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Critiques de Albert Sànchez Piñol (119)
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Pandore au Congo

Un roman d'aventure dans la pure tradition du 19ème siècle, exotique et haletant, un thriller sauvage et féroce, véritable éloge du pouvoir de l'écriture ! Divertissant à souhait, mais brillamment divertissant !



« le Congo n'était pas un lieu, le lieu c'était nous ».



Après la lecture du livre fantastique La peau froide qui m'avait fait forte impression, j'ai voulu poursuivre avec cet auteur espagnol Albert Sanchez Pinol et me suis ainsi tournée vers son deuxième roman au titre énigmatique « Pandore au Congo ». Si nous retrouvons quelques mêmes ingrédients, notamment la présence d'êtres surnaturels, ce roman nous amène loin, beaucoup plus loin, dans la réflexion. Il est tout simplement captivant, brillant et serti d'une très belle plume, à la fois précise, sans circonvolutions mais pure, relevée, fraîche, sachant ménager le suspense et les coups de théâtre, rendant la lecture passionnante.

Si La peau froide nous laissait un glacial goût iodé d'embruns, Pandore au Congo nous enveloppe d'une chaleur verdâtre, moite et suffocante…Un froid / chaud qui montre combien l'auteur espagnol est capable avec un immense talent de nous amener dans de lointaines contrées inhospitalières, de nous faire peur, de nous perdre corps et âme avec les protagonistes en faisant varier les ambiances et les paysages.



Nous sommes à la veille de la première Guerre Mondiale, à Londres. Thomas Thomson est le dernier maillon d'une longue chaîne de nègres pour le compte d'un auteur, le docteur Flag, dont l'oeuvre prolifique se situe principalement en Afrique : « Il n'y avait pas tellement de lieux qui offraient un aussi large éventail d'éléments narratifs que l'Afrique noire. Les Massaïs, les Zoulous, les rebelles boers. La savane, la jungle. Eléphants, crocodiles, hippopotames et lions, explorateurs et chasseurs ».

Médiocre littérature à l'eau de rose, histoires faciles et rapidement écrites au rythme de trois livres par semaine, il n'est pas fier de contribuer à cette mascarade – lui se rêve grand écrivain - mais il s'agit de sa principale source de revenu. Toute la chaine s'écroule à la suite de hasards malheureux, les écrivains par procuration mourant les uns après les autres.

Alors qu'il va à l'enterrement de l'un d'eux, espérant rencontrer l'auteur prolifique, ce proxénète des lettres comme il l'appelle, il est abordé par un certain Edward Norton, un avocat, qui a pour mission de défendre un homme, un simple gitan, accusé d'avoir tué deux jeunes aristocrates. Cet homme, Marcus Garvey, risque la pendaison. L'avocat souhaite que Thomas Thomson écoute cet homme et écrive son récit afin de pouvoir mieux défendre son client. Qu'au lieu de divertir de nombreuses personnes par d'insipides petits romans, qu'il puisse désormais en sauver une. Et voilà notre homme se rendre régulièrement à la prison et consigner scrupuleusement les souvenirs de l'assassin. Ce qu'il va entendre dépasse l'entendement…



« Ce qui s'est passé au Congo dépasse l'entendement humain, Thomas. C'est une de ces histoires qui nous font douter de tout. Ecoutez-la et écrivez-la. Je n'ai jamais rien tendu d'aussi extraordinaire. Jamais. Et vous non plus ».



Après une vie de pauvreté et d'errance en compagnie de ses parents, sorte de saltimbanques ambulants, puis subitement devenu orphelin, Marcus Garvey est employé aux écuries et aux cuisines dans la grande propriété du Duc Craver. Là, il va faire connaissance de ses fils : William, membre d'un conseil d'administration d'une banque poursuivi pour escroqueries et corruption et, Richard, renvoyé de l'armée du fait de ses moeurs, déplacées et malsaines. Impatients et capricieux, les frères Craver sont peu désireux d'attendre ce que leur réserve la justice anglaise et mettent sur pied une expédition au Congo, pays inconnu dans lequel la présence d'or, d'ivoire et de diamants peut offrir la gloire aux audacieux. Ayant des notions de français grâce à sa mère et sachant cuisiner, Marcus Garvey les accompagne dans cette aventure qui se transformera en cauchemar tant la violence et le cynisme envers les noirs qui vont servir de porteurs et de mineurs sont portés à leur paroxysme.

Certes, ils vont bien découvrir une riche mine d'or au fin fond du Congo, mais surtout, ils feront la connaissance d'une autre civilisation venue directement des entrailles de la Terre, celle des Tectons, des êtres d'une blancheur absolue, aux oreilles pointues, aux yeux immenses, au crâne ovale et lisse comme un oeuf, pouvant se démettre des os pour passer à travers d'étroites galeries, gigantesques et visiblement belliqueux.

La rencontre entre ces deux civilisations va être violente, et atteindra un point de non-retour lorsque les conflits d'intérêts se cristalliseront autour d'une Tecton faite prisonnière. le long passage consacré à la capture des anglais par les Tectons, les entrainant dans les entrailles de la Terre est absolument haletant. C'est un passage d'anthologie inoubliable.



Pour celles et ceux qui ont lu La peau froide, cette captive, ce peuple rappellent immédiatement celui découvert sur l'île, créatures venues de la mer, monstres effrayants, créatures maritime très musclées, agiles, aux yeux d'un bleu intense, aux doigts palmés, recouverts d'une peau de requin vert salamandre, d'une peau froide.



Le parallèle entre les deux livres est troublant. le territoire envahi par les étrangers est défendue par des peuples qui viennent directement de ses profondeurs, la mer pour l'île et la terre pour le Congo. Un peuple à la peau glaciale, un autre dont la température excède de 5 degrés notre propre chaleur. Ce sont des peuples qui viennent des entrailles de cette terre envahie, l'essence même du territoire…Et de notre façon de réagir dépend leur volonté de rébellion. Message symbolique fort que veut nous faire passer Pinol quant aux volontés d'ingérence et de conquête des territoires.

Ces peuples mystérieux semblent mettre en exergue tous les maux des hommes...A croire que la terre et la mer sont remplis de maux, et, comme après l'ouverture de la boite de Pandore, ici symbolisée par la conquête violente, le pillage, l'appropriation, "les maladies se plaisent à tourmenter les mortels nuit et jour et leur apportent en silence toutes les douleurs, car le prudent Zeus les a privées de la voix. Nul ne peut donc échapper à la volonté de Zeus. » [ Hésiode, Les Travaux et les Jours]. Seule reste l'espérance...



