Citations de André Gorz (249)
Outre un volume accru de biens et de services, l'économie produit donc massivement, aujourd'hui, cette ressource cardinale qui, pour les fondateurs de la théorie moderne, devrait être "la vraie mesure de la richesse " : le temps libéré des nécessités et des contraintes économiques.
La rationalisation économique libère du temps, elle continuera d'en libérer, et il n'est plus possible, par conséquent, de faire dépendre le revenu des citoyens de la quantité de travail rémunéré la source principale de l'identité et du sens de la vie pour chacun.
La tâche d'une gauche, si gauche il doit y avoir, consiste à transformer cette libération du temps en une liberté nouvelle et en des droits nouveaux : le droit de chacun et de chacune de gagner sa vie en travaillant, mais en travaillant de moins en moins, de mieux en mieux, tout en recevant sa pleine part de la richesse socialement produite.
La création d'emplois n'a plus pour fonction d'économiser du temps de travail à l'échelle de la société, mais de gaspiller du temps de travail pour le plus grand agrément d'une minorité de nantis. Le but n'est plus de réduire la quantité de travail par unité de produit ou de service en maximisant la productivité ; il est de réduire la productivité et de maximiser la quantité de travail par le développement d'un tertiaire sans utilité sociale.
Nous voyons ainsi se reconstituer à l'ère postindustrielle des conditions qui prévalaient il y a cent cinquante ans, aux débuts de l'ère industrielle, à une époque où le niveau de consommation était dix fois plus faible, où n'existaient encore ni le suffrage universel ni la scolarisation obligatoire. A cette époque-là aussi, alors que l'économie de marché se libérait de toute entrave, un sixième de la population en était réduit à s'embaucher comme serviteurs et gens de maison chez les riches, et un quart subsistait tant bien que mal grâce à des petits boulots. Mais il s'agissait alors de ruraux illettrés et d'artisans ruinés.
L'examen de la grande majorité des emplois créés aux États-Unis dans les années 1980 montre qu'il n'en est rien. Leur fonction, dans la majorité des cas, est plutôt la suivante : les deux, ou trois, ou quatre heures passées jusqu'alors à tondre le gazon, à promener le chien, à faire les courses et le ménage, à acheter le journal ou à s'occuper des enfants, ces heures sont transférées, contre paiement, sur un prestataire de services. Il ne fait rien que chacun ne puisse faire lui-même aussi bien.
[...]
Acheter le temps de quelqu'un pour augmenter ses propres loisirs ou son confort, ce n'est rien d'autre, en effet, que d'acheter du travail de serviteur. [...] Voilà bien la question gênante que ne se posent pas ceux et celles- y compris les syndicalistes - pour lesquels la création d'emplois est une fin en soi.
Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes souvent dit que si, par impossible, nous avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble.
Cela me rappelle que tu avais conclu dès l’âge de sept ans que, pour être vrai, l’amour doit mépriser l’argent.
Je me demande si, avec moi, tu ne te sentais pas plus seule que si tu avais vécu seule.
Si j’étais incapable de t’aimer pour de bon, je ne saurais jamais aimer personne.
Tu étais la première femme que j’ai pu aimer corps et âme, avec laquelle je me sentais en résonance profonde ; mon premier vrai amour, pour tout dire.
Aimer un écrivain, c’est aimer qu’il écrive, disais-tu. « Alors, écris ! »
Tu viens juste d’avoir quatre-vingt-deux ans. Tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Récemment je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide dévorant que ne comble que ton corps serré contre le mien. La nuit je vois parfois la silhouette d’un homme qui, sur une route vide et dans un paysage désert, marche derrière un corbillard. Je suis cet homme. C’est toi que le corbillard emporte. Je ne veux pas assister à ta crémation ; je ne veux pas recevoir un bocal avec tes cendres. J’entends la voix de Kathleen Ferrier qui chante « Die Welt ist leer, Ich will nicht leben mehr » et je me réveille. Je guette ton souffle, ma main t’effleure. Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes souvent dit que si, « par impossible, nous avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble.
Je me souviens d’avoir écrit à E. qu’en fin de compte une seule chose m’était essentielle : être avec toi. Je ne peux m’imaginer continuant à écrire si tu n’es plus. Tu es l’essentiel sans lequel tout le reste, si important qu’il me paraisse tant que tu es là, perd son sens et son importance.
Ce livre devait montrer que mon engagement envers toi a été le tournant décisif qui m’a permis de vouloir vivre.
Tu étais la première femme que j’ai pu aimer corps et âme, avec laquelle je me sentais en résonance profonde ; mon premier vrai amour, pour tout dire. Si j’étais incapable de t’aimer pour de bon, je ne saurais jamais aimer personne.
Avec toi je pouvais mettre ma réalité en vacances.
Si tu t’unis avec quelqu’un pour la vie, vous mettez vos vies en commun et omettez de faire ce qui divise ou contrarie votre union. La construction de votre couple est votre projet commun, vous n’aurez jamais fini de le confirmer, de l’adapter, de le réorienter en fonction de situations changeantes. Nous serons ce que nous ferons ensemble.
Tu te disais que si c’est cela l’amour, si c’est cela un couple, tu préférais vivre seule et ne jamais être amoureuse. Et comme les querelles de tes parents portaient principalement sur des questions d’argent, tu te disais que l’amour doit mépriser l’argent pour être vrai.
Avec toi j’étais ailleurs, en un lieu étranger, étranger à moi-même.
Ce qui me captivait avec toi, c’est que tu me faisais accéder à un autre monde.