontars dont il ne saisit pas la portée. C'est le volet inquiet de l'enfance.
Par la suite, un oncle l'emmène en Angleterre, où il ressentira l'exil, les illusions perdues d'une formation éducative, et sentimentale. Volet d'un roman de formation nourri de rencontres diverses et d’expériences, parfois amères.
Enfin le troisième volet est le récit du père, qui lève bien des mystères, en instaurant un dialogue confiant, et peut-être une sérénité.
J'ai retrouvé dans cette œuvre la clarté d'un récit explicite et intéressant, des personnages parfois/souvent ambivalents, des situations prenantes, des narrateurs sincères avec lesquels on fraternise ...
- et des références littéraires, mentionnées (Dickens, Shakespeare, Graham Green) qui ouvrent des horizons aux esprits curieux
Un régal pour le lecteur anglophone, et une clé pour découvrir tant des univers intérieurs que des sociétés, agitées de courants souterrains.
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Gravel Heart, est un roman écrit en 2017, par l'écrivain Tanzanien-Britannique Abdulrazak Gurnah, prix Nobel de littérature 2021.
Encore un excellent roman de Abdulrazak Gurnah. On y retrouve ses thèmes récurrents : la vie à Zanzibar (ici, à une époque plus récente), la présence d'un "oncle" qui impacte la vie du narrateur, la vie d'étudiant émigré en Angleterre, les secrets de famille, …
Quelques différences notoires : à mon regret, l'humour que j'avais tant apprécié dans d'autres romans de Gurnah n'est pas présent dans celui-ci. Par contre, l'histoire est mieux organisée, en trois grandes parties, sans digression sur la vie d'autres personnages annexes. Et il y a une réelle intrigue concernant le secret de famille.
La première partie nous raconte l'enfance du narrateur, assez triste, car son père a quitté la maison sans explication et l'enfant ne s'entend pas avec "l'oncle" omniprésent, le frère de sa mère. Déjà, il pressent qu'il y a des choses qu'on ne lui dit pas.
La seconde partie relate la vie du narrateur en tant qu'étudiant étranger en Angleterre. Il est tout d'abord accueilli par son oncle qui s'est installé en Angleterre, mais il galère dans ses études et dans ses relations avec la famille de son oncle. Il décide alors de se débrouiller seul et d'étudier la littérature. Il tombe amoureux, d'une jeune fille d'origine indienne mais n'est pas accepté par la famille qui le traite de "muslim nigger".
Enfin la troisième partie raconte son retour au pays après le décès de sa mère qui s'était mise en ménage avec un homme du pouvoir avec qui elle avait eu une petite fille. C'est lors de ce retour qu'il peut enfin confronter son père et se faire raconter la débâcle de sa famille des années auparavant. L'histoire est tragique, je ne vais pas la dévoiler ici, Gurnah nous laisse parfois entrevoir un indice durant la narration des deux premières parties mais je n'avais pas deviné toute l'horreur ni le cynisme de la situation.
Après ces révélations, le narrateur décide de rentrer en Angleterre.
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Gurnah combine une histoire de passage à l'âge adulte avec celle d'un drame familial, une évocation de la vie dans un pays africain après la décolonisation et la vie d'un jeune migrant en Angleterre. Ingénieusement fait. À travers le personnage principal Salim, qui grandit à Zanzibar, il nous présente beaucoup d'introspection, qui vous entraîne en tant que lecteur dans les événements que Salim doit subir et les émotions d'aliénation et d'abandon qu'il ressent. En Angleterre, Salim réussit à prendre son destin en main, mais ce n'est qu'à la fin qu'il devient clair à quel point sa vie est dominée par un événement de sa jeunesse. Gurnah a également réussi à établir un parallèle clair entre l'abus de pouvoir en Afrique décolonisée et l'abus de pouvoir antérieur sous le colonisateur anglais lui-même. En raison de la douceur de la narration, vous remarquez à peine tout ce que l'auteur a mis dans ce livre, jusqu'à et y compris l'intrigue shakespearienne.
Donc ça vaut vraiment la peine. Seulement, à la fin il y a quelque chose d'artificiel dans l'histoire très détaillée et construite du père de Salim, qui jusque-là n'était qu'une ombre silencieuse.
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Personne ne porte aussi bien la voix des oubliés de l'histoire et de ceux auxquels la civilisation occidentale n'a pas donné la parole qu'Abdulrazak Gurnah, dont chaque roman que je découvre depuis l'attribution du Nobel (celui-ci est le quatrième) est une merveille d'empathie qui chacun me plonge dans des vies d'avant, d'après, mais surtout d'ailleurs comme seul lui sait le faire.
Le cadre en est toujours l'Afrique orientale et la Tanzanie, cette fois-ci au dernier quart du 19ème siècle où les guerres coloniales font rage sur des terres et des peuples qu'elles ravagent sans toutefois parvenir à en expulser l'âme.
Plusieurs vies volées se croisent dans ce beau et douloureux récit, celle d'Hamza embarqué à son corps défendant dans les forces allemandes et les horreurs de la domination raciale, celle d'Afiya vendue comme esclave à une famille qui lui volera sa jeunesse, celle d'Ilyas so frère perdu. La reconstruction sera longue, incomplète, bancale, traversée de lumière pourtant.
Gurnah c'est un regard différent sur le monde, une autre focale de lecture et de compréhension qui touche autant au coeur qu'à l'esprit, et qui enrichit.