Sous couvert d'un roman d'aventure dans lequel l'auteur prend plaisir à promener et à balloter son lecteur entre Londres et le Congo, entre Marcus Garvey dans l'expédition et Marcus Garvey en prison, entre Thomas Thomson jeune écrivain écrivant ce récit, pensionnaire dans une drôle d'auberge décatie et Thomas Thomson vieux, entre l'histoire et l'histoire de l'histoire lorsque l'auteur lui-même prend la parole, ce récit permet ainsi d'aborder tout un ensemble de thématiques beaucoup plus graves comme celle du colonialisme, du racisme, de l'entente entre les peuples, la notion de responsabilité, notamment de responsabilité dans la guerre et dans le crime organisé, le pouvoir de l'écrit et notamment de la presse…

Ce livre c'est aussi une ambiance et la découverte de paysages sauvages et féroces, remplie de jeux de lumières, d'entrelacements de vert et de bleu, qui prennent vie sous la plume incroyable de Pinol :



« Il continua vers le haut, toujours plus haut. Les troncs étaient maintenant plus minces. Les feuilles lui frappaient le visage et lui griffaient les mains. Marcus voulait monter un peu plus haut, encore un peu plus.

Finalement, il tendit le bras et une petite branche se brisa entre ses doigts. Ce fut comme si une lucarne s'ouvrait : les yeux les plus verts de l'Afrique se heurtèrent au ciel le plus bleu du monde ».



A noter la simple lettre qui différencie Tecton de Teuton, et de teutons il en sera question dans le livre. Une description marquante de l'ennemi alors que Thomas Thomson est au front, les allemands venant de lâcher l'arme terrible du gaz et apparaissant derrière leurs masques :



« Même aujourd'hui, si longtemps après, cette aube française m'assaille dans mes cauchemars. Les officiers allemands utilisaient des sifflets pour éperonner leur artillerie. Je me rappelle aussi une langue pointue, truffée de blasphèmes et d'éclats. Les uniformes verts, maculés de boue, et les baïonnettes très longues. Leurs casques étaient beaucoup plus compacts que les nôtres, qui ressemblaient à des pots de chambre en miniature. Leurs masques possédaient d'énormes verres ronds. Les casques et les masques leur couvraient la tête et les transformaient en des sortes de créatures plus proches des insectes que des humains. C'était des Allemands, qui auraient pu tout aussi bien être des Martiens ».



L'autre est un ennemi et apparait très souvent sous un visage monstrueux. Que nous soyons l'envahisseur ou l'opprimé, la haine des peuples rend inhumains. C'est sans doute, pour moi en tout cas, le message principal des deux romans de Alberto Sanchez Pinol.



Est-ce que le livre écrit par Thomas permettra d'éviter la potence à notre Marcus Garvey, simple garçon d'écurie accusé des meurtres de fils de notables, je vous laisse le soin de le découvrir en plongeant dans ce livre jouissif et captivant qui, au-delà de l'aventure exotique, est un bel hommage rendu à l'écriture et aux écrivains.



« Tout le monde peut subir une avalanche, une guerre, une déception. Mais tout le monde n'est pas capable de décrire une avalanche, une guerre, une déception ».



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La peau froide

Un huis-clos insulaire, oppressant et mystérieux. Entre L'île mystérieuse de Jules Verne et L'ancêtre de Joan José Saer, un récit subtil en une boucle temporelle désespérée et profondément humaine.



Les récits dans lesquels une poignée de personnes, lorsque ce n'est pas une seule personne, se retrouvent sur une île isolée ne manquent pas. Une liste a même été créée sur Babélio pour tenter de les rassembler, liste riche que je vous invite à découvrir : https://www.babelio.com/liste/6366/les-maudites.

C'est cette liste et quelques très belles critiques récentes qui m'ont attirée vers ce livre à la couverture énigmatique.



le narrateur est un météorologue irlandais. Les conflits entre l'Angleterre et l'Irlande, puis la guerre civile au sein même de l'Irlande, ont émoussé son patriotisme qui a perdu tout son sens, et l'ont poussé à fuir cette spirale de violence et ses semblables. Il s'engage alors pour rejoindre un poste, un an durant, sur une île minuscule, « terre écrasée entre le gris de l'océan et celui du ciel, entouré d'un collier d'écume », totalement isolée, de l'Atlantique Sud. Cet isolement, choisi, va lui permettre de se retrouver, de lire de la philosophie, de couper un temps avec la civilisation…croit-il. En réalité, il va découvrir, après le départ du bateau qui l'a déposé, que lui et le gardien du phare, uniques habitants de l'île, seront soumis toutes les nuits aux terribles assauts meurtriers de créatures venues de la mer, des monstres effrayants de prime abord, fascinants au fur et à mesure que nous les découvrons, des créatures maritime très musclées, agiles, aux yeux d'un bleu intense, aux doigts palmés, recouverts d'une peau de requin vert salamandre, d'une peau froide.



« A mesure qu'ils foulaient le sable, ils se transformaient en reptiles. Leur peau mouillée ressemblait à l'acier d'une sculpture huilée. Ils rampaient sur une centaine de mètres puis se relevaient, dans un bipédisme parfait. Mais ils avançaient le torse un peu penché en avant, comme quelqu'un qui lutte contre la bourrasque ».



Pour sa survie, en échange des munitions qu'il possède, à savoir deux pistolets et de très nombreuses balles, il va réussir à quitter son fragile cabanon, frêle station météorologue qui ne peut en aucun cas le protéger bien longtemps des assauts nocturnes, et à venir vivre dans le phare avec cet homme très particulier qu'est Batis Caffo. Un homme rustre, égoïste et farouche, au passé que nous devinons trouble. Un homme qui ne vit en réalité pas seul. Il détient une créature, une femelle, la « mascotte », dont il a fait son esclave sexuelle. Nous sommes tiraillés, notamment lors de certaines scènes intimes, entre le malaise lié à l'exploitation malsaine de cette pauvre créature et son érotisme qui, associé aux chants envoutants qu'elle entame par moment, font penser à une sirène au corps parfait, à la beauté étrange.



