Qui ne donne rien n'a rien. Le plus grand malheur n'est pas de ne pas être aimé mais de ne pas aimer.
( " Carnets")
La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent.
Être différent n'est ni une bonne ni une mauvaise chose.
Cela signifie simplement que vous êtes suffisamment courageux pour être vous-même.
Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude.
Que préfères-tu, celui qui veut te priver de pain au nom de la liberté ou celui qui veut t'enlever ta liberté pour assurer ton pain ?
Il n'est pas une vérité qui ne porte avec elle son amertume.
La recherche de la vérité n'empêche pas de prendre parti.
J'ai connu un homme qui a donné vingt ans de sa vie à une étourdie, qui lui a tout sacrifié, ses amitiés, son travail, la décence même de sa vie, et qui reconnut un soir qu'il ne l'avait jamais aimée. Il s'ennuyait, voilà tout, il s’ennuyait comme la plupart des gens. Il s'était donc créé de toutes pièces une vie de complications et de drames. Il faut que quelque chose arrive, voilà l'explication de la plupart des engagements humains.
Le vrai désespoir ne naît pas devant une adversité obstinée, ni dans l'épuisement d'une lutte inégale. Il vient de ce qu'on ne connaît plus ses raisons de lutter et si, justement, il faut lutter.
Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude.
Mal nommer une chose, c'est ajouter aux malheurs du monde.
Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été.
Il faut du temps pour être heureux. Beaucoup de temps.
Le bonheur lui aussi est une longue patience.
Et dans presque tous les cas, nous usons notre vie à gagner de l'argent, quand il faudrait, par l'argent, gagner son temps...
Plus je vieillis et plus je trouve que l'on ne peut vivre qu'avec les êtres qui vous libèrent, et qui vous aiment d'une affection aussi légère à porter que forte à éprouver.
(" Lettre à René Char")
! ! ! RARE ! ! ! TEXTE INÉDIT ! ! !
Par une merveilleuse nuit d'été, une sorte de trombe terrestre s'abat sur une ville endormie. Elle éventre les profondeurs de la vallée, submerge les villages d'alentour, étouffe un millier de morts dans ses vagues de pierre, mutile dix fois plus de blessés et laisse, après son passage, des champs de ruines où errent, avec les survivants hagards, des prisonniers et des aliénés, assommés par cette libération terrifiante. Quand le jour se lève sur les montagnes fendues à la hache et sur la vallée craquelée en tous sens, vingt mille familles n'ont plus d'autre toit qu'un ciel torride.
Extrait du court texte (environ 15 lignes) écrit par Albert Camus pour le programme de la soirée de gala caritatif du 2 décembre 1954 organisé à l'Opéra de Paris dans le but de collecter des fonds pour venir en aide aux victimes du tremblement de terre d'Orléansville du 9 septembre 1954.
(La ville, après s'être appelée El-Asnam a pris le nom de Chlef suite à l'autre tremblement de terre majeur de 1980.)
L'éternité est là et moi je l'espérais. Ce n'est plus d'être heureux que je souhaite maintenant, seulement d'être conscient.
Camus, L'envers et l'endroit
Alors, je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose qui a crevé en moi. Je me suis mis à crier à plein gosier et je l'ai insulté et je lui ai dit de ne pas prier. Je l'avais pris par le collet de sa soutane. Je déversais sur lui tout le fond de mon cœur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. Il avait l'air si certain, n'est-ce pas? Pourtant, aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme. Il n'était même pas sûr d'être en vie puisqu'il vivait comme un mort. Moi, j'avais l'air d'avoir les mains vides. Mais j'étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait venir. Oui, je n'avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité autant qu'elle me tenait. J'avais eu raison, j'avais encore raison, j'avais toujours raison. J'avais vécu de telle façon et j'aurais pu vivre de telle autre. J'avais fait ceci et je n'avais pas fait cela. Je n'avais pas fait telle chose alors que j'avais fait cette autre. Et après? C'était comme si j'avais attendu pendant tout le temps cette minute et cette petite aube où je serais justifié. Rien, rien n'avait d'importance et je savais bien pourquoi. Lui aussi savait pourquoi. Du fond de mon avenir, pendant toute cette vie absurde que j'avais menée, un souffle obscur remontait vers moi à travers des années qui n'étaient pas encore venues et ce souffle égalisait sur son passage tout ce qu'on me proposait alors dans les années pas plus réelles que je vivais. Que m'importaient la mort des autres, l'amour d'une mère, que m'importaient son Dieu, les vies qu'on choisit, les destins qu'on élit, puisqu'un seul destin devait m'élire moi-même et avec moi des milliards de privilégiés qui, comme lui, se disaient mes frères. Comprenait-il donc? Tout le monde était privilégié. Il n'y avait que des privilégiés. Les autres aussi, on les condamnerait un jour. Lui aussi, on le condamnerait. Qu'importait si, accusé de meurtre, il était exécuté pour n'avoir pas pleuré à l'enterrement de sa mère? Le chien de Salamano valait autant que sa femme. La petite femme automatique était aussi coupable que la Parisienne que Masson avait épousée ou que Marie qui avait envie que je l'épouse. Qu'importait que Raymond fût mon copain autant que Céleste qui valait mieux que lui? Qu'importait que Marie donnât aujourd'hui sa bouche à un nouveau Meursault? Comprenait-il donc, ce condamné, et que du fond de mon avenir ... J'étouffais en criant tout ceci. Mais, déjà, on m'arrachait l'aumônier des mains et les gardiens me menaçaient. Lui, cependant, les a calmés et m'a regardé un moment en silence. Il avait les yeux pleins de larmes. Il s'est détourné et il a disparu.
Lui parti, j'ai retrouvé le calme. J'étais épuisé et je me suis jeté sur ma couchette. Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu'à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. A ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m'était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d'une vie elle avait pris un «fiancé», pourquoi elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s'éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.
Parler de ses peines, c'est déjà se consoler ...
Je ne peux pas vivre longtemps avec les êtres.Il me faut un peu de solitude,la part d'éternité.[Carnets III.]
En vérité, le chemin importe peu, la volonté d'arriver suffit à tout.