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Ce roman prend en quelque sorte la suite de Paradis. Ce dernier se terminait par l’arrivée des troupes allemandes, que le personnage principal décidait de suivre. On va retrouver le personnage, même si entre les deux livres il a changé de nom, et que de Yusuf il est devenu Hamza. Mais il ne devient le personnage principal que progressivement, d’autres sont au premier plan au démarrage du roman, Khalifa, puis Ilyas et sa jeune sœur Afiya. C’est au moment de départ d’Ilyas, qui décide de s’engager dans la Schutztruppe, l’armée allemande des colonies d’Afrique, que nous suivons Hamza. Son destin aurait pu être celui-ci d’Ilyas, dont nous ne saurons rien jusqu’à la fin du roman, où un certain nombre de choses vont être révélées, mais de manière indirecte, par des recherches historiques entreprises par un autre Ilyas, fils de Hamza et Afiya. Car le roman d’Abdulrazak Gurnah est un roman historique, qui révèle l’histoire de « l’Afrique orientale allemande », ces territoires qui ont été concédés à l’Allemagne à la fin du XIXe siècle dans le partage de l’Afrique par les puissances européennes.
Mais Abdulrazak Gurnah est avant tout un romancier et un conteur. Il tisse des histoires, crée des personnages, touchants et très réels. Et l’histoire vient percuter ces vies, en dévier le cours, leur donner un sens. Ses personnages d’Africains subissent plus qu’ils ne décident : le partage de l’Afrique entre les puissances européennes, les guerres dont les répercussions les touchent de plein fouet, tout cela leur est en partie incompréhensible. Les effets les touchent durement tout simplement. L’intention historique n’est vraiment apparente qu’à partir des pérégrinations de Hamza dans l’armée allemande, et encore plus dans la dernière partie, dans laquelle Ilyas va essayer de découvrir ce qui est arrivé à son oncle. Mais c’est une autre époque, la colonisation est en principe terminée, un Africain peut devenir historien du passé de son peuple, et essayer de donner une lecture de ce qui est arrivé de son point de vue. Car on ne peut faire l’économie de replonger vers le passé pour se comprendre, les Vies d’après du titre, se sont nourri, ont été conditionnées par les vies d’avant, de ceux qui comme Ilyas l’ancien semblent être devenu des fantômes, avalés, disparus, sans laisser des traces. Comme s’ils n’avaient jamais existé. Et ce que découvre le neveu est assez étonnant.
Abdulrazak Gurnah est vraiment un auteur important, dont les livres laissent une vraie empreinte sur le lecteur. Parce que rien n’est simplifié, les personnages sont complexes, et l’humains, le sensible est au premier plan, même si la volonté de raconter l’Histoire et lui donner un sens est toujours présente.
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Remarquablement bien écrit ce qui pour un Nobel est assez évident !
Ceci dit je n'ai pas réussi à "accroché" avec cette histoire...
et je n'ai pas réussi à aller plus loin que la page 136...
J'avoue par ailleurs que cette "nécessité absolue" de mettre 250 caractères dans ma critique me gonfle profondément...
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Abdulrazak Gurnah, on en parle ?
À vrai dire il ne faudra pas vraiment compter sur moi, je le connais à peine. Prix Nobel traduit depuis peu par ici, je n'ai lu de lui que « Près de la mer » avant de me plonger dans ces « vies d'après », qui sont plutôt des vies d'avant à l'échelle temporelle de notre modernité, mais qui font ressentir beaucoup de choses via les traumas géopolitiques, et leur cohorte de scories transgénérationnelles.
Nous sommes en Tanzanie au début du siècle dernier, en pleine crise d'hégémonie européenne tournée vers les colonies. Allemands, britanniques, portugais, belges (pas trop de français de ce côté-ci de l'Afrique de l'Est) se livrent à des combats sans merci, entre eux ou envers les habitants. Les locaux seront le plus souvent écrasés par les askaris dans les rebellions freinant les avancées, ou plus simplement affamés par les pénuries et les razzias allemandes orchestrées dans les villages. Parmi eux il y a Ilyas, enlevé tel un simple fétu de paille par un soldat allemand sur le quai d'une gare, pour simplement l'avoir à portée de main d'esclavagiste. Ilyas ne reverra pas sa famille, même s'il finira par retrouver sa jeune soeur Afiya expédiée en famille d'accueil au décès de ses parents. Avant de repartir au combat, volontaire cette fois dans la Schutztruppe. Il y a aussi Hamza, empêtré dans la servitude envers un officier allemand, lui même empêtré dans la guerre envers les locaux ou les britanniques. Hamza sera lui aussi libéré, une vilaine blessure en souvenir. L'occasion de retrouver la grande ville où il a vécu et je n'en dirai pas plus, contrairement à la 4ème de couv qui prend ses aises en résumant les grandes lignes. Même s'il peut être bon de savoir que le reste naviguera plus souvent entre espoir et amour que précédemment, par le biais de personnages marquants tel Khalifa au grand coeur camouflé, « bourru sentimental attentif aux autres et aux torts qui leur sont faits »
LA grande force de ce roman me paraît être sa facilité à nous immerger dans un monde éloigné qui nous deviendra familier et sensible, à travers une écriture sans flonflon ni fioriture, essentiellement factuelle, pouvant même paraître neutre. Pas de détours ni de doutes, Abdulrazak Gurnah entre essentiellement dans ses personnages par leurs actions, mais il ressort de son art de conter une maîtrise et une forme de détermination, on embarque sans retenue dans ses destinées d'avant augurant celles d'après, en éprouvant leur sensibilité. le genre d'auteur qui ne perd pas son temps, car il a tout simplement des choses à nous dire, et nous faire ressentir.
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