« Des hanches de ballerine et un ventre plat, très plat. Des fesses plus denses que le granit de l'île. La peau du visage en accord avec le reste de la peau, alors que chez les humains la texture des joues et celle du reste du corps ne sont pas généralement pas homogènes (…) les cuisses sont un miracle de sveltesse et s'ajustent aux hanches avec une exactitude qu'aucune sculpture ne saurait reproduire ».



C'est avec l'oeil de l'anthropologue (Albert Sanchez Pinol est d'ailleurs anthropologue et cela se ressent dans cet écrit) que notre homme aborde la psychologie de son compagnon d'infortune, mais aussi les relations avec les « faces de crapauds », et notamment, après la terreur et le dégout, la compréhension progressive de leur mode de vie, de leur organisation, via l'observation approfondie qu'il va mener sur la femelle captive et sur les enfants des créatures qui viennent peu à peu jouer au pied du phare. Albert Sanchez Pinol ne veut pas seulement divertir son lecteur, au moyen d'efficaces et multiples rebondissements tous captivants, parfois gore même, où le sang, bleu, gicle en tous sens, il décortique également au scalpel cette peur que nous avons de l'autre, de l'inconnu, de l'étranger. Monstrueux sont celles et ceux que nous voyons comme tels, avec notre regard empli de préjugés et de filtres. Si nous prenons le temps de ne pas simplement regarder mais de voir, de comprendre, alors les monstres se transforment en êtres doués d'âme et de sentiments. La question est alors non pas ce que nous pouvons leur apprendre mais ce que nous apprenons d'eux.

Ce que nous voyons avec dégout et haine est souvent le reflet des peurs que nous cachons en nous, profondément enfouies. Des peurs que nous faisons rejaillir sur l'autre. Comme le souligne avec subtilité l'incipit :

« Nous ne sommes jamais très loin de ceux que nous détestons. Pour cette même raison, nous pourrions donc croire que nous ne serons jamais au plus près de ceux que nous aimons ».



Lorsque la recherche de la paix du néant et du silence aboutit à un enfer peuplé de monstres… Un livre haletant, mystérieux, oppressant, bien rythmé mais aussi une riche réflexion sur notre rapport à l'autre, servi par une belle écriture, sensible et élégante. Un livre à découvrir sans hésiter !



« Tous les yeux regardent, peu observent et très peu voient »



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Victus : Barcelone 1714

Vous vous souvenez de « Games of Thrones » ? Oui, sans doute... encore que… un pan du public babéliote pourrait bien faire partie de la minorité à laquelle ce nom ne dit rien… un autre pan ne se référant qu'à la saga romanesque « A Song of Ice and Fire » d'où elle est tirée…

Mais pourquoi vous parler d'une série télévisée, autre que pour souligner son effondrement spectaculaire ? Qu'en reste-t-il, à part quelques parodies cochonnes (dont un livre de cuisine…) ?

Je vous laisse répondre… et en profite pour vous proposer de lire une histoire au moins aussi palpitante, armé de ces quelques lignes et de mon t-shirt Pecosa.



Les guerres que se mènent, en ce début 18ème, les couronnes européennes, n'ont rien à envier aux scénarios de fantasy… Bourbon ? Lannister ? Habsbourg ? Stark ? Tout le sang de leurs sujets sur leurs mains brodées d'hermine…



Cette référence à la pop-culture mondiale est surtout là pour situer les côtés « accessible » et addictif de ce livre. Un nain ne serait pas de trop pour vous tourner les pages, avant de finir par le lancer, frustré que cette histoire ne s'arrête en si bon chemin… Et pourtant, on était prévenu !



Mêlant diaboliquement bien le récit historique et le roman d'apprentissage, à partir d'un avant-propos nous certifiant la véracité de l'extraordinaire, fleurissant les espaces laissés libres par la mémoire de l'Histoire, Sànchez Piñol s'inspire de l'art de Vauban pour nous bâtir un roman sans faille.



Il s'apprécie d'autant plus que le sujet est toujours d'actualité, et que notre auteur est catalan, mais préférant l'espagnol-castillan (rayer la mention inutile) pour l'écrire. Quelque soit notre opinion sur cette longue histoire, que l'on soit favorable aux langues régionales, ou bien digne d'un jacobin centralisateur, on ressortira de cette lecture plus intelligent.

Avec habileté, l'auteur nous rappelle les spécificités de cette vénérable république de Catalogne, sans tomber dans l'hagiographie fantasmée pour indépendantiste, renvoyant au final chaque « camp » dans les cordes de ses contradictions.



Alors, plutôt que d'entamer une autre série, partez en quête (aisée) de ce livre chez votre bouquiniste, et privilégiez si possible sa version brochée pour profiter au mieux des nombreuses illustrations et schémas qui le ponctuent. J'ai commis l'erreur de l'acquérir en « poche », et la loupe n'était pas fournie avec ( même remarque que pour « Les Fusils » de Vollmann )…



P.S : et pour ceux qui ne sont pas encore convaincus, voyez avec Pecosa et sa critique nettement plus détaillée… et hypnotique !
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La peau froide

On dit de lui que c'est un magicien ; ceci est son premier roman ; certains parlent de talent d'hypnose (coucou Péco !) ; il a depuis convaincu tout ceux qui l'ont lu, avec son « Victus », qu'il est à suivre à la trace, dans le genre « oh toi…je m'en vais lire tous tes livres » ; les chanceux vont le découvrir ; voici Albert Sànchez Piñol, le catalan universaliste.



Ce roman commence avec les mêmes qualités que le susmentionné, bien maîtrisées par le bougre : celles du roman d'apprentissage hors de tout pontife ou poncif, rare performance à l'époque où la notion même d'autorité professorale se voit menacée, voire détruite, par le relativisme postmoderne.

Réduite à peu de pages, elle sert ici d'introduction, autant à ce roman qu'à son oeuvre, avec cette évocation du nationalisme irlandais face à l'impérialisme anglais, évident miroir des préoccupations catalanes que Piñol développera avec maestria lors de son roman sur le siège de Barcelone.



Son approche humaniste libérée des bons et des mauvais semble d'une telle évidence, qu'on en reste toujours ébahi qu'elle ne soit pas simplement la norme. L'histoire ne connait jamais de méchants et des gentils, mais les livres ou les mémoires, si…



Toutefois, ce premier roman laisse pour les prochains ces considérations, nous entrainant plutôt vers un froid et humide huis-clos sur une île perdue de l'Atlantique sud, qui dégénère rapidement en un surprenant et gore récit d'épouvante, la rouge hémoglobine remplacée par de larges éclaboussures d'un intense bleu désaturé, virant avec la nuit polaire vers le noir brillant, ou pour faire court, d'une couleur de Sélénite.



L'affrontement entre deux hommes, alliés de circonstance face à l'Etrange, compliqué par une trouble troisième pointe du triangle, amours extra-ordinaires, évoquant l'impossible « Possession », hallucinant film d'Andrzej Żuławski — sûrement le meilleur rôle d'Isabelle Adjani (désolé Pin-Pon…) — artisans d'un érotisme impossible.

Ce livre évoque surtout une autre grande réussite cinématographique, plus récente, « The Lighthouse », dont les correspondances ne peuvent être fortuites ; bien que l'intrigue diffère totalement, l'ambiance psychologique, et la très réussie représentation du sexe des sirènes, appellent au rapprochement.



Cette Peau Froide va très loin, avec une grande facilité, dissimulant parfaitement le faisceau des possibles, ce serpent se mordant la queue n'en devenant pas pour autant un animal à sang chaud.
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Fungus : Le roi des Pyrénées

Enfin une traduction!

Je poste de nouveau cette note de lecture faite lors de la publication catalane de cette incroyable fable signée par l'éclectique Albert Sánchez Piñol. Parution prévue en mars.



Est-il possible d'être déçue par un roman de Sánchez Piñol? Non, et cette incroyable fable mycologique qu'est Fungus nous prouve une nouvelle fois que l'imagination du romancier catalan ne connaît pas de limite.

En 1888, un modeste militant anarchiste, Ric-Ric, fuit dans les Pyrénées catalanes, et trouve refuge dans une vallée oubliée où seuls les contrebandiers et une poignée d'autochtones vivotent.

Ce retour à la nature n'a cependant rien de bucolique. Les lieux sont inhospitaliers, tout comme les locaux qui l'exploitent et l'humilient.

Un soir, après avoir bu plus que de raison, Ric-Ric réveille par inadvertance des Fungus, champignons géants dotés d'une force peu commune et qui semblent lui obéir au doigt et à l'oeil. Ric-Ric voit dans ces créatures l'occasion de mener une révolution libertaire. Elles sont 4, ils seront 5, pile le nombre nécessaire à la formation d'une cellule anarchiste. Et Ric-Ric d'évoquer Bakounine et le nouvel ordre social debout sur une souche face à des bolets géants pour instaurer un nouveau régime républicain loin de cette forêt.

Ainsi commence cette aventure, métaphore du pouvoir et de la tyrannie, car Ric-Ric, fort de cette invincible et fantastique armée, perd non seulement ses idéaux de vue, mais ne voit pas qui sont réellement les Fungus et comment fonctionne leur société, pourtant idéalement démocratique, et ce sans connaître aucun idéal.

Quand Ric-Ric s'écrie « Ieu soi lo rei dels Pireneús! », il nie aux autres une identité, et ne voit pas que la situation lui échappe.

Fungus, c'est Les Voyages de Gulliver revisités par Marcel Mauss, le folklore pyrénéen des «minairons», (ou Mamur, petits génies que l'on peut capturer, la veille de la Saint Jean dans les montagnes) mêlé aux considération sur les monstres et surtout sur le pouvoir. Comment s'acquiert-il, où se trouve-t-il, quel est le secret de la toute puissance?

Albert Sánchez Piñol est un romancier anthropologue de formation, et c'est sans doute ce qui donne à ce formidable roman fantastique une dimension unique, qui se lit comme une fable libertaire. Car l'armée des champignons est en marche et bien fous sont ceux qui s'opposeront à elle ou qui voudront, comme Ric-Ric, utiliser le pouvoir de cette force collective pour leur rêve de puissance ou de gloire.
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La peau froide

Un homme, en fuite de lui-même, est dépêché pour 1 an sur une île loin de tout en tant que climatologue. Là, se trouve Batis Caffo, un homme taciturne, sauvage. Réfugiés dans le phare, les 2 hommes vont subir les attaques nocturnes d'étranges créatures marines.



"La peau froide" est un très bon roman fantastique qui mêle habilement action et réflexion.

La mise en place est rapide. L'auteur ne perd pas de temps et propose un récit rythmé qui se lit très vite.

Il parvient à renouveler régulièrement son intrigue, ce qui n'était pas gagné d'avance au vu de l'argument de départ. En effet, le huis-clos est un art délicat, ici très bien maîtrisé. L'auteur dose parfaitement la tension. le côté routinier des attaques des créatures auraient pu facilement donner lieu à des redondances et s'avérer ennuyeux. Il n'en est rien. A chaque fois, un nouvel élément vient renouveler le récit.



Les créatures marines sont à la fois effrayantes et fascinantes. La "mascotte", avec sa sensualité envoûtante et ses chants mystérieux, m'a évoqué une sirène.

Les personnages sont bien campés. Ils ont de l'épaisseur, tout en gardant une part de mystère. L'évolution du climatologue est particulièrement intéressante, à l'image du récit qui semble former une boucle.



Au delà du divertissement efficace, "la peau froide" décortique subtilement les mécanismes de la peur de l'autre. L'auteur ne désigne ni victimes, ni coupables, il raconte simplement comment la peur de l'inconnu, les préjugés et l'absence de communication engendrent la violence.



Voilà un récit très intéressant et bien mené, servi par une belle écriture, simple et élégante. Je ne connaissais pas du tout Albert Sanchez Pinol mais il ne fait aucun doute que ma route de lectrice croisera de nouveau un de ses livres.



Challenge Multi-défis 2017 - 18 (33- un livre d'un auteur du pourtour méditerranéen)

Challenge Atout-prix 2016-2017 - 20 (prix ojo critico de narrativa 2003)

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Victus : Barcelone 1714

"Pugna magna victi sumus" auraient pu s'écrier les Catalans en ce jour funeste de septembre 1714. Après avoir tenu le siège de la ville depuis le mois de juillet 1713 face aux troupes de Berwick, ils assistent impuissants à la chute de la cité et aux massacres qui s'ensuivent.

Quelques décennies plus tard, Marti Zuvinia, fils d'un marchand barcelonais, ancien élève de Sebastien le Preste de Vauban, ingénieur militaire, engagé successivement auprès des Bourbons puis des Habsbourg écrit ses mémoires depuis son exil autrichien, bien décidé à donner un récit très personnel du siège de Barcelone.



Ceux qui ont lu La Peau froide et Pandore au Congo se doutent qu'Albert Sánchez Piñol ne s'attelle pas à l'élaboration d'un roman historique classique. Trempant sa plume dans du poil à gratter, il dynamite le genre et nous offre une oeuvre magnifique, magistrale, mémorable.

Scindé en trois parties, "Veni", "Vidi", "Victus", Victus. Barcelone, 1714 est un roman à tiroirs, dans lequel le héros, qui est aussi le narrateur, s'arroge le droit d'interrompre la linéarité du récit en y greffant des réflexions et des anecdotes.

Roman d'apprentissage, récit initiatique, roman picaresque, Victus est l'autobiographie d'un homme qui n'est vertueux, ni héroïque, aucunement prédestiné à accomplir des actes illustres, mais un personnage dont le parcours, tributaire des rencontres et des aléas de l'histoire, se construit au hasard d'évènements souvent tragiques. Il y a du Gil Blas de Santillane dans Victus, du Quichotte et du Simplicius Simplicissimus: on y trouve des aventures extravagantes, des tableaux de moeurs, de la satire, une représentation de toutes les couches de la société (la plus noble n'étant pas toujours celle qu'on croit), de la grandeur et de la bassesse ....



Délicieusement irrévérencieux, drôle, lyrique, poétique, épique, burlesque, ce roman fait oublier tout ce que l'on a pu lire sur la guerre de Succession d'Espagne. Albert Sánchez Piñol, qui écrit pour la première fois en espagnol, ne ménage ni la chèvre ni le chou, au point de penser qu'il risque de recevoir quelques "bofetadas de todos los lados". Ici l'Espagne n'est pas un pays mais "un vieux moribond" "couvert de pustules". Charles Quint est "le Taré", Louis XIV, "le Monstre". La Castille? "Prenez une contrée, installez-y une tyrannie, et vous aurez la Castille." Les conseillers de la Généralitat? "Des pantins en astrakan qui se croyaient très importants car ils n'avaient pas l'obligation de se découvrir devant un roi et portaient un bonnet et une tenue de velours rouge."

On l'aura compris, Sánchez Piñol rase gratis. Son sens de la formule et son ton incisif et mordant chatouilleront les peaux les plus sensibles. Les héros des chroniques passent à la trappe, les personnages de second plan occupent le devant de la scène et le peuple de Barcelone est le héros de cette geste. Quant au Castillan Antonio de Villarroel qui fut commandant de Barcelone, il occupe enfin la place que le romancier estime lui être due. Absence de manichéisme et trivialité à chaque page, nul doute que le roman a dû susciter le débat dans un contexte politique particulièrement tendu.



Heureusement, l'amour, l'amour malgré soi, malgré la raison, malgré le détachement et une certaine forme d'égoïsme, s'empare de Zuvi "Longues-Jambes" et permet à Sánchez Piñol de nous offrir quelques lignes magnifiques (ah, cette mystérieuse boîte à musique et la robe violette d'Amelis...) dans un style très personnel: "Ils allaient me tuer. Non, pire; coudes et genoux me transportaient vers une noirceur plus malheureuse que la mort. Et tout ça pour un vieux voûté, un nain difforme, un enfant cruel et une catin brune. Puisque les poètes n'osent pas, je vais le dire. L'amour, c'est de la merde."

Lorsque notre héros, Zuvinia dévore "un gros roman" (Le Quichotte?) et s'esclaffe, son compagnon de route lui reproche son inclination pour une oeuvre qui ridiculise la geste épique au lieu de l'exalter. Et Marti de lui répondre: "Voilà la grande vérité que referme cette histoire: la raison se trouve dans la déraison". La vérité de Victus. Barcelone, 1714, c'est que folie, lucidité et humour font ici bon ménage.



Je m'incline donc très respectueusement et tente une hypnose collective, "Lisez Albert Sánchez Piñol", "Lisez Albert Sánchez Piñol"; "Lisez Albert Sánchez Piñol".....
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La peau froide

Les aventures d'un naufragé volontaire sur une île peuplée d'un type acariâtre et de créatures étranges. Si l'auteur use de certaines caractéristiques de la littérature dite d'horreur/fantastique, le propos de ce roman n'est pas là puisque les monstres ne sont, ici, que prétexte à réflexion... miroirs où se reflète notre propre bestialité. Outre une aventure palpitante, l' intérêt du roman réside donc dans la confrontation du personnage à la solitude, à l'inconnu, à la peur de l'autre, de la différence... Une exploration intelligente des profondeurs de l'âme humaine et des logiques ancestrales des conflits. Un roman habile, bien construit (même si, au début, l'histoire peut paraître un peu longue à se mettre en place), que vous ne pourrez reposer avant de l'avoir fini et qui ne vous quittera plus.
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La peau froide

Une île perdue dans l'océan, un phare, une maison, quelques arbres... et deux hommes sur cette île.



Notre héros (le roman est raconté à la première personne) est un ancien révolutionnaire irlandais, déçu par l'humanité, qui vient s'isoler sur cette île pour un an en tant que climatologue. Et il y a Batis Caffô, être énigmatique, taciturne, inamical...



Des créatures sanguinaires, fantastiques et inquiétantes s'invitent toutes les nuits pour en découdre avec les deux hommes. L'ambiance est angoissante, terrible. On se retrouve un contexte et une mise en place qui n'est pas sans rappeler « l'île du Docteur Moreau », avec un mystère pesant, une animosité entre les protagonistes. Les scènes de luttes sont vraiment bien menées, avec le grand classique de l'angoisse : les créatures qui grimpent de tous bords sur le phare où sont assiégés nos deux hommes (Vikings, Fog, Moi moche et méchant 2...). La tension est toujours au maximum grâce à l'écriture juste et efficace, bien rythmée, ce qui contribue à la qualité du livre. On ne peut que le lire d'une traite tant l'atmosphère nous tient en haleine et nous absorbe.



J'ai littéralement dévoré ce roman, en apnée totale... et cette lutte ne s'arrête pas à la lutte des bons contre les méchants, elle nous laisse plein de questionnements sur l'humanité, les motivations belliqueuses des protagonistes, les préjugés...



Je ferais tout de même quelques reproches : j'ai regretté que le second personnage ne nous ai pas dévoilé un peu plus son histoire, ses états d'âmes, il se maintient dans une sauvagerie trop uniforme, sans jamais ouvrir sa garde, or sur la durée de l'histoire, on a du mal à envisager que la curiosité du personnage principal n'ait pas cherché à le cerner plus profondément. Ensuite, j'ai trouvé la dernière partie moins bien réussie, l'évolution de notre irlandais n'est à mon avis pas suffisamment claire, un peu brouillonne et trop brusque, le chapitre XVI aurait mérité un développement plus lent, plus étendu, pour mieux amener le final.



Malgré ces petits défauts, La Peau Froide reste un bon roman, prenant, bien écrit, que je n'hésiterais pas à recommander.
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La peau froide

Un homme, cherchant à se faire oublier, débarque sur une petite île de l’Atlantique Sud. Très rapidement, il est surpris par l’apparition de créatures qui sortent des flots marins dès que le soleil disparait derrière l’horizon. Il s’allie alors avec l’unique autre homme de l’île, Batis Caffo, qui semble habituer à ces batailles nocturnes.

La couverture m’avait marquée : une fille très pâle, nue, avec un crâne bleu avec un air un peu rêveur. J’étais curieuse de ce qui pouvait se cacher derrière une telle couverture. La peau froide est un huis-clos très prenant : les luttes sont acharnées entre les deux camps, ça ressemble beaucoup à un roman d’horreur. Le narrateur essaye de décrypter le comportement de ces créatures et le roman tourne au psychologique avec toujours une tension palpable. La fin laisse un goût amer… J’ai beaucoup aimé ce roman qui nous questionne sur nous, notre peur de l’autre. Un auteur que je relirai, j’ai déjà noté Pandore au Congo.

(Je ne savais pas que le film adapté du roman allait sortir, je note pour une prochaine sortie ciné.)

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Fungus : Le roi des Pyrénées

Mais où se trouve donc le Pouvoir ?



Si vous vous posez la question, je vous invite vivement à lire ce roman d'Albert Sanchez Pinol.

Cette fable fantastique met en scène Ric-Ric, un anarchiste plutôt benêt et très porté sur le "vincaud", et qui se retrouve dès le début du roman dans une grotte perdue des Pyrénées.

Si Ric-Ric peut se considérer comme le héros du livre, autant le dire tout de suite, c'est un anti-héros par excellence !

Et si les héros étaient plutôt ces champignons géants, les Fungus, auxquels Ric-Ric redonne vie par hasard...

Par hasard ? ou par chance ? ou encore par malchance si on en croit la belle et intelligente Mailis qui croit dur comme fer que ces Fungus amèneront l'anarchiste à sa perdition.



Je n'adhère pas toujours à la littérature fantastique mais j'avoue avoir pris beaucoup de plaisir à lire ce livre.

Il m'a d'abord décontenancée, puis amusée et a finalement réussi à me passionner.

Au début, on se demande bien où l'auteur veut en venir et surtout s'il ne s'est pas laissé déborder par son imagination mais plus on avance dans le livre, plus on comprend ses intentions et ce qu'il essaye de faire passer comme message à travers cette incroyable métaphore.



Un roman surprenant ! Et prenant !



Merci aux éditions Actes Sud et à Babelio pour cette belle découverte.
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Victus : Barcelone 1714



Encore un auteur espagnol que je découvre avec plaisir.



À la fin du 18ème siècle un très vieil homme dicte ses mémoires, depuis le moment où jeune Catalan qui se fait difficilement à la discipline de son école religieuse, il est envoyé au Château de Bazoches apprendre l’ingénierie des fortifications auprès du grand Sébastien Le Prestre de Vauban, jusqu’à la fin du siège de Barcelone, soit une dizaine d’année de sa très longue vie. La première partie à Bazoches est particulièrement prenante avec de nombreux dessins qui explicitent le propos.

Puisqu’il s’agit de mémoires, c’est par les yeux et la compréhension de Marti Zuviria, personnage historique, que nous assistons à la guerre de succession d’Espagne. Le « monstre » (Louis XIV) veut installer son petit-fils Philippe sur le trône laissé vacant par la mort de Charles II, tandis que l’Autriche veut imposer Karl, fils cadet de l’Empereur. L’Espagne est alors séparée en deux entités, la Castille qui soutient le Bourbon et la Catalogne qui est plutôt pour le Habsbourg. Un des moments important de cette lutte pour le pouvoir est le siège de Barcelone. Du côté de la Castille, combattent conformément à l’esprit de l’époque des soldats professionnels qui remplissent un contrat, tandis que Barcelone est défendue par les habitants. Dans cette fresque se côtoient personnages historiques et créations littéraires, tous assez complexes. Comme le héros lui-même parfois lâche et parfois courageux, parfois égoïste, et parfois plein d’amour.

J’aurais aimé savoir si l’existence des Ponctués, ces ingénieurs en poliorcétiques, formant une sorte de confrérie au-delà des nationalités est réelle.

Que le nombre de pages, un peu plus de 700 dans l’édition poche d’acte Sud, ne vous rebute pas, ce roman vous transportera dans les deux sens du terme.



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La peau froide

Je vais juste écrire un petit billet doux : je suis vraiment impressionnée par ses écrivains aux idées incroyables : un phare, une île, des monstres aquatiques, deux hommes seuls sur cette île et une créature féminine improbable. Et voilà, le mec te sort un super roman de 250 pages.

Je vous invite à lire des critiques plus constructives que la mienne mais je tenais quand même à partager mon émoi.
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Fungus : Le roi des Pyrénées

Je suis sortie de " mes" Sentiers battus en m'engageant sur les traces de Fungus,le roi des Pyrénées. C'est la critique de Pecosa qui m'avait donné ce désir d'aventure en allant rencontrer un bien étrange anarchiste ! Il s'agit d'un conte fantastique et philosophique dont le coeur du propos est le Pouvoir. Qu'est ce qui pousse les hommes à le convoiter? Comment le trouver? Qu'en faire? Mais aussi ,qu'est ce qui pousse à obéir et jusqu'où peut on aller dans la soumission ?

Ric Ric,le héros de l'histoire est en quelque sorte l'antithèse de Frodon Sacquet ! Il se présente comme un anarchiste mais on le découvre bien vite comme un lâche,un poltron,un opportuniste. Son seul bon côté est d'avoir ( eu) un cœur et d'être tombé éperdument amoureux de Mailis. C'est cet amour qui,sans qu'il l'ait prévu ni contrôlé va l'amener à faire sortir de l'état végétal toute une communauté de champignons dont il devient le roi. Ces créatures,si monstrueuses soient elles physiquement, renferment pourtant plus de sagesse et d'humanité que leur roi... dommage qu'il leur manque " la fonction symbolique" et donc la capacité de rêver...

Les beaux principes anarchistes de Ric Ric sont vite oubliés dès qu'il s'empare des rênes du pouvoir.. certains passages sont hilarants,comme lorsqu'il veut encore croire à ses valeurs et qu'il tient un discours sur l'anarchie,convoquant tous les grands noms de ce mouvement pour expliquer aux fungus ce à quoi il veut les employer! On trouve de l'aventure,de l'humour,de l'amour,des épopées guerrières digne du seigneur des anneaux mais la dérision domine.

Pour finir,la morale est poétique et humaniste, on y entend presque Le petit Prince nous parler!
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Fungus : Le roi des Pyrénées

Au dire de la quatrième de couverture, l'auteur parle de ce roman comme étant un "western hivernal du XIXe siècle dans les Pyrénées".

Une description épique à laquelle j'ajouterai l'adjectif "fantastique" et préciserai que nous sommes en présence de belligérants répugnants.

Cela dit, je crois que ces précisions peuvent être devinées en regardant simplement la très réussie couverture de ce roman.

Ce qui est moins visible, c'est à quel point le côté ridicule des choses contées ici met en exergue l'extravagance de cette fable qui joue avec la politique et la nature, sans qu'elle apparaisse pour autant comme un simple délire.

Albert Sánchez Piñol semble user judicieusement de sa formation en anthropologie pour exposer au fil de l'histoire les traits caractéristiques des deux espèces en présence desquelles nous sommes.

Et si l'une des deux est incapable de jouir de l'irréel, de l'imaginaire et de la projection, le lecteur, lui, en jouira constamment à la lecture de ce roman singulier.
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La peau froide

Je pense être passée à côté de ce roman.

L'histoire du narrateur, naufragé volontaire sur une petite île du bout du monde, ne m'a pas transportée.

Je n'ai pas compris l'intérêt de ces monstres marins qui surgissent chaque nuit sur l'île, ni celui du deuxième personnage.

Je reconnais que la lecture à été facile et quelques réflexions m'ont semblé intéressantes, d'où une note intermédiaire, mais je n'ai vraiment pas accroché.
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La peau froide

Etonnant ! La peau froide fait partie de ces romans qui nous convainquent qu'il y a encore tant d'histoires à raconter. Albert Sanchez Pinol nous emmène dans une île perdue et loin de tout, en compagnie de deux hommes qui doivent cohabiter malgré leurs visions de la vie contraire.



L'auteur nous livre un roman étrange et atypique, à la fois fantastique et très philosophique. Le narrateur est un Irlandais qui a une vision très humaniste du monde, à cause de son passé de rebelle face à l'occupation anglaise de sa petite île. Batis Caffo est l'autre occupant des lieux. Supposément climatologue, probablement autrichien, silencieux et pragmatique, la cohabitation avec le narrateur s'annonce compliquée. On se retrouve face à la même constatation que Sartre : "L'enfer, c'est les autres".



Les deux hommes subissent les attaques de créatures marines mystérieuses et méconnues. Ils s’enferment chaque nuit dans le phare comme dans un bunker, vivant dans une angoisse constante. L'opposition entre les deux hommes est fascinante. L'Irlandais répugne à la violence, Caffo s'exalte lors des batailles qui lui donnent une raison de vivre.



La question de l'altérité est abordée avec une certaine finesse mais aussi une forme de brutalité animale. Caffo a adopté l'une des créatures, une femelle, qui lui sert à la fois d'esclave et concubine. Appelée "la mascotte", elle est traitée comme un vulgaire animal, transportant le bois et servant à la copulation. Il y a quelque de chose de révoltant dans la façon dont elle est traitée, mais elle démontre bien le processus de réification opérée dans certains cas, où les personnes sont déshumanisées au maximum.



Le roman illustre beaucoup la façon dont notre passé et nos expériences forgent notre caractère et notre personnalité. Le personnage principal évolue tout le long de l'histoire et c'est assez réussi, même si la fin peut sembler un peu abrupte. On observe une forme de destinée cyclique qui offre une conclusion assez bien trouvée, même si on pourra la trouver un peu étrange. Au fond, Caffo nous met face à l'absurdité de l'existence, où nous nous créons sans cesse une forme de divertissement pascalien pour trouver une raison de plus à notre existence. Même si ces mêmes raisons semblent décalées à des observateurs externes.



Le tout est porté par une écriture qui va droit au but. L'histoire est racontée sous la forme d'un journal, ce qui favorise l'immersion dans ce huis-clos délicatement teinté de surnaturel. Malgré quelques moments de flottement, l'action est rondement menée et je ne pouvais pas vraiment lâcher le roman sans avoir le mot de la fin.



Mais je ne vais pas m'étendre sur le sujet, je risquerais de spoiler ! Sachez simplement que La peau froide est une lecture déstabilisante qui nous emmène dans les tréfonds étranges de l'âme humaine. Il nous met face à la difficulté de comprendre l'Autre, qu'il soit une créature mystérieuse venue des mers, ou notre voisin de pallier.
Lien : https://lageekosophe.com/
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Pandore au Congo

Si le mythe de la boîte de Pandore m'etait conté, alors surgiraient tous ces maux : La Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, l'Orgueil.

Si la réalité m'etait donnée à observer , alors surgirait l'Homme, laid et imparfait, unique demeure de ces maux et de l'abject.

Du nid où l' innocence s'éveille jaillit l'abominable qui dans son palais terrestre s'octroie la primeur de la monstruosité du grand prédateur et ce, pour un séjour infâme illimité depuis des siècles.

En découle le déroulement naturel des choses, la sordide histoire de l'humanité dont "Pandore au Congo" 'en dépeint une grande partie avec tant de talent et de justesse qu'on ne peut que l'adouber devant l'autel de la cruauté.



C'est à coups de baguette, de fouet et sous la terreur que deux aristocrates anglais, les frères Craver, s'enfoncent dans la jungle du Congo, avides d'or et de pouvoir , ils déciment des tribus noires, ces singes qu'ils disent, et mettent en esclavage les survivants, les futurs travailleurs assujettis.

Marcus Garvey, un gitan les servant fait partie de l'expédition, c'est lui qui, plus tard, contera cette histoire à Thommy Thomson.

Thommy Thomson, le narrateur de cette aventure est, lui, chargé d'écrire le livre de cette épopée mystérieuse pour le compte d'un avocat défendant les intérêts de Marcus, accusé des meurtres des deux frères...



Mais ces êtres, les Tectons, ceux qui sortent des entrailles de la terre du Congo, là où les frères Carver se sont installés, qui sont-ils ?

Du fantastique va t'il éclore une nouvelle armée avide de guerre et de meurtres ?

Ce mal qui incarne l'homme va t'il s'insinuer également en eux face à l'exhibition d'une des leurs, de l'assassinat des autres ?

La manipulation est le maitre mot, quant à savoir laquelle est la meilleure parmi tous les personnages c'est sans aucun doute la littérature elle-même qui en livre la quintessence.



Incontestablement , ce roman n'a rien de commun, derrière la science-fiction se dresse une philosophie constante , cette vision acérée de l'humain distribuée à l'envi accentuée par un humour ravageur ; des brutalités effrayantes jaillit l'amour, s'invitent des scènes ubuesques d'une qualité renversante.

Albert Sanchez Pinol à cette vision panoramique qui mélange les genres littéraires amenant le lecteur dans un récit si dense qu'on ne peut que contempler son talent et se laisser subjuguer par la singularité de son univers sans en perdre une miette.



Qu'en est-il de l'espérance allez-vous me dire ?

Mythologiquement, elle est restée enfermée dans la boîte.

Véritablement, l' Homme qui espère n'est que l'esclave de celle-ci, ou, "Le songe d'un homme qui rêve" selon Aristote.



Sensationnel !



Un grand merci à toi, Nomadisant , pour cette proposition de lecture, une énorme découverte qui m'a épatée . Le premier livre d'Albert Sanchez Pinol donc pour moi et sûrement pas le dernier !
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La peau froide

Un huis clos fantastique, étouffant et barré...



Une nouvelle découverte due à mes ami(e)s et collègues de Charybde... Ce premier roman écrit en 2002 (publié en France en 2004) a rencontré un succès mérité.



Le narrateur, météorologue irlandais, rejoint son poste pour un an, sur une île minuscule et isolée de l'Atlantique Sud, pour y découvrir, après le départ du bateau, que lui et le gardien du phare, uniques habitants de l'île, seront soumis toutes les nuits aux assauts meurtriers de créatures venues de la mer...



"Dans ces moments, il rappelait un de ces voltairiens qui en faisant des efforts d'imagination parviennent à créer des barricades. C'était le modèle de l'homme circonscrit à une vérité solitaire et unique, mais fondamentale. Il avait le courage de simplifier. On pourrait dire qu'il simplifiait tant et si bien, que même lui était capable de comprendre la base du problème. Quand il abordait les aspects techniques, par exemple, il avait un esprit clair et serein. Dans ce domaine, il était insurpassable, et c'était à cela qu'il devait sa survie. À d'autres moments, en revanche, il se laissait aller et tombait dans une esthétique de cosaque déserteur. Philosophe de la musculature, aux principes hygiéniques plus qu'ordinaires, quand il mangeait il ressemblait à un authentique ruminant."



"Mais je n'avais pas l'obligation de le suivre. C'était par essence la seule liberté humaine qu'il me restait là-bas, au phare. Et dans le cas où l'on démontrerait que ce n'étaient pas des bêtes, l'ordre de Batís serait détruit avec plus de violence que celle que cachaient les arsenaux militaires de toute l'Europe.Cela, je le compris plus tard. Ces jours-là, je voyais un Batís Caffó qui ne faisait pas la part des choses. Mais qui ne serait pas disposé à modifier son angle de vue, quand la vie et le futur dépendent du regard que l'on porte sur l'ennemi ?"



Anthropologue de formation, Sanchez Piñol convoque avec habileté le Jules Verne de "L'île mystérieuse" et le Roy Lewis de "Pourquoi j'ai mangé mon père" (voire le James Cameron d' "Aliens"...) pour nous emmener dans cette fable lancinante, alternant légèreté des journées au soleil paradisiaque et oppression des combats nocturnes incessants, des vagues d'assaut toujours renouvelées alors que munitions et défenses s'épuisent..., tandis qu'un huis clos étouffant s'empare peu à peu du météorologue et du gardien de phare...

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La peau froide

"Nous ne sommes jamais très loin de ceux que nous détestons. Pour cette même raison, nous pourrions donc croire que nous ne serons jamais au plus près de ceux que nous aimons."

Voici comment commence ce livre qui transporte le lecteur dans une petite île isolée de l’Atlantique sud, où se dressent en tout et pour tout deux bâtiments : une station météorologique et un phare. Le narrateur, orphelin irlandais, a lutté pour son pays, et, déçu par la spirale de violence qui perdure après l’accession à l’indépendance, préfère tout quitter pour une mission dans un îlot abandonné. Seul un gardien de phare est là lors de son arrivée, et son accueil manque pour le moins de chaleur.

Quant à la première nuit, elle est digne d’un film d’horreur. Reste au héros à imaginer comment passer un an dans un îlot envahi chaque nuit de créatures agressives, avec un compagnon qui dérive vers la folie, et heureusement, une cargaison suffisante de munitions et de nourriture. Les deux hommes se rapprochent, s’allient, s’opposent, s’affrontent, se craignent. Au début du roman, c’est la lutte contre les monstres, nuit après nuit, qui importe, puis c’est le conflit entre les deux « humains » qui prend le dessus.

Les pages de ce roman fantastique, horrifique et humaniste à la fois tournent à toute vitesse, ce qui ne les empêche pas d’être empreintes de réflexions tout à fait passionnantes sur ce qu’est l’humanité. Une belle découverte pour moi que cet auteur catalan, je le relirai à l’occasion.
Lien : http://lettresexpres.wordpre..
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